Le marché du lunch
Vie

Le marché du lunch

À midi, la plupart d’entre nous font une pause pour manger, soit au bureau, soit à l’extérieur. Et cette manne, les restaurateurs, mais aussi de plus en plus de magasins, l’ont perçue et comptent bien en profiter. Portrait d’un marché en pleine effervescence.

Varier le contenu de sa boîte à lunch n’est pas un talent donné à tous. Voilà pourquoi de nombreux travailleurs se font livrer leur repas, vont se chercher un sandwich ou un plat prêt-à-manger, ou bien vont carrément s’attabler dans l’un des nombreux restaurants qui proposent des spéciaux du midi. De telles habitudes ne sont pas nouvelles, mais ce qui l’est davantage, c’est la variété de l’offre dans un marché auparavant saturé par les «déli» et autres cantines de quartier, ainsi que le prix très attrayant offert par ces formules plus recherchées.

Le lunch au resto: qualité et bon prix

Nous avons décidé d’investiguer dans le centre-ville et dans le Vieux-Montréal, deux quartiers dont la concentration de travailleurs est importante. Intéressons-nous tout d’abord au Helena (438, rue McGill, Montréal, 514 878-1555, restauranthelena.com), un restaurant du Vieux-Montréal devenu, en l’espace d’un an, la coqueluche de la clientèle d’affaires du coin. Pourquoi? Parce qu’on y trouve des menus trois services à 21$ dont la qualité est surprenante. Pour preuve, voici quelques éléments du menu du 11 novembre dernier: salade de pieuvre et d’endives en entrée, morue fraîche rôtie accompagnée de sauce vierge et de purée de céleri-rave, dessert du bolo, une spécialité portugaise qui correspond à un gâteau aux amandes, aux pêches et au chocolat blanc. «Nous avons toujours trois choix d’entrées et de plats, dont plusieurs de poissons frais», ajoute Helena Loureiro, chef et copropriétaire de l’endroit. On se trouve ainsi à des années-lumière des pizzas graisseuses, du burger-frites et des hot chicken, sans en payer véritablement le prix. Mais comment fait-on pour s’en sortir financièrement? «Les gens font de plus en plus attention aux prix, alors nous réalisons moins de marge par client, mais faisons du nombre. De plus, ces mêmes clients, s’ils sont satisfaits à midi, reviendront plus longuement, entre amis ou en famille, le soir, alors nous ne pouvons pas nous permettre de les décevoir.»

À quelques rues de là, on retrouve le même souci de qualité et de prix compétitifs au restaurant L’Autre Version (295, rue Saint-Paul Est, Montréal, 514 871-9135, restoversion.com), une bonne table qui propose, les midis de la semaine, une formule à 15$ – mais oui – comprenant une entrée et un plat du jour. Lorsqu’on sait qu’on peut déguster sur place, au même moment, des raviolis de pintade sauce forestière ou un tartare de bœuf, chou mariné et croustilles maison, on n’hésite pas à profiter de cette aubaine dans un cadre aussi agréable. 

On se dirige par la suite au centre-ville, ou un autre rapport qualité-prix très intéressant nous attend au magnifique (le qualificatif n’est pas extravagant) bistro La Société (1415, rue de la Montagne, Montréal, 514-507-9223, lasociete.ca). Pour 25$, on y déguste à midi un repas de trois services composé notamment de plats du jour récurrents – mardi, la blanquette de veau; mercredi, la tartine de porc, etc. – et de choix au menu aussi attrayants qu’une salade repas contenant du foie gras au torchon, de poitrine de canard fumée, de tranches de mandarine et de noisettes. Ça donne envie.

