Vie

Entraînement compulsif : La pathologie du gym

Le mois de janvier est probablement celui où l’on entend le plus parler d’exercice physique. Ce n’est pas un hasard si l’ANEB a choisi l’entraînement compulsif comme thème pour la Semaine de l’anorexie et la boulimie, en février. Portrait d’un mal méconnu.

Courir sans fil d’arrivée

Sophie s’est retrouvée à l’urgence l’automne dernier. Son coeur ne battait plus qu’à 29 pulsations par minute. Quelques jours de plus et elle aurait pu faire une crise cardiaque. Elle a 35 ans. Non, elle ne souffre pas d’obésité morbide. C’est plutôt le contraire. Sophie s’entraînait tous les jours. Deux à trois heures par jour. Jogging pour aller travailler, DVD d’aérobie dans son gym personnel en revenant le soir, toutes les occasions de brûler des calories étaient les bienvenues. "S’il advenait que je doive prendre l’autobus plutôt que de courir pour aller au travail, je me réveillais à quatre heures du matin pour faire mes exercices. C’était la perfection ou rien, il n’y avait plus de zones grises pour moi", explique la mère de famille. Elle avoue avec gêne qu’on a même dû lui attribuer un gardien de sécurité à l’hôpital pour l’empêcher de s’entraîner. "C’était plus fort que moi. Pourtant, je devais vraiment arrêter, j’avais les muscles complètement atrophiés. Mais c’est comme si la tête était déconnectée du corps. En plus, on se fait tellement dire qu’il faut bouger, on est martelé de publicité à ce sujet", dénonce Sophie.

Son calvaire a commencé en 2007, alors qu’elle s’est inscrite à un gym pour se mettre en forme. Aujourd’hui, elle doit vivre avec le diagnostic d’un TOC, trouble obsessionnel compulsif. Pour l’instant, son traitement doit être radical: plus aucune activité physique. "Je ne peux même pas essayer de doser, si je recommence à m’entraîner, je ne serai pas capable d’arrêter. J’imagine que c’est un peu comme les alcooliques anonymes." En espérant retrouver un jour une relation saine avec l’exercice physique, Sophie a l’intention de se concentrer sur son rôle de mère. "Ce que je trouve le plus triste, c’est que j’ai négligé ma fille pendant ce temps-là. Je me déculpabilisais en me disant que j’étais là pour elle, que j’étais à la maison, mais ce n’est pas de ce genre de présence qu’elle avait besoin."

Symptôme

Dans la section "médecine de l’adolescence" de l’hôpital Sainte-Justine, on peut facilement identifier les patientes (la très grande majorité est féminine) souffrant d’anorexie: elles sont toujours debout. L’obsession de brûler chacune des calories, mais peut-être aussi une conséquence physiologique de cette carence, analyse le docteur responsable de cette unité, Jean Wilkins. "C’est une hypothèse, mais je crois que l’hyperactivité est un symptôme de l’anorexie à l’adolescence. C’est une réaction du corps à l’insuffisance de l’apport calorique. Le cerveau envoie le signal de bouger pour protéger entre autres les os." Chose certaine, la ligne est loin d’être claire entre un comportement sportif acceptable et une pratique pathologique. Seule la détérioration des signes vitaux, comme un rythme cardiaque inférieur à 50, est un indice fiable.

Compétition ou compulsion?

Les cibles les plus fréquentes sont, paradoxalement, les sportives d’élite. "On a vu le phénomène commencer en 1976, avec ce que j’appelle nos "petites Nadia", de jeunes gymnastes qui voulaient se dépasser à tout prix. En fait, l’anorexie est un problème identitaire. Les sportives qui atteignent un niveau de compétition élevé se définissent à travers leur sport puisqu’elles ont passé leur vie à le pratiquer. Puis, tout à coup, la puberté se déclenche, le corps change et ne convient plus aux standards d’avant." Si le sport abandonne ces jeunes femmes en devenir, elles croient alors qu’elles n’ont plus leur raison d’être. Elles vont donc s’acharner à l’entraînement et réduire leur alimentation pour stopper les changements de leur corps. Pour le docteur Wilkins, il faut absolument que les entraîneurs soient à l’affût. "Au niveau élite, quelques secondes de moins dans un résultat en compétition devraient sonner l’alarme. Ce que je dis, c’est qu’il ne faut surtout pas les abandonner parce qu’elles sont moins performantes."

Anorexie et boulimie Québec: 514 630-0907, www.anebquebec.com

Anorexie et boulimie Québec garantit une aide professionnelle immédiate et gratuite aux personnes souffrant de troubles alimentaires.