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Griffintown : Griffintown en cinq temps

Parce que tout le monde semble vouloir y déménager ses pénates, Voir propose un tour guidé du quartier Griffintown dans une série de cinq articles dont voici le premier. Saut dans l’histoire en guise d’introduction.

Situé dans le sud-ouest de Montréal, Griffintown est bordé par le canal de Lachine et la rue Notre-Dame, à quelques encablures du Vieux-Montréal et du centre-ville. Les condos y poussent comme des champignons. Mais avant de devenir le nouveau secteur hip, Le Griff était un quartier ouvrier et industriel.

«Ça a été la première banlieue de Montréal. C’est aussi là qu’on a fait le premier quadrillage de rues planifié en Amérique du Nord», raconte le porte-parole du Comité pour le sain redéveloppement de Griffintown, Jeffrey Dungen. Au 19e siècle, plusieurs Irlandais sans le sou, qui participaient à la construction du canal de Lachine et du pont Victoria y habitaient. «C’est devenu le berceau de la révolution industrielle du Canada à cause du canal de Lachine.»

Lente agonie

S’il a connu des années industrielles florissantes, le quartier a aussi été le théâtre de nombreux malheurs: pauvreté, épidémies, nombreux incendies, inondations successives, et même un écrasement d’avion sur une rangée de maisons de la rue Shannon durant la Deuxième Guerre mondiale.

À partir des années 50, Griffintown s’éteint tranquillement, la diminution du trafic sur le canal n’étant pas étrangère au phénomène. «C’est lentement devenu un village fantôme.» On dézone le secteur en faveur de la fonction industrielle, ce qui éloigne peu à peu les habitants, et la Ville condamne et démolit les maisons délabrées.

La résurrection

«Il y a quelques années, presque personne ne connaissait le secteur, se remémore Jeffrey Dungen, qui habite Le Griff depuis 2007. Au début, il fallait avoir de l’imagination pour y habiter, car il n’y avait rien. Puis Griffintown est devenu un buzzword

Le secteur a commencé à se redynamiser au tournant des années 2000 grâce à la réouverture du canal de Lachine à la navigation de plaisance, aux projets municipaux du faubourg des Récollets et de la Cité du multimédia, et à l’arrivée de l’École de technologie supérieure dans la Brasserie Dow-O’Keefe.

Puis, il y a eu un premier projet de condos. «Le promoteur immobilier Devimco a soumis un projet à la Ville, qui a décidé de faire un plan particulier d’urbanisme (PPU)», expose le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais. Le secteur a donc été dézoné, question d’en augmenter la portion résidentielle, tout en permettant plus de hauteur et de densité. «Ça a créé un engouement et éveillé la conscience des autres entrepreneurs immobiliers. Il y a eu un effet d’entraînement.»

Selon l’élu, Griffintown représente un atout pour la ville de Montréal. «C’est un immense secteur à requalifier. C’est tellement grand et il y a tellement de choses à faire. C’est beaucoup plus qu’un boum immobilier.» Il s’assure cependant que le développement soit fait selon une certaine vision. «Il faut faire en sorte de créer un nouveau quartier avec une mixité sociale importante, baser le développement sur l’innovation et la culture, et valoriser le patrimoine.» Pour lui, la sauvegarde du Horse Palace annoncée la semaine dernière est donc une excellente nouvelle. «Ces écuries sont là depuis près de 150 ans et elles ont toujours abrité des chevaux. Les planches originales seront numérotées et le Horse Palace sera démonté et remis en état», se réjouit-il.

Outre sa réputation trendy et son positionnement stratégique, c’est surtout le côté historique de Griffintown qui charme. «Et il faut mettre cette histoire en valeur, affirme Jeffrey Dungen. La plupart des résidents sont très contents que le quartier soit devenu populaire. Le fait que de plus en plus de monde en parle permet d’en faire connaître l’histoire.»

Le son de Griffintown

Faire connaître l’histoire de Griffintown était aussi le désir de Lisa Gasior, qui a créé en 2007, dans le cadre de ses études en communication, Sounding Griffintown, un guide d’écoute du quartier.

Téléchargeable sur Internet et jumelé à une visite à pied qui débute à l’angle des rues Peel et Notre-Dame, le projet permet aux auditeurs de voir comment les paysages sonores peuvent évoluer avec le temps. «Il existe tellement de choses sur les sons de la nature. Je trouvais ça intéressant de mettre en valeur les sons des usines et des voitures», explique Lisa Gasior, qui a déménagé dans Griffintown durant la première phase de développement. «J’ai fait des recherches sur le quartier et j’ai découvert toute une histoire que je ne pouvais pas ignorer», dévoile-t-elle. En plus des enregistrements de paysages sonores du présent et des sons imaginaires du passé, le guide intègre donc des souvenirs racontés par les anciens résidents.

Pour la conceptrice, le moment fort du trajet est l’arrivée à l’église Sainte-Anne. «On voit encore les vieilles pierres et on se rend compte qu’il y avait vraiment toute une communauté qui habitait là et que cet endroit était au centre de toutes ces vies. Les lieux n’ont peut-être pas été préservés, mais l’histoire, oui. Le but est de la raconter aux gens.»

Au fil du parcours, on apprend aussi certaines légendes, comme celle de Mary Gallagher, cette prostituée de Griffintown qui fut décapitée et dont le fantôme reviendrait tous les sept ans pour chercher sa tête. Une histoire qui ne semble effrayer ni les promoteurs immobiliers, ni les nouveaux résidents! «C’est un très bel endroit où habiter, c’est bien situé et proche de tout.»

Pour la postérité

Le secteur s’est développé à une vitesse fulgurante et le Comité pour le sain redéveloppement de Griffintown veille au grain, souhaitant voir un peu plus d’espaces verts, un plan d’urbanisme pensé pour les familles et une valorisation du patrimoine. «Il faut que ce soit bien fait. Il ne faut pas penser à court terme, car ça finit par coûter plus cher», indique Jeffrey Dungen.

«Le quartier est en développement, mais le potentiel est là. Ça pourrait devenir l’endroit idéal. Cependant, on ne doit pas y construire un centre commercial, car ça bloquera l’évolution naturelle du secteur», estime Lisa Gasior. Selon elle, la clé est dans les parcs, les épiceries et les cafés. «Il y a de plus en plus de collectifs artistiques et de studios d’art. C’est plus ça qu’il faut pousser!» Justement, le maire de l’arrondissement souligne qu’une trentaine de nouveaux commerces s’y sont installés ces dernières années. Et on parlerait même, très sérieusement, de CPE et d’espaces verts… À suivre!

Comité pour le sain redéveloppement de Griffintown
griffintown.org

Sounding Griffintown: A Listening Guide of a Montreal Neighbourhood
griffinsound.ca