Ces petites bêtes qui montent… jusque dans nos assiettes!
L’entomophagie, ou la consommation d’insectes, est en train d’envahir notre système alimentaire.
En 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture faisait paraître le fruit d’une recherche de dix ans portant sur le rôle des insectes dans la sécurité alimentaire et la sauvegarde de l’environnement. Le rapport prévoyait la hausse de la population mondiale jusqu’à 9 milliards de personnes d’ici 2030, ce qui entraînerait une augmentation de la production alimentaire humaine et animale ainsi qu’une empreinte environnementale alarmante.
Une question y était soulevée: comment nourrir un plus grand nombre de personnes avec autant de ressources, voire moins? La solution proposée? En mangeant des insectes, car contrairement au bétail traditionnel, ces sauveurs à six pattes requièrent considérablement moins de nourriture et d’eau et émettent des quantités minimes de gaz à effet de serre, tout en comportant une valeur nutritive autant élevée, sinon plus.
Si l’entomophagie s’éloigne diamétralement du régime alimentaire de l’Occident – jusqu’à y susciter le dédain –, elle a toujours fait partie de l’alimentation humaine et est encore aujourd’hui pratiquée par plus de 2 milliards de personnes dans nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
En entendant parler de consommation d’insectes au Québec, beaucoup d’individus de la génération Y pensent d’emblée à la fête annuelle Croque-insectes qui a eu lieu à l’Insectarium de Montréal de 1993 à 2005, attirant jusqu’à 30 000 visiteurs chaque année. Plus ludique que théorique, l’activité invitait les gens à relever le défi de déguster des bestioles apprêtées gastronomiquement, telles que des phasmes, des grillons et des scorpions.
Jean-Louis Thémis, professeur à Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et auteur du livre Des insectes à croquer, a longtemps été chef de l’événement. «Je me suis mis à m’intéresser à la consommation d’insectes en apprenant que le quart de la planète en mangeait non pas par nécessité, mais par gourmandise», relate-t-il. Comment expliquer ce goût recherché et, surtout, comment l’adapter à la cuisine traditionnelle?
«Il y a beaucoup de chitine dans les insectes, c’est la même qu’on retrouve dans les crustacés, avance le chef. Il est donc facile de faire des parallèles avec les recettes classiques, en faisant des bisques de sauterelles, par exemple. Quand l’insecte est sous forme de larve, il est plus charnu, plus près de la viande; on peut donc en faire des terrines, des farces, des sauces à spaghetti… Il est aussi possible de remplacer le bacon ou le lard des salades par des grillons sautés, poursuit-il. C’est vraiment croustillant et il y a un petit goût de noix. On finit par s’habituer à la forme, ce n’est pas si différent d’une crevette finalement…»
«Ce qui m’intéresse dans l’entomophagie, c’est le côté gastronomique, insiste le chef. Je n’aime pas beaucoup le langage alarmiste, ça fait peur aux gens. Les Nations Unies qui disent qu’on n’aura bientôt plus le choix de manger des insectes… Ce n’est pas très invitant, alors qu’ils sont en fait savoureux!»
Malheureusement, la barrière du dégoût est bien présente chez nous, contrairement à l’Europe, par exemple, où plusieurs chefs étoilés ont intégré les insectes à leur carte. On pense à David Faure du restaurant Aphrodite à Nice qui sert des grillons, des vers de farine et des larves de ténébrion meunier dans son menu Alternative Food. Ou encore au Nordic Food Lab, au Danemark, laboratoire mis sur pied par le célèbre René Redzepi (du restaurant Noma) pour développer des recettes destinées aux non-initiés à l’entomophagie. On leur doit, entre autres audacieuses découvertes, le Anty Gin, un gin distillé à partir de fourmis rousses des bois.
«Ici, ce n’est pas encore évident. Il y a un vrai travail à faire auprès des chefs», de conclure le chef Thémis. L’un d’entre eux se risque à intégrer l’entomophagie au menu d’un restaurant mexicain de Montréal une fois par mois, en proposant une table d’hôte où les insectes sont à l’honneur de chaque plat; un concept tout de même cohérent puisque ces derniers font déjà partie de la cuisine mexicaine.
S’approvisionnant chez Gourmex – entreprise québécoise qui importe des produits gourmets du Mexique –, le chef de La Selva, Ali David Caro Garcia, sert de l’ahuautle (caviar de moustique), des gusanos de harina (vers de farine), des chapulines (sauterelles) et des cocopaches (type de coquerelles) à des clients curieux. «Lors de ces soirées, mon but n’est pas de remplir le restaurant, mais bien de sensibiliser les gens», précise-t-il.
D’autres entreprises d’ici tentent tranquillement d’introduire l’entomophagie dans l’alimentation, mais le font le plus souvent par l’entremise de produits transformés. Riche en fibres, en acides gras et en vitamines, la protéine d’insecte constitue un parfait nutriment à ajouter aux barres tendres, par exemple, et, ainsi transformé, aucun risque que la forme de l’insecte répugne le consommateur.
Confrontés à ces préjugés, trois jeunes entrepreneurs interpellés par les façons alternatives de se nourrir et l’utilisation intelligente des ressources ont choisi de miser sur la consommation animale d’insectes plutôt qu’humaine lorsque vint le temps de se lancer en affaires. «Les insectes font déjà partie de la diète naturelle des animaux. Du côté des humains, il y avait un risque que ça reste longtemps un produit de niche…», estime l’un des cofondateurs de BugBites, Philippe Poirier.
Leurs gâteries pour chien promettent de transformer votre pitou en superhéros à la rescousse de la planète, une bouchée à la fois. Comment s’y prennent-elles? En remplaçant les protéines de poulet ou de bœuf traditionnellement utilisées par de la farine de grillon, BugBites réduit la quantité de nourriture, d’espace et d’eau – chaque sac en sauve 35 litres – requis pour nourrir les animaux. Offertes en deux saveurs – banane-arachides et pomme-canneberges –, les gâteries font l’unanimité, tant chez les clients canins qu’humains. Le trio convoite à présent le marché félin.
Si l’idée d’ingérer des bestioles fait encore grimacer plusieurs d’entre nous, une telle révolution dans la façon de nourrir nos animaux de compagnie représenterait un pas significatif dans la bonne direction. Tous ensemble pour l’écoresponsabilité alimentaire en 2016? Une résolution pas piquée des vers!