Virgin apéro : Le sans-alcool débarque
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Virgin apéro : Le sans-alcool débarque

Les producteurs de vins et bières désalcoolisés se développent, et même les boissons qui imitent les spiritueux. Fini les jus de fruits et autres sodas: si la tendance est à consommer moins d’alcool, voire plus du tout, on veut en tout cas boire quelque chose qui y ressemble…

«Les vins sans alcool… La montée en puissance d’un réel besoin.» C’est le slogan de la marque Navino, qui importe depuis peu au Québec des vins Chavin, produits dans le Languedoc-Roussillon, en France, avant d’être désalcoolisés. «L’année passée encore, j’y croyais plus ou moins, mais en un an j’ai vu une évolution incroyable de la demande, indique Nathalie Favreau, la présidente et cofondatrice de Navino. C’est un nouveau domaine en pleine effervescence, et ça me stimule beaucoup…»

Le sans-alcool semble en effet être au goût du jour. Alors que la marque Schweppes a lancé ses Virgin Mojito et Virgin Cosmo, le sans-alcool est le segment qui a le plus progressé en France en 2015, avec une croissance de 40%; en Espagne, les bières sans alcool représentent déjà 10% du marché. Une tendance présente aux États-Unis, et qui arrive tranquillement au Québec. Au Mondial de la bière à Montréal, en juin dernier, de nombreuses bières à très faible taux d’alcool étaient proposées, tandis que Budweiser lançait sa Cuvée Prohibition, une blanche à 0%.

Si on associe le sans-alcool à des boissons fades, certains nouveaux produits ont de quoi étonner. Navino désalcoolise ses vins avec une méthode permettant de préserver le plus possible les arômes, et son mousseux rosé Pierre Zéro, un assemblage de grenache et de muscat, est une agréable surprise peu sucrée et avec de fines bulles. Mais le vin est très fruité, beaucoup plus qu’un cru traditionnel. C’est que cette boisson n’est pas du vin à 100%; ses arômes de litchi et de framboise viennent notamment des jus de fruits ajoutés pour compenser la désalcoolisation…

«Le vrai défi, c’est la texture»

Le sans-alcool, un exercice de savant mélange? «C’est vraiment un travail de chimiste, en laboratoire avec des aromaticiens», explique pour sa part Patrice Plante, fondateur de Monsieur Cocktail, qui vise a rendre accessible les cocktails avec ou sans alcool à tous. Le mixologue travaille actuellement sur un projet de whisky à zéro degré d’alcool: «J’ai découvert deux compagnies californiennes qui faisaient des recherches pour développer un whisky sans alcool. Il y avait beaucoup d’arômes chimiques, de sucre, d’eau… J’ai pas vraiment trippé sur le goût.»

Par contre, Patrice trippe sur le concept et soumet à une entreprise de Saint-Lambert qui conçoit des arômes naturels l’idée de faire des produits sans alcool mais avec la texture de l’éthanol en bouche. «C’est assez facile de jouer avec les arômes et les huiles essentielles pour balancer les mélanges, indique Patrice. Le vrai défi, c’est la texture. On travaille avec du gras d’algues, de l’agar-agar et d’autres gélifiants naturels pour essayer de répliquer le côté velouté et sirupeux, sans utiliser de sucre. Pour recréer la chaleur et le feu de l’alcool, on est partis de la capsaïcine, une molécule qu’on retrouve dans le piment…»

Le but est d’arriver à créer des alcools qui ont de tellement belles textures qu’il sera possible de faire des cocktails de qualité semblable à leurs équivalents alcoolisés. «La nature est extrêmement complexe, et on ne peut pas oser dire qu’on peut répliquer le goût d’un agave qui a poussé pendant dix ans dans la forêt. Mais on n’est pas loin. Ce sont de beaux défis, s’enthousiasme Patrice. Et je trouve que ça pourrait être un super bon marché…»

