Vie

Une tradition dérangeante : Un repas qui a du chien

À la fin de chaque mois lunaire, l’artère située entre la Rivière Rouge et le West Lake, à Hanoi, s’anime de centaines de motocyclettes. Familles, collègues de travail et… chiens en cage se rencontrent aux portes de ces charmantes huttes en bambou qui bordent la Nhat Tan dike: les restaurants de viande de chien.

Ils ne ressemblent à rien. Oubliez l’image du comptoir de pho, le restaurant à l’occidentale ou l’étal qui tient d’une version vietnamienne du brunch du dimanche. Le restaurant de viande de chien se distingue d’abord par sa structure qui s’apparente curieusement aux demeures de certaines ethnies minoritaires du pays. Viennent ensuite les jappements, les hurlements et, surtout, l’odeur ambiante. En pénétrant dans la grande salle à aire ouverte où tout le monde est assis à même le sol de bambou, dans une cacophonie digne des heures de pointe les plus cauchemardesques, on ne peut pas dire que ça sente le chien. Des effluves d’une viande indéterminée s’infiltrent avec force dans les narines et s’acheminent lentement vers la pensée, alors le chien cuit, c’est donc ça. Un p’tit coup d’alcool de riz s’il vous plaît…

Tout est nébuleux sur la façon dont les chiens sont recrutés. On dit que seuls les chiens errants, âgés et handicapés sont récupérés à des fins nutritives. Mais certains soirs, des animaux de compagnie disparaissent – car le chien, au Viêtnam, a également le statut d’animal domestique, et il peut être fort bien traité. Chose certaine, leur mort ressemble à un film d’horreur: on saisit la bête au cou, à l’aide d’un crochet, puis on la bat bien fort pour en attendrir la viande. Avant même qu’elle ne rende son dernier souffle, on la plonge dans l’eau bouillante. Enfin, c’est ce qu’on raconte.

La cuisine du restaurant de chien est un endroit fascinant, mais diffère d’un établissement à l’autre. Quand ça ne ressemble pas à un abattoir, l’effet visuel est tout de même percutant; les pattes, les queues et les têtes des animaux sont conservées dans un coin pour la soupe. Le cuisinier fait tranquillement rôtir ses brochettes de chien sur la braise avant d’agiter le liquide de ses immenses marmites. La viande est ensuite apprêtée de différentes façons, comme n’importe quelle autre viande. En ragoût, en brochettes, en petites boulettes mignonnes comme tout, en tranches et en saucisses. La viande, bien qu’épicée, a un goût naturel très prononcé qui se retrouve à chacun des plats. L’effet psychologique est lourd, puisque la viande, loin d’être tendre, mis à part les flancs qui ressemblent à des tranches de porc, doit être maintes fois mastiquée, retournée dans la bouche, remastiquée, mais où est l’alcool de riz que j’avale ma boulette de chien …

Mais il y a d’autres versions du produit final. Dans certains marchés, on voit des chiens entiers, de cette teinte orangée si répandue dans le domaine de l’animal rôti. Seule la queue lui est retirée. Dans d’autres restaurants, moins courus que ceux de Nhat Tan, d’immenses paniers contiennent des moitiés de corps de chien, surtout des derrières, vous savez, avec les deux pattes d’en arrière, la croupe et la queue.

On ne sait trop d’où vient la tradition, mais chose certaine, les effets bénéfiques de la consommation de viande de chien ont convaincu la classe aisée du nord du pays d’adopter le rituel. Au Viêtnam, il n’est pas rare de consommer la chair des animaux – ou certaines de leurs parties isolées – pour leurs vertus aphrodisiaques, curatives ou bénéfiques. Le vin de pénis de chèvre, par exemple, est reconnu pour augmenter la libido. La légende raconte que l’empereur Minh Mang, qui en aurait un soir abusé, aurait eu des relations sexuelles fructueuses avec une vingtaine de femmes, dont 12 seraient tombées enceintes. Dans le sud du pays, la cervelle de singe transmet l’intelligence à celui qui la déguste, une expérience culinaire que seule peut se permettre l’élite financière. Que dire d’avaler un coeur de serpent encore tout chaud et palpitant entre le pouce et le majeur, ce qui constitue le summum de l’ingurgitation de chance à l’état brut. Quant à la viande de chien, elle apporte chance et bonheur à celui qui la consomme seulement si le rituel est accompli à la fin du mois lunaire. L’effet positif est inversé si un inculte ose manger du chien en début de mois lunaire.

