Bouffe de rue: état des lieux
Vie

Bouffe de rue: état des lieux

Après une première saison estivale officielle à Montréal qui s’étirera finalement jusqu’au 3 novembre prochain, un certain bilan peut être dressé concernant les foodtrucks de notre métropole. Avec des plus et des moins.

La bouffe de rue n’est pas un fait montréalais. Au contraire, elle rayonne depuis des centaines, voire des milliers d’années partout sur Terre. Fish and chips londonien, yakitori japonais, falafel libanais, thé malien, beignets indiens; la cuisine de rue est un véritable art de vivre et l’affirmation d’identités culturelles propres à chaque pays.

De la tradition à la réintroduction

Le Québec aussi a sa tradition de bouffe de rue, constituée de baraques mobiles à frites et à hot-dogs. À Montréal, en 1946, 190 voitures de cuisine de rue circulaient dans les rues, dont une cinquantaine étaient tirées par des chevaux. Toutefois, en raison de problèmes d’insalubrité, un règlement municipal a banni les petits camions de bouffe en 1947.

La cuisine de rue était donc morte. Jusqu’à ce qu’en 2010, trois amis fondent Grumman’ 78, un camion à tacos qui est vite devenu populaire lors des festivals, seuls endroits possibles pour opérer de la cuisine itinérante. Après trois ans de militantisme, le mouvement des pro-bouffe de rue a finalement gagné son pari cette année. On peut même considérer 2013 comme une période test réussie selon les autorités. «Tout ce qu’on peut dire, c’est que le projet pilote fonctionne bien», avance Annick de Repentigny, de la Ville de Montréal.

Permis probatoire

Les règles qui encadrent toutefois la cuisine de rue sont très contraignantes. Les détenteurs d’un permis – payant, bien sûr – doivent disposer d’une aile de restauration fixe à côté de leur camion, et toute leur production doit être réalisée à l’avance. De plus, les espaces alloués ont été majoritairement concentrés dans l’arrondissement Ville-Marie, forçant les 17 camions autorisés cette année à n’être actifs que trois à quatre jours par semaine. De telles mesures avaient l’avantage de garantir la salubrité de la nourriture produite, de ne favoriser que les projets sérieux, mais aussi de rassurer les restaurants qui voyaient dans cette potentielle concurrence la mort annoncée de leurs commerces. «Le projet a bien défini les sites. C’est un modèle comme celui-là que l’on voudrait pour la suite des choses», souligne François Meunier, de l’Association des restaurateurs. Du côté des camions, par contre, certains s’interrogent sur la viabilité de leurs affaires s’ils ne vendent par endroits qu’une dizaine de salades pendant un service.

Cuisine de rue ou restauration mobile?

Autre thème sensible: le prix de cette cuisine de rue. Les camions de Montréal ont voulu se distinguer de leurs pairs en proposant une nourriture aux couleurs de leur ville, métissée et créative. On n’a pas hésité à utiliser des ingrédients comme du foie gras, du canard, du homard, haussant du même coup la qualité des plats servis et les tarifs. Et si les foodies n’hésitent pas à payer un burger gastronomique de 10 à 15 dollars, un certain nombre de personnes ont jugé que cette cuisine de rue avait quelque part perdu le charme qu’on lui connaissait auparavant à Montréal et qu’on lui connaît toujours dans d’autres villes, comme par exemple New York, où évoluent 5 000 casse-croûte itinérants. Hélène-Andrée Bizier, historienne et essayiste québécoise, pense qu’«ici, on a mis la barre très haut, mais on s’est éloigné du public que l’on voulait toucher. Cette cuisine de rue a beau être savoureuse, elle ne correspond pas automatiquement à ce que les gens aiment, à savoir des choses simples à manger avec les doigts, sans sophistication à outrance et à un prix accessible. On est loin de la convivialité qui caractérisait auparavant la bouffe de rue. C’est dommage.»

Alors, élitiste, la cuisine de rue montréalaise? Ou peut-être peut-on plutôt parler de restauration mobile, en raison de cette approche gastronomique? Devrait-on d’ailleurs élargir l’offre actuelle avec des camions proposant une offre alimentaire plus simple? Plusieurs questions épineuses de ce type sont déjà dans les esprits et feront l’objet de discussions probablement animées une fois le prochain maire élu. L’enjeu, lui, est à la hauteur des potentialités économiques de ce secteur.