Vie

Périple à l’île Rouge : Mon île

Échouer sur une île déserte est un rêve. Lorsque la fiction devient réalité, elle dépasse souvent nos espoirs les plus fous. L’île Rouge, située en face de Tadoussac, en plein coeur du Saint-Laurent, accueille les âmes romantiques dans un décor féerique.

C’était une journée de brume à couper au couteau. Impossible de repérer notre destination. Seul le souffle d’un petit rorqual perçait parfois cette purée épaisse dans laquelle nous naviguions. Le Saint-Laurent, à hauteur de Tadoussac, fait quelquefois office de grand cirque où tous courent après LA baleine. Aujourd’hui, toutefois, on se croirait seul au monde, suspendus dans le temps. L’étrangeté du moment s’accompagne d’un sentiment de flottement.

La pluie, parfois forte, se mêle au clapotis des courants emmêlés. Malgré les habits orange vif dont nous avons dû nous affubler, nous voilà trempés, mais ne sentons pas le froid. C’est que nous sommes aux aguets. Percutera-t-on un pétrolier? L’imagination s’emballe. Notre capitaine est expérimenté comme ils le sont tous. C’est un vieux loup de mer: il connaît parfaitement l’estuaire et navigue «au radar». Il nous emmène vers l’île Rouge, notre abri pour la nuit, mais pas avant de nous avoir donné le frisson tant recherché à Tadoussac, qui se traduit par le voisinage d’un grand mammifère. Ce qui n’est pas une nécessité absolue: être baigné dans cette atmosphère gorgée de mystère amplifie déjà l’attrait de cette nécessaire traversée.

Trente minutes après le départ du quai de Tadoussac, un peu plus peut-être, le zodiac change de cap. Dans le brouillard, le phare de l’île Rouge et les quelques bâtiments blanc et rouge se matérialisent peu à peu. Ils ont le flou des fantômes. Minuscule bout de terre planté en pleine mer, l’île Rouge ressemble davantage à un gros navire échoué qu’à une terre d’accueil.
Le comité de bienvenue, composé des dizaines d’oiseaux, goélands, argentés, à manteau noir, eiders et autres, nous fait la fête, dans une orgie de battements d’ailes et de guano. Nous sommes enveloppés dans une cacophonie tonitruante. Un ange hitchcokien passe… On se partage en deux groupes: les visiteurs éphémères, mettant pied à terre pour la découverte de l’île seulement, et les autres, les chanceuses qui gîteront dans la maison du gardien, sous la protection de Mylène et Martin, des hôtes qui n’ont pas fini de nous étonner.

L’île Rouge
Avec à peine 600 mètres de long et 250 de large, l’île Rouge est l’une des plus petites des îles du Saint-Laurent. Ses battures causent pourtant problème aux navigateurs depuis le début de la colonisation de la Nouvelle-France. Ces hauts fonds s’allongent dans le Saint-Laurent, jusqu’à 14 fois la longueur de l’île. Plusieurs capitaines s’y sont frottés, et n’ont jamais pu reprendre leur cours. C’est pourquoi, en 1848, sous le régime anglais, on érigeait un phare, en plein centre de l’île Rouge. Le Cimevir, centre d’interprétation et de mise en valeur de l’île Rouge, responsable de la diffusion et de la promotion des richesses inconnues – et insoupçonnées tant qu’on n’y met pas les pieds! -, recense plus de 23 naufrages sur les battures de l’îlot.

Les sinistres, les légendes des gardiens de phare et l’atmosphère isolée de l’île enflamment l’imagination des visiteurs. Devant les bâtiments rouge et blanc de l’île, il est facile de se construire des histoires. Prenez celles des gardiens de phare. Ces hommes et leur famille, souvent nombreuse, passaient près de la moitié de leur existence reclus dans l’île; d’avril à décembre, ils étaient presque coupés du monde. Non seulement devaient-ils veiller à la navigation, un travail exigeant, mais ils recueillaient souvent les naufragés dont ils constituaient la seule ressource. Ils les soutenaient, les nourrissaient, les divertissaient et les réconfortaient jusqu’à leur «sauvetage», qui pouvait parfois attendre des semaines.
Dans l’île Rouge, on raconte l’histoire morbide – toute île qui se respecte possède la sienne, non? – du gardien H. Fraser, l’un des premiers du phare, trouvé décapité sur la batture sud-ouest, dans les années 1800. Plusieurs hypothèses circulent sur la cause prétendue de son décès tragique. Demandez à Mylène de vous en raconter quelques-unes…

Une nuit dans l’île
Grâce au Cimevir, composé d’anthropologues passionnés par ce patrimoine maritime unique, il est possible de découvrir, l’espace de quelques heures, cette terre fascinante à l’occasion d’une virée d’interprétation qui sert de prétexte à une croisière aux mammifères marins.

Il est aussi possible de se laisser pénétrer par cette atmosphère, pour une ou deux nuits, question de décrocher avant la folie de la rentrée. La traversée permet de s’éloigner de la côte, et de déplacer son attention vers l’univers marin; une fois dans l’île cependant, on est tout à fait coupé de notre vie continentale. Martin et Mylène, avec qui nous partagerons quelques heures de vie insulaire, sont des hôtes charmants; ces deux jeunes loups de mer ont vogué sur d’autres océans avant d’aboutir à l’île Rouge. Ils sont jeunes, mais riches d’expérience. Mylène s’occupe surtout du volet interprétation de l’île. C’est elle qui nous en confie les secrets. Martin tient la cuisine. Attention, vous risquez d’être surpris par son audace et ses succès! Sans formation, il mitonne de succulentes ripailles. Les chambres de la maison du gardien sont douillettes, et le décor, vraiment très chouette. La tranquillité des nuits permet des dodos réparateurs… seuls les piaillements des oiseaux, le vent et parfois les grandes vagues meublent l’air ambiant.

Vous pourrez profiter d’un séjour dans l’île jusqu’à la mi-octobre, peut-être plus. Il ne faut pas craindre le mauvais temps: l’île a déjà résisté à 150 ans d’intempéries. De plus, cela ajoute une dimension unique à l’endroit. Pour plus d’info, composez le 1 877 335-1212.