Vie

Anticosti : Un jardin au bout du monde

Anticosti ne dévoile pas ses secrets au premier venu. Pudique, elle garde ses murmures de ruisseaux, ses bras de mer, ses galets bien roulés, pour quelques happy fews qui en font, durant l’été, leur destination de voyage plein air.  Grandiose.

Au large de la Côte-Nord, à l’embouchure du Saint-Laurent, une immense île a longtemps créé des angoisses aux navigateurs qui, parfois, se fracassaient contre ses côtes. Depuis cent ans, Anticosti a vu sa vocation changer du tout au tout, quand un riche industriel français a eu le coup de foudre pour ses grands espaces à la fin du siècle dernier. Propriétaire d’une chocolaterie très lucrative en banlieue parisienne, Henri Menier achète en 1895 l’île d’Anticosti, pour le plaisir de posséder un territoire de villégiature outre-mer.
Afin de rendre l’endroit plus amusant, il y fait venir des animaux dont certains s’adapteront sans problème, notamment les cerfs de Virginie et les lièvres. Ces bêtes font tellement partie du paysage, de nos jours, qu’on oublie qu’elles en étaient absentes autrefois! Henri, puis son frère Gaston, ont ainsi contribué au développement de ce terrain de jeux pour chasseurs et pêcheurs avertis, mais aussi à la colonisation de cette île qu’ils se sont empressés d’industrialiser.

Au début des années 1900, Anticosti était devenue un centre important avec un chemin de fer, des fermes bien installées et une homarderie moderne pour l’époque, électricité comprise. Malheureusement, 1926 met fin à ce «règne» des Menier. La crise en France et la Guerre mondiale semblent avoir eu raison de leurs finances.

Le nouveau Musée Menier
A peine plus de un siècle après la venue de Henri Menier, un autre Henri Menier y a foulé le sol de son ancêtre en juin 1998. Invité avec sa famille (son père, Jean-Louis, est l’arrière-petit-fils de Gaston) pour l’inauguration du Musée Menier à Rivière-aux-Saumons rappelant ce passé faste d’Anticosti, le jeune de onze ans découvrait le «mythe» Menier encore omniprésent dans la mémoire des gens de la Côte-Nord. Même le ministre délégué au Tourisme, David Cliche, a souligné l’apport de ces frères visionnaires qui ont su développer une région dont ils avaient flairé le potentiel touristique.

Le musée Menier abrite d’intéressants objets d’époque, parmi lesquels un canot utilisé par les Menier à Anticosti, un wagonnet ayant servi dans l’usine de homards et des documents (photographies, annonces publicitaires du chocolat Menier..).

Et si l’histoire et la culture ne suffisaient pas aux vacanciers, qui sont, après tout, de passage à Anticosti surtout pour le plein air, on trouve aussi un musée de fossiles et… des sculptures, semées de-ci de-là dans la nature généreuse anticostienne, celle-ci réservant bien des surprises au détour d’une rivière ou d’une falaise.

Ces ouvres d’art, créées à même la pierre calcaire et le bois de l’île par des artistes venus sur place, ont été commandées par un autre visionnaire, Jean Gagnon, propriétaire de Pourvoiries Anticosti, territoire qui occupe 45 % de l’île, du côté est. M. Gagnon et sa compagne Michèle Dubois ont à leur façon aussi contribué au développement touristique d’Anticosti, tout comme leurs prédécesseurs Menier.

Avec l’aide de Pierre Villeneuve, directeur de Safari Anticosti – le volet touristique d’observation de la nature de la pourvoirie -, Gagnon et Dubois s’emploient à «étirer» l’image qu’entretient Anticosti, pour qu’elle évoque tout aussi bien un paradis de chasse et de pêche, qu’un lieu idéal pour pratiquer des activités de plein air et, plus récemment, qu’elle inspire les amateurs d’art et de culture. Ce glissement de vocation a l’heur d’enchanter bien des visiteurs, qui ne détesteraient pas non plus qu’on fasse de la plus grande île du Saint-Laurent un haut lieu gastronomique avec tous les homards qui badinent aux alentours; mais cette mission ne semble pas pouvoir se réaliser, en raison de l’approvisionnement inconstant par les pêcheurs du coin. Dommage…

Découverte de l’île
Anticosti ne dévoile pas ses secrets au premier venu. Pudique, elle garde ses murmures de ruisseaux, ses bras de mer, ses galets bien roulés, ses faux cils, ou plutôt ses fossiles, pour ceux et celles qui prennent la peine de se déplacer vers elle. Et qui oublient le temps et la ville, pour se fondre à elle, parmi les cascades, les cerfs et les caps.

