La tradition gourmande pascale, d’hier à aujourd’hui
Chaque année, pour Pâques, nous préparons et mangeons sans nous en rendre compte un certain nombre de plats dont l’histoire et la symbolique sont réellement fascinantes. Alors, plongez avec nous dans le passé de cette tradition gourmande, afin d’en découvrir la richesse et de suivre son évolution jusqu’à notre panier d’épicerie.
Une fête lointaine
On considère toujours Pâques comme une des fêtes chrétiennes les plus importantes. C’est tout à fait vrai, mais pour trouver ses racines, il faut remonter bien plus loin. «C’était à la base une fête païenne qui célébrait le retour du printemps et, du même coup, de la vie et de la lumière», explique Michel Lambert, chef, historien et auteur de l’impressionnante série en cinq tomes Histoire de la cuisine familiale du Québec (éditions Gid). Les rituels qui étaient associés à Pâques au Québec par le passé, amenés par trois grands groupes de migrants, les Français (héritiers des Francs), les Anglais (héritier des Celtes), et les Germains, avaient ainsi des symboliques qui mêlaient christianisme et traditions séculaires.
C’était par exemple le cas de l’eau de Pâques, une pratique qui existe encore dans certains villages québécois. Lorsque Michel Lambert, originaire du Saguenay, était enfant, il se levait avant l’aurore, afin d’aller chercher de l’eau de source naturelle dont les propriétés magiques servaient aussi bien à prémunir sa maison de dangers comme un feu, qu’à soulager les douleurs d’une femme enceinte. «Cette marche vers la source était une occasion de fêter dès le petit matin. Nous étions dans mon coin 600 à 700 personnes à emplir notre petite bouteille, et nous étions même accompagnés par des musiciens.»
L’incontournable œuf de Pâques
Pourquoi l’œuf est-il devenu le symbole le plus important de la fête pascale? Michel Lambert y voit deux explications. D’une part, comme l’œuf est par essence une figure de la naissance et de la vie, les Francs et les Germains avaient pour habitude d’offrir des œufs à la déesse du printemps Ostara, dont le nom s’est ensuite traduit dans les mots «easter» (anglais) et «ost» (allemand), qui signifient «aube». D’autre part, de manière beaucoup plus pratico-pratique, la longue période de carême chrétienne à laquelle étaient astreints adultes comme enfants (ils devaient manger maigre pendant 40 jours, c’est-à-dire sans viande, ni gras animal d’aucune sorte) faisait en sorte qu’à Pâques, il y avait des œufs à ne plus savoir qu’en faire. On en consommait donc sous toutes les formes: durs en salade, miroir avec du lard grillé; «et toutes les familles préparaient, le lundi de Pâques, une grosse crêpe dont on battait l’appareil avant de la faire cuire dans un poêlon au four. Il en ressortait une sorte de grosse omelette boursouflée qu’il fallait se dépêcher de manger avant qu’elle ne perde du volume.» Il y avait même tellement d’œufs qu’on s’amusait avec les enfants à en décorer ou à faire des batailles rangées pour savoir qui casserait l’œuf (dur) de l’autre.
Party de chocolat
On comprend maintenant mieux pourquoi les œufs sont si populaires au menu à Pâques. Mais le coco en chocolat, lui, quand donc est-il apparu? «C’est une tradition beaucoup plus récente que nous devons aux Anglais», répond Michel Lambert. En 1847, on ne consommait en effet le chocolat que sous une forme liquide. Les Britanniques Fry (du Cacao Fry bien connu) ont alors mis au point une préparation plus épaisse mêlant du beurre de cacao fondu au mélange habituel de fèves et de sucre. Ils ont ainsi été en mesure de mouler de premières tablettes et, pour Pâques, de verser cet appareil dans des œufs pour qu’il en prenne la forme. Le coco en chocolat était né. Les cassantes coquilles ont été par la suite remplacées par des moules en métal, ce qui a popularisé cette sucrerie, que l’on achetait initialement recouverte d’un papier de plomb.
