<*b>Maurice<*/b>
Parti de sa France natale il y a bientôt huit ans, Maurice Decker, 40 ans, a aujourd’hui des haut-le-cour lorsqu’il entend le mot «banlieue». Plus question pour lui de se terrer en retrait du centre-ville après avoir connu le confort de son bon vieux Vieux-Québec. «Je ne peux plus imaginer vivre en banlieue. J’aime me sentir au centre et avoir tout ce dont j’ai besoin autour de moi», explique-t-il les yeux pétillants et l’air vraiment heureux que le quartier qu’il habite lui aille comme un gant. Il faut bien admettre aussi que sans voiture, c’est doublement agréable de compter un pharmacien, une boulangère et un épicier parmi ses voisins.
Maurice barbote dans le Vieux comme un poisson dans l’eau. Proprio d’un charmant petit hôtel sur la rue Sainte-Ursule, il y loge lors de périodes plus achalandées. Autrement, il habite à deux pas une maison ou une autre. «J’ai habité sur Sainte-Ursule, puis sur Saint-Denis, et maintenant je suis sur Donaconna.» Et rien pour le faire changer d’avis. On lui donnerait le choix d’installer ses pénates en terrain plus tranquille qu’il ne bougerait pas d’une semelle. Soit, il rêve bien de temps en temps de vivre à la campagne, mais il lui faudrait un sacré malheur pour le faire déguerpir du centre-ville. Il a encore trop bien en tête le souvenir de la banlieue parisienne, où la violence fait partie du quotidien et la propreté n’existe pas. «Les banlieues d’ici sont sûrement différentes, parce qu’on a une ville faite pour être montrée au monde entier, qui est bien entretenue et policée», concède-t-il difficilement, du bout des lèvres et avec un sourire en coin. Parce qu’au centre-ville il se sent roi, au centre-ville il restera.
<*b>Louise<*/b>
Louise ne se pose pas de questions. A 53 ans, elle n’a que de bons mots pour la ville. Elle y a grandi, à Alma, y a étudié, à Ste-Foy, et y a fondé une famille, à Québec. Aujourd’hui séparée, Louise loge seule dans sa maison du quartier St-Jean-Baptiste, rue Lavigueur. Et parce que la ville a toujours su répondre à ses besoins, elle n’a tout simplement pas envie d’aller regarder ailleurs. «Ce n’est pas du tout dans mes intentions d’aller vivre en banlieue. C’est loin des services quand on n’a pas de voiture et puis j’ai la chance d’avoir un pied-à-terre en campagne.»
Etre parent lorsqu’on habite la ville représente tout un défi. Louise répéterait pourtant l’expérience si on lui en donnait le choix. «Ça me plaisait parce qu’il y avait une variété de population intéressante dans le quartier. Des familles, des gens âgés, des jeunes… C’était sécurisant», soulève-t-elle en se rappelant que ses marmots n’étaient jamais seuls pour se rendre à l’école à pied.
Évidemment, maintenant que la trépidante vie de famille a fait place à un quotidien plus tranquille, Louise découvre des facettes qu’elle ne connaissait pas à la vie de citadin. «La promiscuité me dérange un peu plus aujourd’hui. Je trouve les voisins très près tout à coup, je les entends parfois parler jusqu’à tard le soir… Mais disons que c’est tolérable.» En fait, la prostitution qui a cours sur la rue d’Aiguillon la chicote davantage. Tout se passe plutôt discrètement, dit-elle, mais ce sont néanmoins des «choses ennuyeuses», qui la dérangent sur le plan moral.
Qu’à cela ne tienne. «Je suis habituée de vivre ici. Je fais en quelque sorte partie du décor», résume Louise. Son ton est clair. Les chances de la voir partir pour la banlieue sont pratiquement nulles.
