Les restaurants traversant leur heure de pointe, le rendez-vous a été fixé au Loft, lumineux local niché au huitième étage d’un immeuble du Plateau où Crudessence offre ses ateliers de cuisine. Les cofondateurs de l’entreprise, David Côté et Mathieu Gallant, arrivent tout sourire, les bras chargés de victuailles. Tout en causant de leur petite et grande histoire et de ce nouveau-né qui tient sur 254 pages, ils se tachent les doigts de rouge en préparant les succulents raviolis de betteraves (p.129).
Chemins croisés
La route de David Côté, thérapeute en shiatsu et érudit de la nutrition, et celle de Mathieu Gallant, cuisinier et adepte de yoga et de méditation, se croisèrent lors d’un voyage à Hawaï. Tout en expérimentant la cuisine vivante, ils mirent en commun leurs préoccupations relativement à la santé, au bien-être et à l’environnement. Un an plus tard, ils renouaient pour se lancer en affaires. Leur vision, ils la véhiculent à travers l’alimentation vivante: une cuisine végétalienne, sans cuisson, biologique et aussi locale que possible.
En 2007 naissait ainsi Crudessence, un petit service de traiteur et brasserie de kombucha de la rue Rachel qui, vite, devint un restaurant. "Pour moi, ça a été lent. Ça aurait pu aller bien plus vite", confie David, le plus "marketing" du tandem, tout en préparant la vinaigrette aux framboises. Et si on s’étonne du chemin parcouru en si peu de temps, le président de Crudessence rétorque que ce n’est que le début. Un resto à Québec, un show de télé et un deuxième livre de recettes sont déjà dans le collimateur.
Art de vivre
Qui aurait dit que deux jeunes hommes visionnaires qui mangeaient des pousses dans un sous-sol à Hawaï en arriveraient là en quatre ans? L’an dernier, l’ouverture du deuxième restaurant venait confirmer l’engouement des Montréalais pour l’entreprise. Et c’est sans compter un deuxième comptoir santé, la popularité des ateliers de l’Académie et la vente du kombucha à la grandeur du pays. Distribué au Québec et bientôt en France, le livre Crudessence ajoute une corde à l’arc des ambitieux entrepreneurs. "La cuisine n’est pas une finalité, énonce Mathieu Gallant en dégorgeant les betteraves. C’est un outil pour aller vers le bien-être. Or, aujourd’hui, l’industrie alimentaire est tellement basée sur le plaisir et l’indulgence. Nous ne sommes plus conscients que nos habitudes sont destructrices tant pour nous que pour l’environnement." Ainsi, en vantant les propriétés nutritives, toniques et détoxifiantes de l’alimentation vivante, le tandem souhaite "remettre l’humain au coeur de l’alimentation et voir comment il évolue".
Une vision que les auteurs expriment dans la préface du livre de recettes où ils présentent la mission de Crudessence, sa philosophie, ses fondements, en se gardant bien de tomber dans toute forme de radicalité ou de dogme. "Le crudivorisme est pour nous une diète… Tandis que l’alimentation vivante est un art de vivre", écrivent-ils. Pour eux, une telle mise au point s’imposait. "On relisait les premiers textes qu’on a écrits ensemble et on ne se reconnaissait plus. On était trop radicaux, trop intenses. On s’est adoucis", souligne Mathieu. "C’était comme si on criait, alors que maintenant on chante. C’est comme si on n’avait plus besoin de crier pour se faire entendre", constate David.
Responsabiliser les lecteurs et les encourager à se prendre en main, voilà plutôt la mission que s’imposent ces maîtres cuisiniers. "En anglais, on utilise le mot empowering. Notre message, c’est: essayez, faites le test et amusez-vous! À Montréal, on est épicuriens, on cherche des trucs goûteux, qui apportent un plaisir immédiat. Mais nous on dit: soyez épicuriens, mais dans tout votre corps, pas juste votre bouche", illustre David qui dresse dans des assiettes les petites bouchées rosées.
