Vie

Épiphanie : Vive le roi de la galette!

Le pithiviers, vous connaissez? C’est l’autre nom donné à la galette des Rois, en référence à la ville de France d’où vient ce dessert à la frangipane, qu’ont adopté les Montréalais à la dent sucrée pour fêter l’Épiphanie.

L’Histoire veut que le roi Charles IX ait été capturé dans la forêt d’Orléans, tout près de Pithiviers. Reconnaissant le roi, les brigands lui ont alors fait goûter un pâté sucré, qu’il a adoré. Sitôt délivré, il a nommé pâtissier royal l’un des brigands, qui dessina sur son pâté un motif rappelant la roue du carrosse de Charles IX. Un vrai Robin des Bois.

Selon Joanne Lacombe, professeure de pâtisserie à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), peu importe le nom qu’on lui donne, la composition de ce dessert devenu la tradition de l’Épiphanie, ou fête des Rois (le 6 janvier), reste sensiblement la même: un dessert rond et plat fait de pâte feuilletée au beurre, fourré avec de la frangipane (crème d’amandes) et aux contours festonnés, comme une couronne.

Ce dessert très populaire en Europe, et dorénavant facile à trouver dans les pâtisseries montréalaises, aurait traversé de notre côté de l’Atlantique aux alentours de 1967. «Avant Expo 67, à Montréal, la nourriture ethnique se résumait à peu près au restaurant italien Da Giovanni, lance Mme Lacombe en riant. À Expo 67, il y avait des pavillons de chaque pays où l’on pouvait déguster des plats typiques. Après l’expo, plusieurs chefs sont restés à Montréal, et c’est là que la vraie gastronomie ethnique a commencé à se développer.» Les Montréalais ont alors fait la rencontre des pâtisseries françaises, notamment du pithiviers.

Une gâterie en demande

Quelques décennies plus tard, Yves Jacot, originaire de Suisse, a pris le même chemin que les chefs européens d’Expo 67 et a ouvert il y a quatre ans la pâtisserie-chocolaterie Le Petit Fourneau. Selon le pâtissier, la demande pour la galette des Rois est de plus en plus forte au sein de sa clientèle. «Le Québécois est curieux au niveau gastronomie, explique-t-il. Lorsqu’il voit la galette, il demande ce que c’est, et en redemande l’année suivante. Chaque année, j’en vends un peu plus.»

Le secret de la popularité de la galette? C’est sans doute la pâte feuilletée pur beurre – «Et j’en mets en masse, du beurre!» assure M. Jacot -, qui est encore meilleure lorsqu’on la repasse au four une seconde fois, ce qui libère encore plus les arômes de l’amande. C’est peut-être aussi le fait qu’elle ne se trouve que quelques semaines par année. En effet, la plupart des pâtissiers ne la produisent que pour l’Épiphanie. «Mes clients m’en demandent parfois à d’autres périodes de l’année, affirme le chef pâtissier de la rue Rachel, mais je refuse même de la faire entre Noël et le jour de l’An! J’aime le côté traditionnel des plats, j’aime le fait de ne pas en manger toute l’année.»

Mme Lacombe ajoute que sa constance au fil du temps est également unique. De légères variantes existent: au pain brioché, aromatisée à l’eau de fleur d’oranger, mais rien de plus. «Pour le saint-honoré, par exemple, il y a eu des changements. Si le pâtissier est un Québécois, les choux sont trempés dans le chocolat et remplis de salade de fruits, détaille Joanne Lacombe. S’il est Français, les choux sont dans le caramel et fourrés avec une crème chiboust. Les gâteaux forêt-noire se sont modernisés aussi. Le pithiviers, lui, n’a pas changé.»

Cacher la bine

Bien que le dessert soit de plus en plus populaire, la fête religieuse de l’Épiphanie reste peu connue ailleurs qu’en Europe. Joanne Lacombe fait d’ailleurs remarquer que rares sont ses élèves qui peuvent lui dire la date de l’Épiphanie. Ce scénario, Ariane Beaumont, propriétaire de la boulangerie Arhoma, le connaît aussi. La jeune femme, comme beaucoup de Québécois «pure laine», n’a pas connu cette galette à la crème d’amandes dans sa jeunesse. «Ma mère faisait parfois un gâteau, se souvient-elle, dans lequel elle mettait une fève, une vraie bine. Mais c’est à cause de la demande des clients de la boulangerie qu’on a commencé à produire la galette des Rois.» Dans sa boulangerie d’Hochelaga-Maisonneuve, autant d’Européens que de Québécois ont manifesté le désir d’y trouver le dessert traditionnel de l’Épiphanie.

À qui la fève?

Comme c’était le cas pour Ariane Beaumont, c’est peut-être à cause du jeu de la fève que la tradition culinaire liée à la fête des Rois est connue au Québec. Ici et dans plusieurs autres pays où se mange la galette, la personne qui découvre la fève dans sa portion devient le roi ou la reine de la journée. Dans d’autres régions du monde, des superstitions y sont associées. «Parfois, cela annonce une année d’abondance ou d’argent, raconte la professeure Joanne Lacombe. Des fermiers mettent carrément la fève dans le poulailler, pour que les poules pondent bien! En Espagne, on met une fève en forme de couronne sur la corne d’un taureau et on le chatouille. Tout dépendant si le taureau se tourne vers la gauche ou la droite, l’année sera bonne ou mauvaise.»

Pour le pâtissier Yves Jacot, c’est plutôt un jeu rigolo. «Avec mes amis, en Suisse, on achetait toujours une galette pour notre voyage annuel de ski. Celui qui avait la fève skiait toute la journée avec une couronne sur la tête!» Pour d’autres, toutefois, le jeu de la fève se transforme en une quête sérieuse: la fabophilie, activité qui consiste à collectionner les fèves des galettes des Rois. Faites de porcelaine de Limoges ou d’émail blanc, notamment, ces fèves sont de minuscules représentations de petits personnages ou d’animaux. Des collections thématiques existent aussi, et des fabophiles se réunissent sur des forums et sites Internet afin d’échanger sur leurs trouvailles. M. Jacot du Petit Fourneau a même quelques clients qui tentent d’avoir une galette cachant deux fèves, pour grossir leur collection plus rapidement… Les malins!

Carnet d’adresses /

Pâtisserie Chocolaterie Traiteur Le Petit Fourneau: 860, rue Rachel Est, Montréal, 514 521-0387, lepetitfourneau.com

Boulangerie Arhoma: 15, place Simon-Valois, Montréal, 514 526-4662, arhoma.ca

Quelques adresses où trouver la galette des Rois /

Boulangerie De Froment et de Sève: 2355, rue Beaubien Est, Montréal, 514 722-4301, defromentetdeseve.com

Boulangerie artisanale La Miche dorée: 923, rue Bélanger Est, Montréal, 514 656-8286

Boulangerie Mr. Pinchot: 4354, rue de Brébeuf, Montréal, 514 522-7192