On entend souvent dire, dans les coulisses des centres de ski, que n’importe qui peut apprendre à faire de la planche à neige en deux petites leçons. C’est juste. Du moins, si l’on possède quelques muscles fonctionnels dans les jambes et un bon équilibre. Mais encore? Dans les faits, il y a une grande vérité qu’on omet commodément de nous dire avant de nous strapper les deux pieds sur la planche et de nous pousser en bas de la colline: c’est qu’on va tomber. Souvent. Durement. Précipitamment. À l’endroit comme à l’envers.
D’où les trois commandements suivants:
– Le ridicule, tu ne craindras pas.
– Des vêtements favorisant une infiltration minimale de neige dans les culottes, tu porteras.
– Un beau moniteur, tu choisiras… Parce qu’il faudra bien tendre les mains vers lui à répétition pour se relever et recommencer le pas de deux (pieds) qui résultera encore une fois, presque aussitôt, en culbute. Si vous en prenez un assez musclé (moniteur, s’entend), et que le ciel vous gracie d’une fraction de seconde de lucidité avant de chuter, vous pourrez peut-être atterrir une fois ou deux dans ses bras…
Tous les centres de ski offrent désormais des leçons de planche (environ 35 $ l’heure pour une leçon privée) et la location de l’équipement (environ 35 $ également, pour toute la journée). Assurez-vous de chausser des bottes qui seront confortables tout en maintenant bien la cheville. Pour un maniement plus facile, demandez une planche ayant la longueur minimum, c’est-à-dire qu’elle devrait vous arriver à la lèvre inférieure lorsque vous la tenez debout devant vous. À la question "Quel pied voulez-vous devant?" que vous posera immanquablement le préposé à la location d’équipement (l’équivalent du "De quel bord tu frappes?" de ceux qui tapent sur des balles), vous pouvez bien sûr donner la réponse qui vous semble la meilleure. Mais souvenez-vous que, pied droit ou pied gauche devant, cela ne fera sans doute aucune différence pendant la première heure: vous aurez l’impression que vos deux pieds n’ont pas plus l’un que l’autre d’affaire là. Vous vous en rendrez d’ailleurs compte dès que vous serez en route pour les chaises, la planche avançant (toute seule) dans une direction qui médusera le pied sanglé tout autant que l’autre, le pied libre, bondissant alors, affolé et tordu comme un pied bot, à sa suite…
Si vous n’êtes pas tombé une fois avant d’atteindre les chaises: une médaille d’argent, vous méritez. Si vous restez sur vos deux pattes en descendant de la chaise (et sans foncer dans un des trois cent cinquante mille skieurs postés là et qui attendent leurs petits amis avant de décoller): c’est la médaille d’or.
Chute libre
Pourquoi on tombe si souvent? Ce n’est pas tant, comme on pourrait le penser, qu’on se trouve subitement déstabilisé en ayant les deux pieds emprisonnés sur la même planche.
On tombe parce qu’on fait d’abord l’erreur de croire que l’on peut tenir debout en gardant les deux pieds bien à plat sur la planche. Ce serait possible, bien sûr, si la planche était sur une surface plane. Mais ce n’est pas le cas. Puisqu’on est sur une planche, qui est sur une pente, garder les deux pieds à plat signifie qu’on aura forcément le corps incliné vers le bas de la pente. Et pour ne pas planter la tête dans la neige, il faut donc compenser cet élan naturel qui nous entraîne vers le bas. Ce qu’on fait, principalement, avec les pieds. En se tenant soit sur les talons, soit sur les orteils. Tout autre position et c’est sur le cul!
Comment savoir quand il faut se tenir de l’une ou l’autre manière? C’est l’évidence. Il faut mettre le poids sur les talons dès que notre corps fait le moindrement face au bas de la pente, et sur les orteils, à l’inverse, dès que notre corps est le moindrement de dos au bas de la pente. Le mot-clé, ici, est "le moindrement". Car le mal est vite fait. Dès que la planche n’est plus parfaitement parallèle à la pente et qu’un semblant de déviation est amorcé, il faut compenser. Malheureusement, les pieds ne semblent pas comprendre l’importance de la technique aussi rapidement que le cerveau (ah… pouvoir choisir ce moment-là pour penser avec les pieds!). Généralement, quand les pieds se rendent compte de ce qu’ils devraient faire, ça fait déjà longtemps qu’on a un nouveau bleu quelque part, la tête qui bourdonne et les lunettes de travers…
C’est gagné!
Alors on tombe, on tombe, on tombe. Et puis bientôt, évidemment, vous avez tout compris, c’est un premier virage réussi. Et la sensation est enivrante. Plus qu’en ski, où l’équipement parvient difficilement à se faire oublier, on a rapidement sur une planche cette incroyable sensation qu’on est en train de flotter sur la neige. Flotter sur la neige comme on flotte dans la mer Morte. Comme si la neige et votre corps s’imbriquaient. Comme si, tout à coup, la planche n’était même plus là…
Après deux leçons, on peut faire de la planche. Mais ce que ça veut dire, en fait, c’est que deux leçons suffisent pour qu’on apprenne comment déraper, et comment tourner, la technique de base étant somme toute assez simple. Mais, de grâce, ne rangez pas de si tôt le Ben Gay…