Crudessence en 184 recettes
Créatives. Ingénieuses. Les recettes crues de Crudessence épatent autant sur le plan visuel que sur celui de la texture: un fromage à base de noix, des pâtes à partir de légumes, du pain fait de grains germés. Avec ses techniques de fermentation, déshydratation et germination, la cuisine vivante peut paraître des plus complexes. "C’est pourtant si simple! On met l’aliment en avant. Puis le résultat goûte la framboise, la betterave, la figue", énonce David en faisant référence à la recette simplissime et ô combien savoureuse qu’il est maintenant temps de déguster. "Ça relève d’une recherche artistique, poursuit Mathieu qui a élaboré nombre des recettes du livre. Le jazzman ne trouvera pas que ce qu’il fait est complexe, mais aux oreilles d’un néophyte, c’est fabuleux. C’est un art culinaire qui a un impact sur notre santé, notre société, notre environnement, voire notre spiritualité."
Quel serait le principal enjeu de l’alimentation vivante dans ce cas? "S’oublier. Il y a beaucoup de gens qui découvrent l’alimentation vivante et qui en font une obsession. Ils pensent à leur repas dans trois jours. Ils deviennent un peu fous. C’est bien que ça devienne une passion, mais il faut s’en sortir, puisqu’on mange pour vivre et non le contraire", rappelle David.
La bouffe, obsession du 21e siècle, occupe effectivement toutes les tribunes. "J’ai l’impression qu’intuitivement, on sait qu’il y a une clé là-dedans, constate Mathieu. Or, on n’aborde pas l’alimentation comme une pulsion de vie mais de plaisir. Chez Crudessence, on essaie d’aller un peu au-delà: que le monde ait du plaisir, mais un plaisir qui tend vers une conscientisation."
Crudessence
de David Côté et Mathieu Gallant
Éditions de l’Homme, 2011, 224 p.
Adresses /
Les restaurants Crudessence: 105, rue Rachel Ouest, 514 510-9299; 2157, rue MacKay, 514 664-5188, Montréal, www.crudessence.com
Les comptoirs santé Crudessence: C’est la vie… (1584, avenue Laurier Est, Montréal) et La Moisson (360, rue Sicard, Sainte-Thérèse)
L’Académie Crudessence: 5333, rue Casgrain, local 801, Montréal, 514 271-0333, www.crudessence.com/fr/academie/
ooo
Recettes en vedette /
La recette la plus ancienne: les sushis au cari (p. 130). "Avant même que Crudessence existe, je vendais des sushis au cari et des zouzous (p. 216) sur le mont Royal pour financer l’entreprise", se rappelle David.
La recette la plus récente: les nigiris de chou-fleur (p. 144) furent la dernière recette ajoutée au livre.
La recette dont ils sont fiers: le gâteau au faux-mage (p. 200), "juste parce qu’il est plus cochon et plus complexe puisqu’il implique une fermentation de noix de cajou", tranche David.
La recette qui a représenté le plus gros défi: le pâté chinois (p. 168). "Il y a eu beaucoup de recherche pour que ce soit intéressant sur le plan de la texture et du goût. Le ÔM burger (p. 162) aussi. Ce sont des recettes intuitives mais qui ont été élaborées au fil de mois d’essais-erreurs", relate Mathieu.
Les recettes "comfort food": la lasagne (p. 160), le ketchup (p. 169), le gâteau aux carottes (p. 203), le bananasplit (p. 218)… "C’est un clin d’oeil humoristique. Idéalement, l’alimentation vivante, c’est manger de la verdure, des feuillus verts, des germes, des fruits et un peu de noix. C’est super simple! C’est l’alimentation d’un gorille. Or, on ne pouvait pas mettre que ça dans le livre. Il fallait aller chercher le monde avec des recettes simples, belles et inspirantes."