Au coeur du quartier de North Beach, à San Francisco, le brouillard qui enveloppe la baie se dissipe lentement. La nuit s’installe. Sur Columbus Avenue, des notes de saxophone s’échappent d’un troquet faiblement éclairé. À l’intérieur, baigné par une pénombre bleutée, William Burroughs, Neal Cassady, Allen Ginsberg et Jack Kerouac sont plongés dans une discussion épistolaire tout en citant Verlaine et Rimbaud. Après avoir erré sur les routes des États-Unis, ces écrivains marginaux aux moeurs débridées déposent leur pénates dans le quartier de North Beach. Habités par une folle rage de vivre, ils vont devenir le chanvre d’une génération turbulente: la beat generation.
Tout commence un soir de 1955 dans une galerie d’art obscure de North Beach. Ginsberg déclame son poème épique Howl (Hurlement) devant une poignée d’aficionados beat. Truffé de références grinçantes, Howl est une véritable dénonciation du capitalisme, du racisme, de la guerre et des abus de pouvoir du système. Publié par la City Lights Bookstore (261, Broadway, angle Columbus Avenue), le poème est jugé tellement obscène qu’un long procès est intenté. Le verdict penche finalement en faveur de Ginsberg et tranche le débat sur la liberté d’expression.
Aujourd’hui, le visage de North Beach a certes changé depuis l’arrivée des beatniks, mais le quartier vibre toujours au rythme de cette époque étrangement distante. Une promenade au hasard de la découverte permet de renouer avec l’époque chamarrée qui le caractérisait. Voici donc quelques adresses emblématiques qui méritent de se retrouver sur l’itinéraire de tout émule beat qui se respecte.
La City Lights Bookstore était le quartier général de la beat generation. À la fois librairie alternative et maison d’édition, la City Lights Bookstore a été fondée en 1953 par le poète Lawrence Ferlinghetti. Cette librairie revendique l’honneur d’avoir été la première en Amérique à ne vendre que des livres de poche. Ferlinghetti publie donc Howl (Hurlement) de Ginsberg, puis On the Road (Sur la route), le roman-culte de Kerouac. Il tient toujours la barre de la City Lights Bookstore. N’hésitez pas à pousser sa porte, ne serait-ce que pour le plaisir de feuilleter un fanzine contestataire ou encore de dénicher un vieux classique qui dort sur une tablette.
Juste à côté de la City Lights Bookstore, sur Jack Kerouac Alley, le Vesuvio Café (255, Columbus Avenue) est un repaire nocturne qui semble toujours hanté par les fantômes du passé. Le décor distille une atmosphère qui respire la subversion et stimule l’imagination rebelle. Le soir venu, la clientèle bigarrée vient refaire le monde en levant un verre ou en jouant aux échecs.
Autre adresse beatnik qui semble figée dans le souvenir des années 50, le Caffe Trieste (Vallejo Street, angle Grant Avenue) draine son lot d’artistes fauchés et d’écrivains en manque d’inspiration. Attablez-vous le temps de siroter un café tonifiant pendant qu’un musicien gratte nonchalamment sa guitare tout en fredonnant sa rengaine.
Avec sa rutilante machine à expresso et son juke-box qui crache des airs d’opéra, le Tosca’s Cafe (242, Columbus Avenue) est un autre bastion des années 50. La plupart des habitués s’arrêtent ici pour prendre le cappuccino maison (mélange de cognac et de chocolat). La légende raconte qu’il y a une salle secrète adjacente au bar où le sérail du monde artistique vient se réfugier pour frotter sa cervelle contre celle d’autrui.
Beatnik
Féru de be-bop, c’est à l’univers jazz que Kerouac emprunta le terme "beat" pour le donner au mouvement. Le mot beat doit être interprété dans plusieurs sens. Dans l’argot des jazzmen noirs, beat signifie fauché, mais évoque également la pulsation de la batterie et le rythme. Une connotation péjorative de l’expression I’m beat, "je suis vanné", rappelle un état de fatigue ou les laissés pour compte. Le suffixe "nik" fait allusion au premier satellite lancé en orbite par les Soviétiques en 1957: Spoutnik. Dans le tourbillon de la guerre froide, on soupçonnait les beats de prêter allégeance au communisme.
Information utile
La plupart des compagnies aériennes desservent San Francisco à partir de Montréal. Comptez entre 500 $ et 800 $ pour l’aller-retour. La durée du voyage varie entre sept et neuf heures selon les escales. Pour obtenir une pochette d’information gratuite sur la ville, communiquez avec le San Francisco Convention & Visitors Bureau (tél.: (415) 391-2003).
Hormis les mois de janvier, février et mars où il pleut beaucoup, le climat de San Francisco est généralement plaisant. Entre les mois d’avril et septembre, la moyenne des températures est de 20 degrés Celsius. En règle générale, les nuits sont assez fraîches. Par ailleurs, en matière d’hébergement, le Green Tortoise Hostel (15 $; 494, Broadway, tél.: (415) 834-1000, www.greentortoise.com) propose un gîte rudimentaire qui conviendra aux voyageurs au budget serré. Dans un registre supérieur, l’Hotel Bohème (125 $; 444, Columbus Avenue, tél.: (415) 433-9111, www.hotelboheme.com arbore un décor résolument beat de l’époque révolue des années 50.