Food trucks à Québec : Bouffe sur le bitume
Vie

Food trucks à Québec : Bouffe sur le bitume

À Montréal, certes, mais aussi à Drummondville, Granby et Alma, il est légal d’offrir des victuailles dans un cornet/une assiette/un bol/en brochette/sur une napkin, sur le pavé. À Québec, il y a encore des bâtons dans les roues (de camion).

Personne n’en demande, paraît-il. Cette affirmation du maire Régis Labeaume de mars dernier a, pourrait-on dire, mis le feu au barbecue. Il n’y a pas que les journalistes qui s’en sont mêlés: les réseaux sociaux aussi, et même les pétitions en ligne («Légalisation des food trucks à Québec», plus de 4500 signataires à ce jour). Pourtant, il y a de la bouffe de rue en ville…

Sur deux roues

À bord de sa Bécane à bouffe, un vélo auquel elle a ajouté un module barbecue, Kathleen Roy sert des hot-dogs végé à base de tempeh. La Limouloise arpentera les événements et marchés publics tout l’été, sur deux roues et non quatre, et ce, tout à fait légalement. Parce que c’est pendant un festival, ou dans un lieu privé, ou dans un lieu géré par le fédéral et non l’administration municipale. C’est tout. Alors… pourquoi se lancer dans une telle entreprise? «J’en avais vu durant mes voyages, ça m’intéressait comme concept. Et comme on en parle beaucoup, je suis sûre qu’un jour, on aura le droit!» explique la cycliste-devenue-cuisinière-de-rue. «Honnêtement, la réglementation ne me dérange pas. Je comprends les restaurateurs [de s’opposer à la cuisine de rue]. Moi, je n’ai pas le goût de m’installer devant un resto pour lui faire compétition! Je pense qu’il y a moyen de collaborer pour avoir de la bouffe de rue dans des endroits stratégiques.»

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Crédit photo Caroline Décoste

D’autres camions de Québec et des environs nourrissent aussi les résidents, toujours selon les mêmes règles empêchant la cuisine de rue au sens propre: L’Épicurien mobile (remisé pour l’instant), La Shop, Les recettes paumées, La cuisine du Marché mobile, Le Chic Shack mobile, Nourcy, le Barbacoa. Le seul camion à avoir véritablement eu le droit d’occuper la rue, le Casse-croûte L’Express de Beauport, l’a perdu à la suite de l’harmonisation des règlements municipaux, après près de 28 ans de commerce.

Des camions pas très mobiles

À Québec, il arrive que l’on croise des camions-restaurants ailleurs que dans les festivals, mais il est rare qu’on les dépasse… car ils sont garés, comme celui de la Baie de Beauport. Le food truck de la plage est géré par l’équipe du Garby’s (celle-là même qui nourrit Sir Paul McCartney quand il est en ville) et, selon le directeur général de la Baie de Beauport, représente tout à fait l’esprit du lieu. «Notre camion est stationné là, tout l’été. Je ne pars pas avec! Mais j’aimais beaucoup l’idée. Il y a là quelque chose de moins institutionnel qui va bien avec la vibe de la baie», explique Philippe Laperrière. «Le feeling est différent dans un camion, y a un côté convivial, chummy-chummy. Le gars qui te sert devient automatiquement ton ami même si tu le connais pas. À la limite, tu lui donnerais une bine sur l’épaule!»

S’il ne peut pas (encore) le rendre mobile, Philippe aimerait bien que son camion ait un jour des copains à ses côtés, sur le sable. «J’ai une entente avec la Ville et on fait partie des privilégiés. Mais on serait contents qu’il y ait d’autres food trucks un jour. Pendant un festival de cuisine de rue, peut-être?» (On ne peut jurer de rien, mais il semblerait qu’on ait entendu le DG faire un clin d’œil à travers le téléphone.) Cependant, loin de Philippe Laperrière l’idée de brusquer les choses côté réglementation. «Il faut faire les choses dans l’ordre, écouter tous les intervenants: les restaurateurs, les propriétaires de camions, la Ville, la population aussi. Oui, Québec est rendue là.»

De l’autre rive

Québec est peut-être rendue là, mais Lévis l’a devancée. Début mai, le maire Gilles Lehouillier annonçait qu’un projet pilote allait être lancé cet été. Pour cette année, un seul camion aura droit de cité près de la piste cyclable, pas très loin de la traverse: celui du Barbacoa. «C’est un précédent qu’on établit ensemble», relate non sans fierté Jason Savage, propriétaire du camion spécialisé en barbecue façon Memphis. «J’avais lancé l’idée sans trop d’espoir, en vérité! Le maire voulait dynamiser le parcours des Anses, il y avait une opportunité, et on le fait en bonne et due forme, avec un bail, des règlements.»

Le restaurateur, qui possède aussi un établissement pas très loin, modère l’enthousiasme de ceux qui voudraient des food trucks partout. «Stationne un camion devant chez nous, l’été, au seul moment où je fais de l’argent pendant l’année, c’est sûr que je ne survivrai pas! Tout le monde veut sa place, et j’applaudis les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans la tendance. Je crois aux happenings, mais pas aux rassemblements plusieurs fois par semaine. Il n’y a pas assez de foodies pour faire vivre ça. Ce n’est pas un argument contre les food trucks, car ils sont des pôles d’attraction, sauf que les gens ne comprennent pas toujours toute la logistique et la business de la cuisine de rue.»

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Crédit photo Caroline Décoste

Bassin de population suffisant ou non, force a été de constater que la popularité de la popote roulante, supposément inexistante, est pourtant bien vibrante. Le 13 mai dernier avait lieu, encore à Lévis, le premier rassemblement officiel de camions-restaurants, organisé par le BBQ Fest à l’invitation de CHOI Radio X. De quoi «faire des jaloux, c’est sûr!» rigole Jason Savage en regardant vers l’autre rive. La semaine suivante, c’était au tour du FM 93 de créer son happening de food trucks, à L’Ancienne-Lorette. Des piques lancées par les maires Gilles Lehouillier et Émile Loranger à un collègue qui n’ose pas bouger? On le croirait. Finalement, la Ville de Québec a annoncé une consultation sur le sujet, qui pourrait mener à un projet pilote en 2017. D’ici là, Lévis pourra partager avec la voisine d’en face sa propre expérience… et les foodies de la rive nord devront faire des petites croisières sur le traversier s’ils veulent de la bouffe de rue.