Ironiquement, le «progrès» a bien failli venir à bout de Saint-Roch même si, au début, tous les bouleversements qui l’ont touché étaient guidés par de bien bonnes intentions. On bétonnait la rivière Saint-Charles pour en faire autre chose qu’un dépotoir à ciel ouvert. On a recouvert la rue Saint-Joseph pour faire concurrence aux centres commerciaux qui se multipliaient dans les vastes banlieues. On a éviscéré le quartier pour laisser la place à des immenses bretelles de béton, voies rapides vers la ville de l’an 2000 qui ne s’est jamais pointée le bout du nez.
Contre toute attente, tout ce béton n’aura fait qu’accélérer le déclin du quartier qui voyait disparaître, une à une, ses entreprises jadis les plus florissantes. Et comme si on avait entrepris de l’achever, on en a lentement laissé mourir le cour, qu’on souhaitait remplacer par un immense stimulateur artificiel en forme de méga-complexe hôtels-bureaux-centre-commercial-et-stationnement.
Heureusement, le vent a tourné. Les vaines promesses de développement ont finalement cédé la place à des projets de développement concrets et, de petites rénovations en impressionnants chantiers de construction, Saint-Roch se façonne un nouveau visage. Bien sûr, ce sont les grues qui prennent place autour de la future École nationale d’administration publique qui retiennent d’abord l’attention. Mais le développement du quartier a des fondements bien plus profonds, rappelle celui qu’on appelait le maire de Saint-Roch du temps qu’il était conseiller municipal, Réjean Lemoine: «La présence des artistes, par exemple, date du début des années quatre-vingt. Et c’est le travail de sape, le travail souterrain des gens qui s’installent dans le quartier et de ceux qui achètent des maisons qui est le plus déterminant.» Et ils sont nombreux les petits projets, les conversions d’anciens garages et entrepôts en ateliers d’artistes ou en habitation. Sur la rue Christophe-Colomb, une dizaine d’artistes ont transformé l’ancien garage Ruelland en ateliers. Boulevard Langelier, l’ancien couvent Jacques-Cartier a été recyclé en vingt-sept logements, en plus d’abriter une dizaine de locaux communautaires. Le Chalet de coucous, les Artistes de la Cartonnerie, les Ateliers fleuris, la Manufacture ou les Lofts de la Cour, pour ne nommer que ceux-là, sont autant de projets, achevés ou en voie de l’être, qui redonnent vie au quartier. Et d’ici peu de temps, on devrait aussi donner le coup d’envoi des quelque quatre-vingt-dix logements de l’Espace Saint-Roch.
En cette période de déprime immobilière prolongée, l’exploit n’est pas banal. Parallèlement, des commerces en tous genres viennent s’y greffer et la vie urbaine s’y fait de plus en plus agréable avec les restaurants, cafés et bars qui ont pris racine sur les rues Saint-Vallier Est et sur Saint-Joseph. Il faut dire qu’avec toutes les écoles qui s’y installent, les tenanciers ne risquent pas de se trouver à cours de clientèle.
Au cours des derniers mois, on a senti un net regain d’intérêt de la part des promoteurs qui découvrent, enfin, tout le potentiel du quartier. On projette d’y construire tantôt un hôtel, tantôt un complexe cinématographique, tantôt une nouvelle salle de spectacles. L’enthousiasme aidant, on semble enfin prêt à aborder le sempiternel problème du Mail, dont on s’entendrait pour faire disparaître une partie du toit entre les rues de la Couronne et de la Chapelle. Résidant de Saint-Roch depuis des lunes, Réjean Lemoine ne peut que se réjouir de cette effervescence. Toutefois, il demeure prudent: «Je pense que le Mail pourra être refait, repensé, on pourra en enlever des parties, mais je ne crois pas qu’il faut mettre tout notre argent là-dessus. Ce que je crains beaucoup, ce sont les «générations spontanées», qui s’imaginent que tout ce que le passé a amené n’était pas bon, qu’il faudrait tout jeter par terre et recommencer à zéro. C’est ce qui nous a donné la situation actuelle, alors il ne faudrait surtout pas commettre cette même erreur. Il faut y aller avec plus de doigté que par le passé, progressivement, quitte à prendre plus de temps: je ne suis pas pressé.» Avec le nombre d’années qu’on a mis avant de se remettre à l’ouvrage, c’est vrai que ce serait bête de tout gâcher parce qu’on veut tout faire en même temps.