Les autres formes typiques en chocolat que l’on retrouve à Pâques ne sont pas le fait de familles ou d’artisans créatifs, mais plutôt de compagnies en développement. Avec toutefois des liens intéressants à tisser avec le passé, comme c’est le cas pour le lapin, associé à la fertilité depuis l’Antiquité et qui, chez les Germains, apportait des œufs à Pâques. Les coqs (et les poules), d’inspiration celte, ont ensuite fait leur apparition… avant que toute la basse-cour ne suive. C’est le cas par exemple chez Glaces et Chocolats Hartley (670, avenue Victoria, Saint-Lambert, chocolaterie-hartley.com), dont le propriétaire Yannick Branger, Québécois d’adoption depuis 40 ans, a vu évoluer la tradition pascale dans sa spécialité. «On préparait déjà des cocos, des lapins et des poules à mon arrivée. Et je travaille toujours avec certains moules qui ont plus de 100 ans. On les reconnaît car ils sont en acier et recouverts d’une fine couche d’argent ou d’étain, deux matériaux non poreux et qui ne rouillent pas.» Qu’est-ce qui a changé au cours des 50 dernières années, selon lui? La diversification des modèles en chocolat (les animaux côtoient maintenant des héros de dessins animés), mais aussi la qualité de ce dernier. «Il était difficile à l’époque de trouver du chocolat de qualité. On préférait offrir un gros lapin de trois pieds de haut en faux chocolat, plutôt que d’en prendre un moins grand et au goût bien meilleur.» Si les temps ont changé et qu’aujourd’hui, le chocolatier vend des moulage réalisés avec du très bon chocolat (Valrhona et DGF), les ventes, elles, n’ont pas baissé: «Les mamans et les grands-mamans en achètent pour les petits, mais aussi pour leurs enfants même s’ils ont 60 ans.»
Le jambon traditionnel
Si, en Europe, l’agneau pascal est immanquablement sur les tables, au Québec, cette tradition n’a jamais été populaire. «On aimait manger de l’agneau, au goût moins prononcé que le mouton, mais on ne l’associait pas à Pâques en particulier, explique Michel Lambert. Ce sont en fait les Anglais, friands du gigot d’agneau servi avec de la gelée de pommes parfumée à la menthe, qui ont popularisé la consommation de cette viande.» Une viande que l’on aime maintenant sous plusieurs formes, du gigot prisé des néo-Québécois d’origine européenne, au rôti d’épaule, au carré et aux côtelettes, que l’on aime faire cuire sur le barbecue dès l’arrivée des beaux jours.
La viande en fait incontournable de Pâques au Québec, c’est le jambon. Et une fois encore, le christianisme n’y est pour rien. «C’est en fait une tradition héritée des Celtes. Ils considéraient le cochon comme un animal intelligent, presque comme un Dieu. Ils le laissait s’alimenter librement dans les bois, près des chênes dont il adorait les glands, une habitude qu’ont repris les Français par la suite. On procédait à deux abattages de porc chaque année: en prévision de Noël en décembre, puis en prévision de Pâques. Et comme à l’époque on ne disposait pas de moyens de conservation efficaces contre la douceur printanière, la manière la plus simple de préserver toute cette viande était de la fumer. Je me souviens d’ailleurs que cette fumaison pouvait durer un mois entier.»
Il est à présent assez rare de trouver du jambon traditionnel salé et enrobé de mélasse qui bénéficie d’une si longue préparation (les intéressés peuvent semblerait-il en réserver au restaurant Le Petit Poucet de Val David), mais les bons bouchers en préparent beaucoup pour régaler les familles. C’est le cas chez Viande S.G. (deux adresses à Montréal, viandesg.com), où le jambon à l’os est l’un des meilleurs vendeurs pour Pâques, année après année. Il faut aussi dire que le temps des cabanes à sucre bat au même moment son plein, donnant toute sa saveur au jambon cuit dans du sirop ou de l’eau d’érable. La nouvelle génération perpétue-t-elle aussi cette tradition? «Oui, répond, Bernard Limoges. Les jeunes sont toujours attachés à leur jambon, même s’ils font plus d’essais en achetant de la viande à fondue, à raclette, ou encore du jarret de porc.»