Manger la thit cho (thit pour viande et cho pour chien) est l’occasion de se réunir entre amis et de boire quantité d’alcool de riz, tout en discutant. Les femmes, longtemps mises à l’écart, prennent désormais part au festin, bien qu’elles semblent moins friandes de l’expérience que les hommes. Plusieurs Vietnamiens, pour différentes raisons, se refusent à ce rituel, mais n’allez pas croire que c’est parce qu’ils possèdent un chien… Il n’est pas incohérent de voir un propriétaire de chien aller, précisément, déguster un autre chien.

Que les touristes se rassurent, puisqu’ils risquent peu de trouver malencontreusement un morceau de viande de chien dans leur assiette. Le chien est une viande prisée et dispendieuse. Par contre, si vous restez assez longtemps au pays pour vous faire des amis, vous serez probablement invité à une sortie au restaurant de viande de chien et, vous savez, quand l’alcool de riz coule à flots… Moi aussi, avant de partir, j’avais dit: "Jamais."


Guides de voyage, Direction: Asie
par Julie Sergent

Japon, Libre Expression ("Guides Voir"), 2001, 408 p.

C’est le pays de la robotique et de la cérémonie du thé, des geishas et des lutteurs de sumo, des volcans et de la méditation. Bref, un pays complexe, réunissant 125 millions d’habitants pour qui il semble tout à fait normal d’être à la fois extrêmement traditionaliste et résolument moderne. Avec plus de 800 photos couleur, le guide Voir qui s’y consacre témoigne de la riche diversité de ce Japon où l’on peut un instant se recueillir tranquillement dans une pagode, et le suivant, jouer du coude avec mille autres personnes pour avoir une place au bar à oxygène. Bon yen…


Haute-Asie, Fabienne Tisserand & Frédéric Hermann, La Renaissance du Livre (coll. "L’Esprit des lieux"), 2000, 189 p.

On sait bien que la Haute-Asie n’est pas la destination touristique numéro un, et c’est justement ce qui rend fascinant ce beau livre, rempli de photographies de nomades souriants, d’océans de glace, de steppes et de falaises désertiques. Les auteurs ont sillonné de larges pans de la Mongolie, puis longé la Muraille de Chine et traversé les montagnes au nord du Tibet, jusqu’au Turkménistan. Un périple rempli de surprises et de dépaysements et, surtout, plein de chaleur humaine.


Singapour, Libre Expression ("Guides Voir"), 2001, 208 p.

La rumeur veut que Singapour soit dotée d’un système punitif extrêmement sévère. C’est vrai. Vous pourriez avoir une amende de 2000 $ si vous êtes pris à vendre illicitement (!) du chewing-gum dans la rue, et de 1000 $ si vous fumez dans un restaurant. Le bon côté de la chose, c’est que la criminalité est forcément rare sur l’île centrale de Singapour, un petit territoire de 42 kilomètres sur 23 au sud de la Malaisie. D’autres chiffres? L’île compte 500 temples et 150 centres commerciaux. Et on estime que 90 % de la population, qui est d’origine chinoise, malaise et indienne, est alphabétisée.


Népal – Tibet, Le Guide du routard, 2001, 288 p.

Faire du trekking au Népal et au Tibet, quel rêve! Mais allons-y gracieusement. Le Népal est l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un revenu annuel moyen de 170 $ US, et toute la misère humaine qui en résulte. Et que dire du Tibet, sinon qu’il mérite tous les respects dus à ceux qui refusent de disparaître… Les routards suggèrent d
onc de ne pas lésiner avec les dons. Mais sur un ton plus léger, ils conseillent aussi de s’en mettre plein la vue, et puis de ne pas regarder les singes dans les yeux, et de ne pas tuer les lézards qui élisent systématiquement domicile dans la chambre d’hôtel!