«100 jours sans viande» : le végétarisme expliqué aux Français
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«100 jours sans viande» : le végétarisme expliqué aux Français

La journaliste française Aline Perraudin a décidé d’arrêter la viande pendant plus de trois mois et de raconter dans un livre son cheminement végétal, pas si facile au pays des abats et du saucisson. Le livre vient d’être publié au Québec ; et la province est selon elle plutôt en avance dans le domaine… Entretien.

« Pourquoi et comment arrêter de manger de la viande ? » Le sujet n’est pas nouveau, mais Aline Perraudin use de son savoir-faire de journaliste et étaye son expérience personnelle de recherches et d’informations précises, notamment sur les coulisses de l’industrie de l’élevage et de la transformation de la viande.

L’auteure n’est pas dogmatique et fait preuve d’ouverture d’esprit ; comme dans tout régime, il y a à prendre et à laisser, et cela reste avant tout un choix et une affaire personnelle… Parce que devenir végétarien, c’est « une révolution du palais, un coup d’État culinaire qui demande de la préparation ».

VOIR : Quelle est la place de la viande en France ?

Aline Perraudin : Chez nous il y a vraiment une culture de la viande, qui est centrale dans la gastronomie française. À l’école, on apprenait il n’y a pas si longtemps encore aux futurs restaurateurs que la viande c’était deux tiers de l’assiette ! Mais cette vision de la cuisine française, c’est aussi celle d’une cuisine bourgeoise du XIXe siècle ; les paysans ne mangeaient pas 200g de viande par jour. Si on pouvait redécouvrir la cuisine traditionnelle, à savoir une cuisine où la viande est un accompagnement qui donne du goût, et n’est pas au centre du repas…

Et les végétariens dans tout ça ?

Ils sont à peine 3% de la population française. On avait une image idyllique de l’élevage, l’image d’une France d’avant, mais là une prise de conscience est en train d’avoir lieu. Je ne pense pas que les gens vont tous arrêter la viande, mais ils sont en tout cas prêts à réduire leur consommation. On note une tendance à se végétaliser un peu… Et puis il y a aussi une vraie gastronomie végétale qui émerge en France, grâce à de grands chefs étoilés comme Robuchon ou Ducasse qui donnent le la ; mais ça reste très récent.

Comment se place le Québec par rapport à la France ?

Au Canada, on ne fait pas l’apologie de la protéine animale. Je dirais que le pays est plus en avance que nous. Mais ce qui me marque vraiment ici, c’est le barbecue ! Ça a l’air fondamental et extrêmement important socialement. Alors que faire griller la viande est la plus mauvaise façon de la consommer. En attendant, on peut toujours amener du végétal dans le barbecue…

Vous avez arrêté la viande pour des raisons éthiques ; pourquoi ne pas rester omnivore tout en sélectionnant la viande ?

J’ai été tentée par la viande éthique, mais ce qui est labellisé est très minoritaire… Et quand on voit la réalité des abattoirs, les actes de cruauté qui s’y déroulent, etc., on se rend vite compte qu’aujourd’hui la viande éthique est plus une utopie qu’une réalité.  Nourrir la planète avec de la bonne viande éthique, ce n’est pas réaliste.

Et les similis carnés, vous ne trouvez pas ça incohérent ?

Non, il y a de nouveaux produits très intéressants. Je ne suis pas dogmatique, et je trouve que c’est une offre qui peut aider ceux qui ne veulent pas arrêter complètement à consommer moins de viande. C’est une aussi aide pour les nouveaux végétariens, car quand on se lance dans ce régime il faut apprendre à recomposer son assiette ; c’est comme apprendre une nouvelle langue…

Pourquoi avoir décidé de vous lancer dans ce défi de 100 jours ?

C’était un temps suffisamment long pour montrer mon cheminement culinaire et ce qui s’est passé dans ma tête, les obstacles que j’ai rencontrés… J’ai pu observer ce qui se passait en famille, en société et dans mon assiette. Sur 100 jours, j’ai aussi eu le temps de m’ouvrir à de nouvelles saveurs et recettes ; finalement, j’ai compris que si je ne cuisinais pas c’est que je n’aimais pas cuisiner l’animal mort. En arrêtant la viande, j’ai pris conscience de mon assiette, j’ai mieux mangé, et ça m’a donné envie de cuisiner ! J’ai d’ailleurs suivi des cours de cuisine végétale.

Quels ont été ces obstacles rencontrés ?

Le plus difficile a été l’aspect social. Dans notre société omnivore, il faut toujours justifier son choix. En France, quand on ne mange pas de viande, on a l’impression de s’excommunier… Si j’avais dit que j’étais allergique à la viande, ça m’aurait aidée ! Et puis l’option végétarienne est parfois difficile à trouver, notamment dans les petites brasseries traditionnelles… Ce n’est pas encore si évident comme régime quand on mange à l’extérieur.

Qu’est-ce qui vous a surprise durant ce régime ?

Je mangeais beaucoup plus, j’avais moins faim mais je n’ai pas pris de poids. Et puis finalement, ça n’a pas été si compliqué d’arrêter la viande en vivant avec un carnivore… D’ailleurs, on peut vraiment amener les gens à découvrir des saveurs végétales, sans pour autant être dans l’affrontement. J’ai été très surprise quand ma mère, qui vit en Bourgogne, m’a appelée pour me demander où trouver du tofu. Elle s’était même acheté un steak de quinoa !

Maintenant que les 100 jours sont terminés… retour au bœuf ?

Non ! J’ai eu une éducation carnivore, mais maintenant j’ai envie d’explorer ces nouveaux territoires et ces nouvelles saveurs grâce au végétarisme, sans sacrifier le plaisir à table. C’est un cheminement, j’ai encore mes incohérences… Mais deux entrecôtes par semaine, c’est fini pour moi !

« 100 jours sans viande » Aline Perraudin – Éditions Édito