<*b>Gilberte et Pierre<*/b>
Ils avaient le Vieux-Québec dans le sang. Ils ont beau avoir passé plus de 50 ans à la campagne, dans un domaine de Saint-Joseph-de-Beauce à vous couper le souffle, ils voulaient finir leurs beaux jours ailleurs, et un ailleurs déjà choisi. Respectivement âgés de 57 et 60 ans, Gilberte et Pierre ne quitteraient aujourd’hui pour rien au monde ce logement de la rue d’Auteuil qu’ils habitent depuis huit ans. Une question de travail a amené Pierre à Québec, mais ils y seraient venus d’une manière ou d’une autre. «On venait souvent dans le Vieux-Québec. On aimait ça. On s’est dit que tant qu’à changer d’endroit…», laisse tomber Gilberte en racontant qu’elle n’aurait pu supporter de vivre dans un beau condo, en Beauce, à deux pas de l’immense maison que le couple a dû se résigner à vendre. «Ça demandait une grosse semaine juste pour ramasser les feuilles, et le gazon, c’était huit heures par semaine!», se rappelle Pierre qui n’avait plus la santé pour entretenir une propriété de 300 pieds de long par la moitié de large.
Mais pourquoi diable le centre-ville? Pourquoi pas une tranquille demeure dans Sillery ou Beauport? «Ici, on peut se promener, il y a de belles architectures. Et puis je connais plein de petites places pour faire mes courses. Ça fait huit ans que je n’ai pas fait d’épicerie! Je vais acheter mon pain à un endroit, mes bagels à l’autre…», raconte la dame qui savoure visiblement son bonheur. «Sans compter, ajoute-t-elle, que la vie culturelle et artistique bat son plein au cour de la ville.» Gilberte et Pierre aiment les vernissages, les concerts et les expositions de toutes sortes, et le Vieux-Québec leur en donne pour leur argent: la messe des artistes, les concerts de Radio-Canada au Palais Montcalm, les musées, les exposants de la rue du Trésor, les musiciens de rue, l’éventail est large pour quiconque montre un peu de curiosité. «Avant, au Festival d’été, on venait passer une semaine à l’hôtel. Aujourd’hui, on reste assis ici et on entend bien les spectacles sans que ça ne nous dérange», se réjouit la dame, fière de son coup.
<*b>Jean-Claude</*b>
Trouver l’amour de sa vie, c’est chouette. Jean-Claude, lui, en a trouvé deux! A 65 ans, il a son épouse et. la ville.
Né dans Saint-Jean-Baptiste, il y a passé 28 ans avant de se marier puis d’emménager à Limoilou, où il habite encore. Jean-Claude aime bien la vie de citadin, qui le lui rend bien. «J’ai à portée de la main tout ce dont j’ai besoin. Et pour l’autobus, c’est l’idéal», explique-t-il fièrement. Jean-Claude a en effet de quoi se sentir privilégié, lui qui peut prendre l’autobus à un demi coin de rue du logis. Mais par-dessus tout, c’est la vie de quartier qui fait son bonheur. Avant que leurs enfants ne volent de leurs propres ailes, lui et son épouse appréciaient qu’autour logent d’autres parents en qui ils pouvaient avoir confiance. Aujourd’hui, l’homme parle en bien de gens qu’il a lentement appris à connaître et qui, dans un esprit de respect et de coopération, sont toujours prêts à rendre service. «Si quelqu’un s’absente, on ramasse son courrier ou encore les publi-sacs. Parce que si ça traîne, ça donne des indices aux voleurs. Il y a vraiment une bonne entraide», raconte-t-il.
Il n’a jamais connu la banlieue, mais il doute fort que les liens qui s’y tissent entre voisins reflètent le même esprit de famille. «Ceux qui ont une maison sont plus indépendants et je ne suis pas sûr qu’il y ait autant de coopération.» Quant à l’éducation des enfants, Jean-Claude ne jure que par la ville où, dit-il, les jeunes baignent dans les meilleures conditions pour apprendre à se débrouiller. «C’est de valeur que les enfants de la banlieue soient esclaves de l’autobus jaune», déplore-t-il en parlant de l’importance d’apprendre tôt à traverser la rue prudemment.
Des inconvénients à la vie en ville? Il a beau chercher, Jean-Claude n’en voit pas. «Ça a toujours bien été», résume-t-il simplement. Évidemment, on ne peut parler autrement de l’amour de sa vie.