"Les tendances alimentaires se construisent et se détruisent lentement, mais elles reviennent sans cesse. Après une longue période où l’on a voulu se réconforter avec la nourriture de nos grands-mères, le comfort food, on entre tranquillement dans une phase où l’on en a un peu marre et où l’on veut oser plus", explique Jean-Pierre Lemasson, sociologue au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Tout comme dans la mode, plusieurs courants s’éteignent et se rallument dans le domaine de l’alimentation. En 2011, si l’on se fie aux experts du marketing alimentaire, pour être dans le vent, il faut se tourner vers le "discomfort food" et tenter l’expérience de dégustations bizarroïdes.
Morceaux de choix
À Montréal, si on veut sortir de sa zone de confort, on peut par exemple réserver une table au restaurant DNA. Mais attention, ici, on ne sert pas le tartare de coeur de veau ou le parfait de foie de porcelet pour choquer ou suivre une quelconque tendance. La philosophie du chef Derek Dammann, c’est de travailler de manière éthique avec l’animal complet, pour ne pas avoir de pertes. "Si je servais des cervelles de veau pour servir des cervelles de veau, je ne serais pas mieux que ceux qui ne servent que du filet mignon. Je ne commande rien de particulier; si j’ai de la cervelle au menu, c’est que j’avais l’animal et que je tente de le cuisiner en entier", mentionne le chef. Plus qu’une tendance pour le chef, il s’agit de faire un retour dans le passé: pour nos ancêtres, pas question de gaspiller, on mangeait l’animal en entier. "Il faut se départir des mauvais souvenirs des abats trop cuits et caoutchouteux des mères de famille des années 70 et se laisser séduire par les versions modernes et raffinées qu’on sert au restaurant aujourd’hui", affirme celui qui prépare toutes ses charcuteries dont la fameuse coppa di testa, une spécialité italienne confectionnée à partir d’une tête de cochon, et qui propose actuellement à son menu des spaghettis au piment de Sainte-Béatrix, jaune d’oeuf et foie de chèvre saumuré, ou encore une brochette "d’abats comestibles". "Je connais personnellement chacun des fermiers qui fournissent mon restaurant. Avant de les cuisiner, j’ai quasiment vu les animaux grandir dans l’étable: je vais souvent visiter les exploitations, ajoute-t-il. J’affirme qu’on peut consommer de la viande de façon responsable et respectueuse de l’environnement."
L’homme des cavernes et la traçabilité
Dans le trip "retour aux sources", certains sont encore plus extrémistes puisque des spécialistes en marketing n’hésitent pas à nous recommander d’essayer le "régime paléolithique". Il s’agit de se nourrir uniquement d’aliments que les hommes des cavernes auraient pu manger, soit avant le début de l’agriculture. Une idée qui fait bien rire Jean-Pierre Lemasson: "Ça relève plutôt de la mythologie selon moi, très peu de personnes le prennent au pied de la lettre. Toutefois, c’est vrai que de plus en plus de gens recherchent un certain retour à la simplicité, une nourriture qui n’est pas transformée par l’industrie agroalimentaire."
Au Québec, les ventes de produits bios augmentent de 10 à 15 % chaque année. Mais au-delà de l’achat bio et local, l’enjeu actuel est la traçabilité des aliments. On veut savoir d’où provient ce qu’on a dans son assiette. "C’est bien normal puisque nos contemporains font partie de la première génération de gens qui n’ont pas nécessairement d’agriculteur dans leur entourage. Avant, on avait ce contact avec la ferme, on savait d’où venait notre nourriture", mentionne Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, secrétaire de la Fédération de l’agriculture biologique du Québec (Union des producteurs agricoles). Aux États-Unis, le phénomène est tellement important que l’on peut passer son iPhone au-dessus d’un produit muni d’un code à barres spécial dans une épicerie, pour ensuite visionner le site Web ou un vidéo présentant le fermier qui l’a produit et sa méthode de travail. En Allemagne, un fermier plutôt original a même décidé d’inscrire ses vaches sur Twitter, microbloguant à chaque étape de leur parcours entre le champ et l’assiette, ce qui permet littéralement de suivre sa vache, comme on le fait avec les paquets qu’on fait livrer. Au Québec, le site Agri-traçabilité est une réelle mine d’or en informations sur nos aliments locaux.
Ce besoin de traçabilité provient également d’une perte de confiance des consommateurs envers les géants de l’alimentation. On n’a qu’à penser à tous ces documentaires qui nous ont révélé les dessous plus ou moins reluisants de cette industrie. "Certaines personnes n’attendent tout simplement pas après l’industrie pour être rassurées. Elles s’organisent et prennent le virage des produits locaux, des paniers bios et des visites à la ferme", conclut Jean-Pierre Lemasson.
Information /
Restaurant DNA: 355, rue Marguerite-D’Youville, Montréal, 514 287-3362, www.dnarestaurant.com
Union des producteurs agricoles: www.upa.qc.ca
Agri-traçabilité: www.agri-tracabilite.qc.ca