Poissons et fruits de mer
Le poisson est peut-être le symbole du premier avril, mais il n’est pas traditionnellement associé à Pâques au Québec. Certes, le Vendredi saint, le jeûne auquel les chrétiens étaient contraints a peu à peu cédé sa place à une alimentation sans viande, mais ouverte au poisson. Michel Lambert raconte d’ailleurs que lorsque le printemps arrivait tôt et qu’il était possible de pêcher, on servait à Pâques de l’alose, un poisson voisin de la sardine qui frayait comme les saumons dans les rivières. On n’en consomme plus aujourd’hui, mais grâce aux progrès des moyens de transports et de conservation, il est à présent possible d’avoir de superbes produits québécois au menu. «Nous venons juste de commencer la saison du crabe des neiges, des crevettes et des poissons frais, explique William Asselin-Lebreux, des Délices de la mer (Marché Jean-Talon, 7070, avenue Henri Julien, Montréal, lesdelicesdelamer.com). Pâques coïncide donc avec un renouveau sur nos tablettes.» Les produits fumés (saumon, maquereau et thon) sont également de plus en plus en vogue dans la poissonnerie, qui a ses assises en Gaspésie. Même chose du côté de la Poissonnerie Sherbrooke (5121, rue Sherbrooke Ouest, Montréal, poissonneriesherbrooke.com), littéralement assiégée par les clients qui fêtent Pâques comme par ceux, de religion juive, qui fêtent la Pessa’h.
Desserts un jour, desserts toujours
C’est connu, au Québec, nous avons la dent sucrée. Et bien avant que le chocolat ne s’invite sur nos tables et dans nos jardins pour Pâques, nous avions l’habitude de nous sucrer le bec. Indissociable de cette fête, la fameuse brioche avec une forme de croix dessinée dessus, que nos ancêtres appelaient une galette, était traditionnellement parfumée à l’anis (en fait, du carvi sauvage trouvé dans les fossés), ou au rhum avec des raisins de Corinthe. On la consomme toujours, contrairement aux œufs à la neige (îles flottantes), qui constituaient pourtant le dessert par excellence du repas familial du lundi de Pâques. La tarte aux œufs, une grosse omelette à la crème et à la muscade, a également disparu des tables, au grand regret de Michel Lambert, qui travaille à la reconnaissance de ce patrimoine gastronomique oublié par le biais de l’organisme Cuisine patrimoniale du Québec (cuisinepatrimonialeqc.org) avec plusieurs chefs comme Guillaume Cantin et, prochainement, La Tablée des chefs.
Dans l’attente de cette réappropriation de desserts du passé, le choix ne manque pas chez nos boulangers-pâtissiers. Chez MariePain (cinq succursales dans le Grand Montréal, mariepain.com), en plus de modèles en chocolat belge produits par la chocolaterie Heyez, à saint-Bruno, le pain du mois est aux pépites de chocolat, les brioches prennent la forme de lapins et les éclairs s’égaient de motifs animaliers colorés. À la Pâtisserie Lescurier (1333, avenue Van Horne Ave, Outremont, 514 273-8281), on peut se procurer des gâteaux à la crème au beurre en forme de nids, des fraisiers décorés pour Pâques et des œufs-entremets irrésistibles en quatre versions: l’Érable, avec une génoise aux amandes (le modèle préféré d’Ève Richard, la gérante, car il n’est pas trop sucré); le Royal, constitué d’une mousse de chocolat blanc et noir et d’un croquant au praliné; l’Ensoleillé, avec une mousse yogourt vanille-crémeux exotique et un biscuit moelleux au citron; et enfin le Fleur de sel, dont la ganache à ce parfum se marie avec une mousse et une génoise au chocolat. Sans compter les chocolats de Pâques réalisés sur place dans une centaine de moules. Enfin, pourquoi ne pas succomber à la tendance des beignets en vous rendant chez Léché Desserts (640, rue de Courcelle, Montréal, lechedesserts.ca), où on a, pour l’occasion, créé un beigne dont le centre, en crème fouettée, sert de nid à des petits œufs en chocolat. Ah, ce qu’on aime Pâques!