La partie est d’Anticosti est la plus sauvage. Pour nous la faire découvrir: un guide, et pas n’importe lequel. Pascal Samson est biologiste et enseignant à l’université de Sudbury, Ontario depuis trois ans. Mais il ne rate pas un été à Anticosti, surtout qu’il est LE spécialiste de cette île, celui qui sait tout sur l’histoire, les formations géologiques, les oiseaux, les chutes et les rivières.

D’un caillou trouvé sur les rives, il dira, selon le cas, que c’est un fossile du groupe des coraux tabulés, datant de la période du Silurien inférieur… Ou que le canyon de la rivière Vauréal, formé lors du retrait des grands glaciers il y a environ 11 000 ans, mesure jusqu’à 90 mètres de hauteur. «La randonnée dans le canyon – d’une longueur de 3,2 km – représente quatre à cinq heures de marche aller-retour», dit M. Samson.

On peut passer à gué à sept ou huit endroits, où la rivière est basse, tout en savourant le décor quasiment irréel. Le spectacle est à son comble quand on s’approche enfin du but: la chute Vauréal se jetant dans la rivière au fond du canyon. Qui raterait cette excursion, surtout qu’elle mène directement au Paradis, de dire les gens qui ont admiré de près tant de splendeurs de la nature.

Les personnes moins en forme peuvent tout à loisir profiter du point de vue sur l’Éden, sans avoir parcouru la distance à pied, en se rendant directement au belvédère aménagé par Environnement et Faune Québec aux abords de la chute Vauréal. En fait, on compte deux terrasses qui font le régal des touristes et grands utilisateurs d’appareils photo dans une pareille nature. Un des angles révèle l’ampleur du canyon et parfois un arc-en-ciel, tandis que l’autre terrasse fait face à la chute.

Excursion en autobus
C’est à bord d’un autobus que l’on aborde l’île, en compagnie de Pascal Samson. La route de gravier sinueuse est ponctuée d’arrêts découvertes où l’on se délie les jambes… et la langue, avec toutes les questions à poser à M. Samson. Il emmène ses ouailles dans les sous-bois, puis au bord de rivières, de cascades ou de chutes, en racontant toujours l’origine du nom de l’endroit, ou une légende de naufragés revenant hanter les lieux…

L’excursion d’une journée, proposée par Safari Anticosti au coût de 189 $, comprend l’avion entre Havre-Saint-Pierre et Port-Menier (ouest de l’île), la visite de Port-Menier, de la chute Vauréal, de toute l’île d’ouest en est (un parcours de six heures avec de nombreuses pauses randonnées), en compagnie du guide hors pair qu’est Pascal Samson ainsi que le souper, l’animation, le coucher et le déjeuner au Cap de la Table, site d’un gîte du passant au pied d’un phare tout coquet, en blanc et rouge.

Autres forfaits disponibles: entre autres, avion seulement à 350 $ aller-retour entre Montréal et Rivière-aux-Saumons; ou un séjour de sept jours pour une découverte sans précipitation de toute l’île, avec hébergement à l’auberge Safari, de catégorie supérieure. Ou encore, le camping et la location d’un véhicule, pour une autonomie optimale! Tél.: (450) 441-9560.

Dans l’ouest de l’île, Port-Menier est la seule agglomération et celle-ci compte moins de 300 habitants. Pour des forfaits de ce côté du territoire que gère la SÉPAQ (Société des établissements de plein air du Québec, relevant d’Environnement et Faune Québec), on compose le (418) 535-0156.

Autre suggestion d’escap
ade: faire un «écotour» de sept jours en bateau, avec escale à Anticosti, proposé par Écomertours Nord-Sud de Rimouski. (418) 724-6227 ou 1 888 724-TOUR.
Renseignements: Association touristique de Duplessis, tél.: (418) 962-0808. Internet: http://www.bbsi.net/atrd