Miser sur l’originalité

Chaque restaurant a bien sûr son style, mais on s’attend souvent, le midi, à se voir offrir des formules traditionnelles de type entrée, plat de résistance, dessert. Toutefois, on voit que ces propositions évoluent au même titre que les attentes des clients, et que certains établissements se distinguent de leurs concurrents en changeant la donne. C’est le cas au Toro Toro (260, rue Notre-Dame Ouest, Montréal, 514 439-9119, torotoro.ca), où l’on mange pour une vingtaine de dollars une entrée, un dessert et les mêmes plats de résistance que ceux servis le soir… en format entrée! «Je ne voulais pas qu’on se contente d’un habituel plat de poulet ou de saumon avec des légumes, explique Tommy Matteau, chef et copropriétaire du restaurant. On a donc pensé à cette formule qui permet aux clients d’avoir plus de choix. En fait, s’ils viennent cinq fois par semaine, ils peuvent chaque fois manger quelque chose de différent.» Et les jolies choses ne manquent pas sur la carte de cette taverne espagnole aux longues tables qui favorisent la proximité. Il faut selon le chef absolument goûter aux Albondigas y Picada, composées d’une boulette de veau accompagnée d’aubergines grillées, de pignons de pin et de fromage Rocinante. «Et nos clients adorent notre paella remaniée au riz crémeux safrané, aux moules et au chorizo.» Mais là encore, une telle formule est-elle vraiment possible lorsqu’on veut faire de la qualité? «C’est une question de logique. Il faut juste sélectionner des éléments qui ne sont pas trop chers, tout en s’assurant de leur qualité et en les travaillant un peu plus pour être certain de plaire aux clients. Le plus important, sur un marché où la guerre des prix fait rage, c’est d’offrir un excellent rapport qualité-prix – les gens ont de plus en plus tendance à regarder la colonne des prix avant même de regarder les items du menu – afin d’offrir une bonne visibilité à notre établissement et de fidéliser notre clientèle. Notre petit plus au Toro Toro, c’est aussi de fournir un service efficace, tout en prenant le temps de parler aux clients, de leur faire vivre une expérience même le midi.» C’est peut-être ce qui amène les gens qui vont dans ce restaurant à plutôt étirer qu’à écourter leur lunch sur place, étonnamment. «Effectivement, on ne s’y attendait pas, mais les touristes de passage et les groupes d’employés restent finalement une bonne partie de l’après-midi au resto.» On devine que l’ambiance festive du lieu et la chaleur du personnel y sont pour beaucoup.

 

Le lunch: une déclinaison de saveurs

Que vous aimiez le chaud ou le froid, la cuisine québécoise ou méditerranéenne, les plats riches ou santé, le marché du lunch propose à présent un éventail de possibilités. Et qui de mieux que le Groupe Europea, qui gère le restaurant Relais & Châteaux du même nom ainsi que trois autres établissements et deux boutiques, pour dresser un portrait honnête de ce secteur? Ludovic Delonca, un des trois partenaires du groupe, résume son approche de la manière suivante: «Quelles sont les clés du succès dans le domaine du lunch? Il faut s’assurer que les clients mangent bien, que le service soit rapide, et que le montant de la facture ne soit pas cher. Lorsque ces trois éléments sont réunis, on réussit en général. De notre côté, en plein cœur du quartier des affaires et au centre-ville, nous proposons des formules de trois services au coût de 22$ en moyenne et servies en 45-50 minutes. Nous avons en effet constaté l’existence d’une barre psychologique lorsqu’on excède les 30$, même pour les cadres.» Bien sûr, d’autres atouts sont à prendre en compte pour fidéliser la clientèle et établir un lien de confiance qui lui fera choisir un établissement plutôt qu’un autre. «Nous proposons au Beaver Hall (1073, côte du Beaver Hall, Montréal, 514 866-1331, beaverhall.ca), au Andiamo (1083, côte du Beaver Hall, Montréal, 514 861-2634, andiamo.ca) et au Birks Café (mezzanine de la bijouterie Birks, 1240, Square Phillips, Montréal, 514 397-2468, maisonbirks.com) des plats qui, sans être sophistiqués, sont rassembleurs. Il peut s’agir de mijotés, de plats de légumes ou de poissons. Et nous pouvons nous permettre d’assurer une belle qualité des ingrédients, car notre groupe a une force d’achat assez importante. Cette constance, nos clients la connaissent et l’apprécient, si bien que certains d’entre eux ne se posent pas de question et viennent chez nous du lundi au vendredi. Il y en a même qui n’ouvrent pas la carte et demandent automatiquement le plat du jour. C’est un beau signe de confiance.»

