Gorgona, le vin italien qui sort de prison
Ce cru qui compte maintenant quatre millésimes a une histoire particulière: il est produit par des détenus sur la dernière île-prison de l’Italie…
Le Gorgona vient d’arriver dans les SAQ Signature: un vin blanc riche, avec un côté beurré mais une note très fraîche, des arômes d’agrumes et de thé vert. Il provient du Marchesi de’ Frescobaldi, un des plus vieux vignobles d’Italie – la maison familiale existe depuis le 14e siècle. Le vin tire son nom de la petite île où il est produit, au large de la Toscane, une île «dont il est difficile de s’échapper à moins d’être un très bon nageur…», sourit Stefano Benini, directeur de l’exportation chez Frescobaldi.
C’est que Gorgona abrite une prison depuis 1869. En 2012, à la suite d’un rapport du ministère de la Justice italien sur le taux de récidive des anciens détenus et leur difficulté à se réinsérer dans la société, le domaine viticole décide de se lancer dans un projet social: former des prisonniers à la viticulture pour soutenir leur réhabilitation. C’est ainsi que des professionnels de la maison sont arrivés avec leurs équipements sur l’île de Gorgona, où deux hectares de vignes avaient été plantés en 1999.
«Les conditions dans les prisons italiennes sont souvent déplorables… Le taux de récidive atteint 60% après la sortie, indique Stefano Benini. Il est donc très important de bien prendre en charge les détenus.» Frescobaldi s’est ainsi mis au défi d’apprendre aux prisonniers les techniques de vinification, sous la supervision d’œnologues et de vignerons.
Vignerons sobres
Et ça marche: les détenus ont produit cette année le quatrième millésime de Gorgona – en agriculture biologique s’il vous plaît. Ils travaillent les cépages vermentino et ansonica, très caractéristiques des vins de la région. «Travailler la vigne, collaborer avec les agronomes et les œnologues, constater le succès du projet et du produit final a créé un enthousiasme énorme chez les prisonniers, qui sont très heureux d’avoir pris part à un projet pareil», assure Santina Savoca, la directrice de l’établissement carcéral de Gorgona.
Mais s’ils produisent du vin, les détenus n’ont pas l’autorisation de boire de l’alcool en prison – on les autorise quand même à goûter. Comme ils n’avaient pas de références en matière de vin leur permettant de comparer arômes et parfums, Frescobaldi leur a organisé une petite formation d’œnologie pour leur apprendre à parler du vin. «Voulant décrire l’amertume, un des prisonniers a dit: “C’est amer comme la vie”, se souvient Stefano Benini. Il était en prison depuis 15 ans déjà…»
Parmi les détenus, se trouverait notamment l’assassin de Maurizio Gucci – de la maison de couture. «Certains ont fait des choses terribles. Mais rien en rapport avec la mafia! soutient le directeur de l’exportation, comme pour nous rassurer. Il s’agit plus souvent de crimes passionnels…» En attendant, le projet fonctionne, et 3 des 50 détenus qui travaillaient les vignes ont déjà trouvé du travail dans l’industrie du vin, dont un chez Frescobaldi.
Œnologie et crimes passionnels
«La possibilité de récidiver est très élevée, surtout dans les prisons très dures où il n’y a pas de possibilité de travailler, indique Santina Savoca. Le travail donne une responsabilité aux détenus, et leur inculque aussi le respect de certaines règles. Sur l’île, tous les prisonniers travaillent et sont très respectueux des horaires; c’est selon nous la meilleure façon de les préparer à se réinsérer dans la société civile. Le projet a été un vrai outil, car il a aidé à l’éducation et à la préparation de prisonniers moins dociles, et qui se sont bien comportés une fois sortis de prison.»
De son côté, la ministre de la Justice italienne pense que ce programme pourrait être copié dans d’autres prisons. L’initiative de Frescobaldi, qui a signé avec le centre pénitentiaire un partenariat de 15 ans, lui a en tout cas valu de passer dans de nombreux médias, attirant jusqu’au New York Times dans son vignoble.
Alors, gros coup de pub ou vraie initiative sociale? Sans doute un peu des deux. En attendant, si 3656 bouteilles du dernier millésime ont été produites (dont 90 sont en vente au Québec), la maison réfléchit à agrandir le vignoble de Gorgona. Et elle aurait un autre projet du même acabit au sud de l’île d’Elbe; avec ses 220 km², il y aurait de quoi embouteiller… Mais rassurez-vous, rien qui ne concerne la mafia.