Le washoku: au-delà du sushi
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Le washoku: au-delà du sushi

Déclaré patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2013, le washoku est une philosophie culinaire prônant l’équilibre nutritionnel et l’harmonie esthétique à table. Elle relève beaucoup plus du rituel que de la simple nécessité de se nourrir.

En me rendant au restaurant japonais Shinji dans Griffintown, j’ai croisé un collègue qui, après s’être enquis de ma destination, m’a répondu qu’il n’aimait, pour sa part, pas les sushis. Étonnamment, il n’aurait pu avoir plus tort quant à ce que j’allais manger ce soir-là. Le Shinji est l’un des seuls établissements à Montréal qui pratiquent l’art culinaire du washoku, un type de cuisine japonaise qui se résume à bien plus qu’aux makis et aux nigiris.

S’étant intéressé au sujet pour un reportage à l’émission Bien dans son assiette, le journaliste Claude Brunet explique: «Ces traditions culinaires japonaises sont extrêmement riches et vont bien au-delà de la simple préparation des repas. Les pratiques associées au washoku sont particulièrement visibles lors des fêtes, comme celles du Nouvel An, où les plats ont chacun une signification symbolique. Les repas se prennent en famille et permettent la transmission intergénérationnelle des connaissances de base et de la dimension spirituelle associées au washoku. C’est le partage de ce savoir-faire qui assure la cohésion de la famille et, par le fait même, la cohésion de la société japonaise.»

C’est donc à ce type de cuisine qu’on a droit au Shinji, qui a été nommé d’après son chef Shinji Nagai. Alors que la mode actuelle est aux bistros du genre izakaya et yoshoku  sortes d’antonymes culinaires au washoku et qui réfèrent plutôt aux sushis, ramens et autres plats japonais popularisés en Occident –, le chef Nagai a choisi de retourner à la cuisine classique qui l’a vu grandir. «À Vancouver, où j’ai habité durant deux ans, les gens mangeaient plus de japonais traditionnel, mais pas à Montréal», confie-t-il. Depuis quelques mois, il tente de remédier à la situation dans son restaurant éponyme.

Sa soupe soba, plat typique de célébration de la nouvelle année, en est un parfait exemple avec son bouillon réconfortant, son bœuf shabu-shabu et ses nouilles au sarrasin faites maison qui n’ont rien à voir avec les sobas préfabriquées auxquelles vous avez déjà goûtées. On trouve aussi beaucoup de poissons crus dans le washoku, mais selon le chef Nagai, bien que les Occidentaux l’apprécient, ils s’attendent à le voir enroulé dans une feuille d’algue ou, encore, surmontant du riz. Il se doit donc de trouver un juste équilibre entre tradition et Occident. «Je dois m’adapter. Par exemple, j’accompagne tous les plats de sauces, alors qu’au Japon, on n’assaisonne qu’avec un peu de jus de citron», précise-t-il. Alors, laquelle de ses assiettes incarnerait le mieux ce washoku moderne? «Le plat « Gindara », de la morue noire d’Alaska au miso et au sirop d’érable d’ici», répond-il fièrement.

En effet, il lui importe de respecter l’un des principes de base du washoku, soit l’utilisation d’ingrédients d’origine naturelle et de production locale. C’est pourquoi il se procure du bœuf Wagyu élevé non pas au Japon mais au Québec, et qu’il se tourne vers le lac Brome pour s’approvisionner en canard. Ce souci d’utiliser des aliments bons pour l’environnement et bons pour la santé est au cœur du washoku. Claude Brunet parle même d’une question de santé publique: «En renonçant à leur culture culinaire classique, les Japonais ont développé de mauvaises habitudes alimentaires qui ont mené à l’obésité. Le gouvernement veut donc ramener la cuisine traditionnelle afin de leur assurer une meilleure qualité de vie.»

Manger avec plaisir des aliments bons pour la santé. Le washoku s’avère finalement beaucoup plus familier qu’à première vue. Cet art culinaire millénaire, qui est sans doute né du désir d’une mère de bien nourrir sa famille tant sur le plan du goût que de la santé, est quelque chose à quoi on peut tous s’identifier, indépendamment de notre culture. Les rituels y étant associés ne sont pas sans rappeler nos repas traditionnels du temps des fêtes et c’est ce même esprit festif qu’on retrouve au vibrant restaurant de la Petite Bourgogne.

Shinji 1732, Notre-Dame Ouest, Montréal438-384-1270 shinjimtl.com