Six heures du matin. Cela fait déjà sept longues heures que l’autobus a quitté Lima (la capitale péruvienne), direction plein sud. Fourbu, vous arrivez enfin à Nasca. L’air est sec et la chaleur, accablante. Un regard rapide suffit pour constater que la ville ne paie pas de mine, mais l’intérêt de votre visite réside ailleurs. Vous vous apprêtez à découvrir l’une des énigmes les plus étranges de l’Amérique du Sud. Il vous faut d’abord changer de moyen de transport et prendre la voie des airs.
En arrivant à l’aéroport, vous surmontez une légère appréhension, bien compréhensible, et vous embarquez à bord d’une avionnette. Le pilote vous fait signe d’être alerte et d’ouvrir l’oeil. Suivant un plan de vol bien précis, à environ 300 mètres d’altitude, l’avion plonge soudain; le pilote montre du doigt le sol. Non, ce n’est pas un mirage: c’est bien un singe qui surgit du désert; là, c’est une baleine; plus loin encore, un colibri et un lézard. Éberlué, le visage collé au houblot pour ne rien perdre du spectacle, vous finissez par découvrir une créature bien sympathique, tout en rondeurs, qui vous salue amicalement: c’est le "bonhomme astronaute".
Il y a une soixantaine d’années à peine, Nasca n’était qu’une simple étape routière perdue le long de la route panaméricaine. Son destin change en 1939. En survolant la région, Paul Kosok aperçoit un vaste réseau de figures formées de lignes creusées dans le sol, qui s’étend à perte de vue. Ce scientifique américain vient de révéler au monde l’existence d’un héritage fabuleux légué par les Nascas (300 av. J. -C. à 600 ap. J.-C.), de lointains prédécesseurs des Incas. Depuis, le nom de Nasca est indissociable des lignes qui sillonnent son territoire. Situées à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville, elles sont dessinées avec un souci du détail inouï, sur environ 400 kilomètres carrés; et seul un survol permet de constater l’ampleur de cet héritage séculaire. La fascination qu’elles exercent est en effet bien simple: les lignes de Nasca n’ont pas été tracées pour être vues à partir du sol!
À ce jour, on a identifié une quinzaine de dessins inspirés de sujets animaliers ou anthropomorphes pouvant atteindre une dimension de 300 mètres. Certaines lignes esquissent des formes géométriques qui s’étendent parfois sur une longueur de près de 1 500 mètres.
Ces dessins ont été tracés il y a environ 2000 ans. Comment expliquer une telle pérennité? Le peuple à l’origine de ces lignes connaissait parfaitement les effets du climat. Une fois la première couche de terre enlevée, les pierres qui composent le sillon tracé s’enfoncent légèrement dans le sol grâce à l’humidité nocturne. Par la suite, ce sillon de terre est fixé par le soleil et restera tel quel en raison de l’absence quasi totale de précipitations. Si cette explication semble évidente, la raison d’être des lignes demeure mystérieuse. Calendrier astronomique? Offrandes aux dieux tutélaires? Horoscope géant?
En 1968, l’Allemand Erich von Daniken avance la théorie la plus audacieuse dans son livre intitulé Chariots des dieux. Il soutient que les géoglyphes ne sont rien de moins qu’une piste d’atterrissage pour ovnis! Le livre devient rapidement un best-seller et attire des milliers de badauds qui, hélas, endommagent les fameuses lignes. Archéologues et chercheurs écartent cette théorie, en particulier Maria Reiche. Cette mathématicienne allemande (1903-1998) propose une explication plus pragmatique que celle de son compatriote. Les lignes représenteraient une sorte de calendrier astronomique pour déterminer le moment des semailles et des récoltes. Sa théorie ne fait pas l’unanimité. Peu importe: Reiche consacrera sa vie à étudier et à protéger ces motifs démesurés. Les efforts de la "gardienne des lignes de Nasca" sont salués en 1994 alors que les géoglyphes viennent s’ajouter à la liste de l’Unesco comme patrimoine culturel de l’humanité.
Jusqu’à présent, les intrigantes lignes de Nasca ont révélé bien peu du mystère qui les auréole. Est-ce pour quoi elles sont toujours aussi fascinantes?
L’avionnette (3 à 5 passagers maximum) est la seule façon d’observer les lignes de Nasca dans leur globalité. Le vol dure une quarantaine de minutes et coûte environ 50 $ US par passager. Surtout, évitez de trop manger avant l’envolée: les turbulences risquent de troubler votre digestion…
Alegría Tours (Nasca; Jr. Lima 168, tél.: 034-522-444, fax: 034-523-775; ([email protected]) organise des survols des géoglyphes. Les horaires sont sujets à changements. L’agence appartient au propriétaire de l’hôtel éponyme de Nasca, l’Hostal Alegría (30 $ US chambre double; même adresse que l’agence).