Ne pas se sentir exclu de la fête

La clientèle? Elle est nombreuse: le chauffeur désigné, la femme enceinte, la personne qui doit arrêter l’alcool pour des raisons de santé… «Les gens qui ne boivent pas sont les éternels oubliés lors des partys», souligne Nathalie, de Navino. Même réponse de la part de la sommelière Jessica Harnois, qui achète régulièrement des vins sans alcool, auxquels elle est «complètement favorable»: «Premièrement, je suis une maman, j’ai été enceinte! Ce n’est pas tant une question de ne pas boire d’alcool, mais plutôt de ne pas se sentir exclue dans une soirée. Ces boissons procurent le bon goût d’un vin et sont de belles alternatives.»

Car quand on ne veut (ou ne peut) pas boire d’alcool, on se retrouve avec peu d’options. Et surtout, les gens ont pris l’habitude de boire du vin en mangeant, dont on ne retrouve ni le goût ni l’aspect festif avec un soda ou un jus de fruit. «On veut une variante au Perrier! Dans les soirées, j’alterne entre l’alcool et le sans-alcool, et les gens n’y voient que du feu, confie Jessica. Comme je suis sommelière, les gens s’attendent à ce que je boive tout le temps!» On est dans la même ambiance grâce à ces vins sans alcool, selon la sommelière; certes, le goût n’est pas tout à fait le même car il manque la chaleur en bouche, mais c’est le décorum qu’on achète.

«Pour moi, un accord met-vin ne signifie pas automatiquement qu’il y a de l’alcool. J’ai travaillé dans un restaurant aux États-Unis où on proposait un menu accords mets-vins, avec ou sans alcool…» Bref, le virgin vino a le vote de Jessica Harnois, qui conseille notamment le vin rouge ARIEL, à base de cabernet-sauvignon, le Pierre de Navino,  le Muscat Torres Natureo, le mousseux de Freixenet ou encore celui de Gratien Mayer.

Old Fashioned au café, Manhattan à base de thé

Pour certains, les boissons désalcoolisées sont aussi une option moins calorique. Elles ont souvent un taux de sucre plus faible qu’un soda – un verre de mousseux sans alcool contient par exemple trois fois moins de calories qu’un mousseux classique. Mais, certes, ça ne coûte pas non plus la même chose qu’un soda. Chez Navino, les prix s’échelonnent jusqu’à 20 dollars la bouteille, pour le Perle.

Et le goût dans tout ça? Pour Jessica Harnois, la qualité est là, en tout cas au rayon vin, où certains producteurs arrivent à bien préserver les arômes malgré la désalcoolisation. «Ce ne sont certes pas de grands vins, mais c’est bon!» Du côté mixologie, on peut aussi retrouver l’aspect sophistiqué du cocktail: «Je travaille à créer des liquid-chefs, qui te feront retrouver la complexité d’un cocktail mais sans alcool, promet Patrice Plante. Comme un Old Fashioned au café, un Manhattan à base de thé…»

Le mixologue, qui va proposer prochainement de nouvelles créations sans alcool, veut garder la même philosophie que pour le cocktail classique. Il travaille notamment avec un sommelier et un expert en thé. «C’est un mélange de plusieurs domaines qui ne se parlaient plus depuis des années, explique Patrice. Le sans-alcool est moins exploité en mixologie, mais je vois que la demande est là du côté des clients.»

Et d’où vient cet engouement récent pour la sobriété? Selon le mixologue, c’est lié à la tendance du «boire moins mais mieux» – des bars new-yorkais servent par exemple leurs cocktails dans des mini-verres, pour permettre d’en goûter plusieurs en limitant les excès. Pour Jessica Harnois, la tendance du sans-alcool va aussi aider à conscientiser et éduquer les gens sur l’alcool à et modérer leur consommation. Et les réticents, qui pensent que la bière sans alcool équivaut à de l’eau, et le vin à du jus de raisin? «Ça va venir, pense la sommelière. Il y a quelques années encore, les Québécois étaient très réticents à boire du vin blanc…»