Vite, beau, bon, constant et pas cher. Est-ce que ce sont les seuls éléments qui peuvent faire pencher la balance quand on se cherche un resto le midi? Eh bien non. L’originalité joue un rôle, comme nous l’avons expliqué plus haut, mais on peut aussi penser au maître mot de beaucoup lorsque vient le temps de manger: la santé. «Les gens font de plus en plus attention à leur tour de taille et, plus généralement, à leur santé. Nous proposons donc des plats plus légers et sommes surpris de voir qu’au Beaver Hall, à la réputation carnée, nous servons plus de poisson que de viande.» Toutefois, si la gastronomie ne s’arrête pas au foie gras et au caviar, les plats santé ne sont pas insipides non plus, loin de là. On peut par exemple penser, en regardant le menu du Birks Café, au potage signature de la nouvelle carte, à savoir un curry de butternut au lait de coco, tofu et fèves de soya à la coriandre. Ou bien aux pétoncles géants, servis avec une fricassée de girolles aux palourdes, servis en plat de résistance. Une vraie fête des sens en perspective.

Repas gourmet à emporter ou livré: une formule en plein essor

Depuis l’Espace Boutique Europea (33, rue Notre-Dame Ouest, Montréal, 514 844-1572, europeaespaceboutique.ca), de 300 à 600 repas sont livrés chaque jour dans des bureaux, ce qui correspond à 80% des ventes sur place. «En dehors des réunions-repas, nous remarquons qu’un certain nombre de personnes gagnent du temps en se faisant livrer leur repas et peuvent ainsi quitter plus tôt leur travail», commente Ludovic Delonca. Ce qui ne veut pas dire, encore une fois, que la qualité est reléguée au second rang parce que l’on sert essentiellement des sandwichs et des salades. Pour 13$, taxes comprises, on va effectivement avoir droit à un plateau-repas comprenant un sandwich de la meilleure qualité possible – par exemple à l’agneau de Kamouraska – une délicieuse pâtisserie et une boisson. Bref, on peut se permettre, pour quelques dollars de plus, de manger bien plus qu’un sous-marin et un burger-frites proposés par les grandes enseignes internationales.

L’offre prévalant à l’Espace Boutique Europea et au récent Café Grévin du même groupe se retrouve-t-elle de la même manière dans des commerces de plus petite dimension? Oui, et il semblerait que dorénavant, les boulangeries, cafés, épiceries fines et même boucheries se lancent dans le marché du lunch. On peut par exemple penser à la Boucherie Prince Noir du Marché Jean-Talon, à la boulangerie ArHoMa et au Café des Alizés dans Hochelaga-Maisonneuve, qui proposent pour les uns des sandwichs, pour les autres des plats du jour et à emporter invitants. Pour nous recentrer sur le centre-ville montréalais, l’épicerie fine Fou d’ici (360, boulevard De Maisonneuve Ouest, Montréal, 514 918-5987, foudici.com) est un bon exemple de repas du midi de qualité consommable sur place ou à emporter. En effet, en plus de trouver sous un même toit des produits frais, de qualité et souvent locaux dans toutes les sphères de l’alimentation (boulangerie, boucherie, poissonnerie, fromagerie, potager, cafés et thés, produits secs, etc.), on a judicieusement profité de cet achalandage pour concevoir toute une gamme de sandwichs, sushis, salades et plats qui font le bonheur de beaucoup de travailleurs du centre-ville. Alors, le lunch gourmet à emporter ou livré est-il un marché d’avenir? Oui, cela ne fait aucun doute.