Vie

Fumoir : Fumer sans feu

Que ce soit pour le poisson, la viande, les épices ou même les sauces, le fumé gagne en popularité. Plusieurs établissements à Montréal utilisent cette technique pour proposer des produits forts en saveur, mais sans jamais dévoiler leurs recettes.

Il fume depuis 11 ans. Pas des Gauloises ni des Marlboro, mais des poissons. Il a commencé avec de la truite et du saumon. Depuis, il en a essayé beaucoup d’autres. De très concluants comme l’esturgeon, le thon blanc et la morue noire, et d’autres moins, comme le tilapia. Jérôme Pelletier est fumeur et il a ouvert en novembre 2010 Le Boucanier.

Quand on franchit la porte de cette charmante échoppe située en plein coeur du Plateau, une délicate odeur de poisson arrive au nez. Immédiatement, le propriétaire accueille les visiteurs faisant face au comptoir rempli de produits fumés. "Les gens m’appellent le boucanier, comme si on parlait d’un boulanger ou d’un boucher", note le personnage haut en couleur qui se fait un point d’honneur de rester proche de sa clientèle. "Je veux fumer mes pièces et pouvoir parler à mes clients. C’est pour cela qu’il y a une lucarne dans le mur de la cuisine", précise-t-il.

Tout droit venu du Lac-Saint-Jean, ce charcutier-fromager de formation a laissé la cochonnaille pour se consacrer entièrement au poisson. "Je ne voulais pas ouvrir une charcuterie ni une fromagerie. Lors d’un voyage au Venezuela, j’ai découvert un grand nombre de poissons et ça m’a donné l’idée d’ouvrir un fumoir. De plus, ça correspond plus à mes habitudes alimentaires, car je mange de moins en moins de viande."

Depuis, l’homme passe environ 70 heures par semaine à côté de son fumoir, que lui seul peut approcher. Comme pour la plupart des fumeurs, la part de mystère autour des techniques et des recettes fait partie du jeu. Il accepte cependant de donner quelques détails sur la préparation de ses poissons. "Pour chaque espèce, la méthode est différente", explique-t-il en précisant qu’il n’utilise que du poisson frais, issu de la pêche raisonnable. "Pour simplifier, je fume à chaud médium. C’est-à-dire que l’extérieur chauffe avec la fumée, mais le centre reste froid." En revanche, pour ses recettes, l’homme reste muet. C’est motus et bouche cousue.

Viande fumée

Idem au restaurant Le Boucan. Rien n’est dévoilé sur les astuces de préparation de Jonathan Nguyen, chef de l’établissement. "Il faut beaucoup de patience pour mettre au point une recette qui fonctionne bien. Ce qui est important, c’est les trois T: température, temps et technique. Mais cela varie en fonction des goûts", souligne l’homme très fier de sa sauce fumée BBQ, qui a passé des nuits entières à vérifier l’évolution de la température de ses pièces pour arriver au bon résultat.

Passionné par les États-Unis, il a voulu, avec son associé Étienne Lacaille, recréer l’ambiance des smokehouses américaines. "Il y a peu d’offres de ce genre à Montréal. On voulait apporter quelque chose de nouveau", raconte celui qui a amélioré ses techniques avec une équipe de smokers de Kansas City. "Là-bas, c’est un sujet très sérieux. Il y a beaucoup de concours et ils sont très fiers de leurs recettes."

Fumer local

Dans une optique plus locale, le tout nouveau restaurant Quai N° 4, rue Masson, fume aussi. "C’est une technique qui se marie bien avec notre terroir. De plus, nous ne proposons que des produits locaux", dit Mathieu Aubin, copropriétaire de la place dont le décor est entièrement issu du recyclage. À la carte, le canard, le maquereau et même les légumes sont fumés à chaud. "C’est plus facile et plus rapide. En plus, cela se marine mieux, souligne-t-il. Pour le menu de printemps, nous voulons faire de la fumaison à froid." L’établissement souhaite aussi proposer du smoked meat, mais la recette n’est pas encore au point.

Tout est bon

Pour obtenir des conseils concrets et de vrais trucs de fumaison, il faut se diriger vers Jean Pagé, chasseur et pêcheur de très longue date. En 2008, il a écrit L’art de fumer le poisson et le gibier dans lequel il donne plusieurs astuces et recettes pour préparer des pièces fumées à la maison.

Que ce soit dans un baril de bois, dans une boîte en carton ou encore dans un vieux frigo, toutes les techniques sont expliquées. "Au Québec, on utilise deux méthodes: à chaud ou à froid. À froid, cela peut prendre des jours, voire des semaines pour de grosses pièces, et dans le commerce, ce sont des produits très coûteux. Le fumage à chaud correspond plus à notre époque car c’est plus rapide, quelques heures suffisent", énonce l’homme qui fume depuis plus de 30 ans. "En été, j’utilise mon fumoir électrique. En hiver, je fume dans mon foyer, ça donne une bonne odeur dans la maison. Je m’amuse toute l’année, et chaque fois, je fais des découvertes."

Pour les novices, il suggère de commencer avec un simple BBQ électrique. "Il suffit de mettre des copeaux de bois dans une assiette en aluminium déposée dans le fond. On place le poisson ou la viande sur une grille au-dessus. En chauffant, le bois se consume et la fumée fume le morceau", explique-t-il en précisant qu’un vieux frigo est aussi une bonne solution, mais demande de fumer de grandes quantités car l’espace est très important.

Pour le bois, il préfère l’érable et le pommier. "Il faut du bois franc ou des arbres fruitiers, mais surtout pas de conifères car ça donne un goût résineux", ajoute-t-il en indiquant que le saumon est une espèce facile pour commencer. "Il faut toujours laisser la peau, comme ça, le poisson ne se désagrège pas et il sera plus facile à couper", poursuit-il. Et pour ce qui est de la marinade, tout, ou presque, est bon: du cognac, du sirop d’érable, de la mélasse, etc. Mais selon lui, un ingrédient fait la différence: les épices de chez Schwartz. "C’est mon secret. J’en mets un petit peu sur la viande et le poisson. Ça a toujours beaucoup de succès."

Carnet d’adresses et info /

Le Boucanier: 4475, rue Marquette, Montréal, 514 439-6566

Le Boucan: 1886, rue Notre-Dame Ouest, Montréal, 514 439-4555, www.leboucan.com

Quai N° 4: 2800, rue Masson, Montréal, 514 507-0516

L’art de fumer le poisson et le gibier
de Jean Pagé
Éd. Broquet, 2008, 104 p.