Vie

Une nuit à la cabane : Collés collés

En cette fin mars, l’hiver s’étire et nous rappelle que c’est le temps des sucres. Pour faire durer le plaisir, pourquoi ne pas passer la nuit à la cabane?

C’était un hiver ordinaire. Bien sûr, le verglas avait réchauffé-refroidi nos ardeurs, mais pour rien au monde nous n’allions manquer notre partie de sucre annuelle. C’est une tradition. Comme des centaines de nos concitoyens, on allait remonter la grand-côte menant à la cabane, se mêler aux dizaines de nos contemporains venus manger leurs «binnes», leur jambon et leurs oreilles de crisse généreusement arrosées de sirop.

Ben non. Pas cette année. En fait, nous voulions ajouter un peu de piquant à cette sortie devenue aussi répétitive que le menu est redondant. Par le biais d’un ami européen, nous avions eu vent d’une idée originale, concoctée par un de nos acériculteurs. Dans une cabane à l’orée de la ville, à Rigaud, pour être plus précis, un excentrique avait aménagé, sur son domaine, un véritable village de bûcherons d’un autre siècle. En fait, «aménagé» est un euphémisme: Pierre Faucher a carrément transporté sur son site des maisons ancestrales de son village pour rendre authentique l’esprit de sa cabane. Cela afin d’offrir une expérience complète à ses invités du monde entier. À nous aussi, pardieu! Enfin, nous allions goûter le pittoresque qui fait tant saliver nos cousins d’outre-Atlantique. Voir de quel bois ils se chauffent! Ainsi nous sommes-nous décidés à prolonger le souper et à passer la nuit à la cabane à sucre.

Les maisonnettes d’antan
En semaine, la Sucrerie de la Montagne roupille d’un calme inhabituel, que l’on ne ressent jamais au moment de l’effervescence dominicale. Afin de plonger les convives dans la tradition et dans l’époque dès leur arrivée sur le site, une charrette fait normalement la navette entre la cabane et le stationnement. Guidés par l’odeur affriolante du sucre qui bout sur un feu de bois odoriférant, nous grimpons jusqu’à la cabane.

Dans cette forêt d’érables, pas de décor à la Disney. Tous les éléments reconstituant l’atmosphère traditionnelle de la Sucrerie s’intègrent parfaitement dans le boisé. La grande cabane en planches de grange abrite la salle à manger où l’on fait ripaille, le magasin général a belle allure; la boulangerie en pierre des champs, où l’on cuit absolument tout le pain consommé sur les tables, jouxte la sucrerie, où la sève se transforme doucement en sirop. Si le maître de céant est au fourneau, attention mesdames, ça va chauffer. Le diable d’homme pratique la taquinerie tout en bourrant son poêle… et ses fléchettes portent. Très chaleureux et sympathique, Pierre Faucher.

Les maisonnettes servant de gîte sont réparties en bordure de l’érablière perchée sur le mont Rigaud. Ce boisé se double d’un sanctuaire d’oiseaux. Aux activités gourmandes, on peut donc greffer une escapade dans le bois pour voir l’eau d’érable goutter dans les seaux et observer la faune ailée.

Des p’tits becs sucrés
Nous annonçant comme clients pour la nuit, nous sommes pris en charge par le fils du proprio, Stéphane Faucher, aussi barbu que son père… en plus foncé. (Pierre Faucher fait presque figure de légende avec sa longue barbe grise lui donnant l’air du vénérable bûcheron, cliché parmi les clichés!) Et nous sommes acheminés vers nos quartiers en bois rond.

Planté à l’orée de l’érablière, notre campement a bonne mine. De l’extérieur, c’est un vrai chalet de bois. Pas une cabane brinquebalante, tout le contraire: l’intérieur surprend agréablement. Une grande pièce unique, mansardée avec un toit très haut, dans lequel se cache une chambre. Au rez-de-chaussée, un âtre immense couvre un mur entier de la pièce qui compte aussi un lit, une table, des chaises et des fauteuils pour se blottir tout près du feu. Aussitôt entrés, notre hôte allume le feu! Si ça ne nous met pas dans une disposition à échanger de p’tits becs sucrés… ça en donne au moins l’idée. L’aubergiste nous quitte, pour nous laisser profiter de notre maisonnette, et on se pelotonne près du foyer. En attendant le souper. Car nous n’avons pas banni le plaisir de la table.
Après avoir fait bombance _ un repas gargantuesque où tout est fait maison et arrosé de bon sirop! _, nous gagnons notre repaire. Le feu crépite dans l’âtre et le vent souffle à tout rompre, se frottant aux parois de bois de notre refuge. Entre deux sifflements, des bruits bizarres nous tirent de la contemplation des flammes: un groupe d’universitaires s’agite dans la grande cabane, au son des ritournelles traditionnelles, livrées par des virtuoses du violon, de l’accordéon et des cuillères, cela va de soi. Ça s’amuse ferme! Ça s’entend! Nous nous endormons tout de même, enveloppés dans une douce chaleur et bercés par le vent.

Repus de sommeil, nous regagnons la grande cabane, pour un petit-déjeuner également orgiaque. Aucune trace du party de la veille. La scène où les musiciens se produisent est vide à cette heure matinale. En fait, nous déjeunons dans une salle plus intime où la même déco traditionnelle domine. Le bois et les articles d’une autre époque habillent la pièce, où trône également un énorme foyer de pierre. Rassasiés de crêpes, de grands-pères et de sirop, presque congestionnés par tant de sucre, nous enfilons nos skis pour une fabuleuse promenade dans l’érablière. Le territoire compte cent vingt acres sur lesquelles sont tracés des sentiers accessibles à skis, à pied ou en carriole tirée par des chevaux (gratuit pour les groupes, il faut toutefois payer si on est moins nombreux).

Voilà une partie de sucre mémorable, qui nous change de la sempiternelle virée dominicale. La Sucrerie de la Montagne offre six maisonnettes pouvant accueillir entre trois et six personnes. Toutes possèdent un charme particulier. Renseignez-vous au (450) 451-0831. D’autres manifestations ont lieu durant les sucres, notamment à Saint-Georges-de-Beauce, où le Festival beauceron de l’érable (1 888 831-4411) se déroule jusqu’au 28 mars; et à Plessisville, la «capitale mondiale des produits de l’érable», où on célèbre le fameux nectar après le temps des sucres, soit les 7, 8 et 9 mai; pour info, faites le 1 800 ERABLE-0.