Ça a commencé par un reportage-choc à J.E.
J’imagine encore l’équipe de production qui se frottait les mains de bonheur en imaginant les cotes d’écoute à venir. Non mais, soyons honnête, c’était la formule idéale: on va traquer des cyberprédateurs sexuels en se faisant passer pour une adolescente. Bang.
Ça a vraiment fonctionné car moi-même, qui n’ai pas regardé TVA depuis des années (mis à part Salut bonjour, mais ça, c’est mon petit côté gars qui aime haïr), ce soir-là, j’étais comme des centaines de milliers de spectateurs devant ma télé à m’étonner d’à quel point on vit parfois dans un monde de dégueulasses.
Il ne fallait pas être un grand spécialiste des médias pour voir venir la suite. On se doutait que des «reportages de fond» étaient déjà prêts à être publiés dans le Journal de Montréal et que Quebecor pourrait surfer là-dessus pendant quelques jours. J’ignore si le terme est bon, mais me semble qu’on appelle ça «générer du contenu». Vous m’excuserez, j’ai juste un bac en littérature française, pas en communications.
Ça a beaucoup chialé par-ci et par-là comme quoi on avait un système de cul et que personne ne voulait rien faire contre les cyberprédateurs et ça sentait de plus en plus la merde. Tsé quand le couvercle de la marmite commence à shaker et que l’eau bouillante est sur le bord de couler sur le rond de poêle…
Et hop. C’est arrivé. Un citoyen parmi tant d’autres a décidé de prendre les devants et de mettre à exécution «sa» justice. Le gars, Dany Lacerte, a piégé un nombre X de cyberprédateurs et s’est donné pour mission de dévoiler au grand jour leur visage. On serait dans un téléfilm et ça serait vraiment bon comme idée. Sauf que là, on est dans une tout autre game: la vie.
Naturellement, l’une des vidéos à avoir été mises en ligne s’est répandue de façon virale sur le Web et en quelque chose comme 12 heures, elle a été partagée par plus d’un millier de personnes. On a ainsi pu voir la société sous son plus beau jour grâce à des commentaires de haute voltige tels que «Il va bientôt y avoir des suicides!» ou «Si je croise ce trou d’cul-là dans la rue, je le tue.»
Je ne sais pas pour vous, mais moi, c’est dans des moments comme ça que je suis rassuré d’avoir un système de justice. Et ironiquement, c’est en grande partie à cause de l’inaction de celui-ci que cette opération de justice populaire a eu lieu.
J’en conviens, la situation est tout ce qu’il y a de plus délicat. Aborder tout ce qui concerne la pédophilie de près ou de loin, c’est comme faire du break dancing avec une bouteille de nitroglycérine dans ses poches. Et puis, dans la foulée de la commotion encore toute récente créée par le verdict de Guy Turcotte, disons que la confiance populaire envers notre système de justice n’est pas trop à son top. Mélangez tout ça et vous obtenez une espèce de bouette qui tue.
Oui, c’est vrai, le gouvernement dort pas mal au gaz en ce qui a trait à toutes les questions de cyberprévention. C’en est même gênant. Et oui, on a souvent un drôle de système judiciaire. Mais non, je ne suis pas à l’aise avec le concept de se faire justice soi-même. Je trouve ça limite débile.
Maintenant, il serait vraiment souhaitable que les dirigeants passent en deuxième vitesse. Quand on est rendu à un point où les citoyens croient plus en Batman qu’à la police, on est à deux doigts de traverser la fine ligne. Parce que le jour où on laissera les gens se faire justice par eux-mêmes, on pourra officiellement dire que notre société est partie en couilles.
Et c’est ainsi que nous nous enfoncerons collectivement dans une longue et infernale spirale de marde où même votre voisin pas de classe pourra décider de votre vie ou de votre mort parce que selon lui, votre neige empiète sur son terrain quand vous déblayez votre cour.
C’est pas trop tentant, hein?