Vie

Bordeaux : Virage vert

Surtout connue pour être la capitale mondiale du vin, Bordeaux tente aujourd’hui de séduire avec d’autres atouts. Mais pour représenter la ville de demain qu’elle souhaite devenir, l’administration doit donner un sérieux coup de barre. Ce qu’elle fait.

En cette fin d’après-midi ensoleillé d’automne, le soleil berce les nombreux passants de la rue Sainte-Catherine, la grande artère piétonne de Bordeaux, et l’une des plus longues rues commerçantes de France. Le temps doux incite les Bordelais à fréquenter leurs lieux préférés: la place de la Comédie, face au majestueux Grand Théâtre (construit en 1780); la place Pey-Berland, qui renferme à la fois la mairie et, juste en face, l’imposante cathédrale gothique Saint-André (construite en 1440). Et nombre d’autres petits coins dont chacun a le secret.

Car la capitale mondiale du vin est avant tout une très belle ville. Les sols argileux et instables ont empêché la construction des monstres d’acier et de verre, ce qui lui a permis involontairement d’échapper à une modernité qui jure parfois dans le décor de nombreuses villes européennes. Elle a donc gardé son style particulier, né de la domination anglaise du XVIIIe siècle.

Nichée au bord de la Garonne, à 30 minutes de voiture de l’océan Atlantique, Bordeaux a longtemps abrité le port le plus achalandé de France et le deuxième plus important d’Europe. Bateaux de marchandises, embarcations de plaisance, mais aussi de nombreux vaisseaux de croisière prestigieux s’y arrêtaient pour découvrir les bonnes tables de la région et, évidemment, les grands vins.

Car l’avantageuse situation géographique de la ville lui a permis d’exploiter ce riche créneau. Avec un sol qui ne gèle jamais, un hiver sans neige, et une température qui descend rarement sous les 10 degrés, Bordeaux a un climat qui approche sensiblement celui de Vancouver. Alors les vignobles se multiplient. Et quel plaisir pour les touristes et les résidants de trouver de très bonnes bouteilles pour un prix moyen de 20 FF (4,25 $, prix de 2001).

Tournant
Mais la gloire du passé n’est pas garante d’un avenir sans problèmes. Et les marcheurs de la rue Sainte-Catherine, en cette belle journée, savent que, pour le moment, il est préférable de parcourir la ville à pied, plutôt qu’avec leur reine à quatre roues. Car depuis un peu plus d’un an, les quatre coins de la ville sont sens dessus dessous, perturbés par des travaux à la grandeur de l’agglomération. Il est donc préférable d’utiliser ses pieds ou les transports en commun pour découvrir les charmes de Bordeaux.

C’est que le nouveau maire de la ville, Alain Juppé, qui fut aussi premier ministre, a décidé de donner un sérieux coup de barre. Il veut faire de la capitale de l’Aquitaine un endroit tourné vers l’avenir. Un centre pratique, agréable pour tous, et qui répondait davantage aux enjeux écologiques.

Ce virage a été salué par tous. Et il était temps. Bordeaux n’était plus que l’ombre de son passé, une ville encrassée par des années d’immobilisme. Pour rattraper le temps perdu, le maire a commencé par ordonner la revitalisation des immeubles de pierre et de béton que le temps humide avait fait noircir. Plus d’une centaine d’édifices ont pratiquement leur aspect original, au grand bonheur des promeneurs.

L’heure des grands chantiers
L’administration ne faisait que commencer. Car le plus gros problème de Bordeaux restait sa trop dense circulation automobile. Aucune autoroute suburbaine, des boulevards désuets: les Bordelais étaient épuisés quotidiennement par des heures de… bouchons!

Pour remédier à cette situation, la Communauté urbaine de Bordeaux a décidé de créer un vaste plan de transport, axé sur les moyens non polluants. Première étape, la mise en place d’un tramway, pierre angulaire de l’avenir selon les élus.

C’est cet immense chantier, dont la première phase sera achevée en 2003 et la dernière en 2007, qui perturbe tout le coeur de Bordeaux actuellement. Construit au coût estimé de près de 1,5 milliard de dollars canadiens, le tramway fera plus de 43 kilomètres sur trois axes différents. Les services d’autobus seront aussi repensés, tout comme les stationnements incitatifs, qui seront souterrains.

Mais le virage vert ne s’arrête pas là. Quatre grandes places de la ville, qui sont actuellement des ronds-points automobiles (intersections), seront entièrement repensées pour permettre un espace d’au moins 60 % dédié aux piétons.

Ainsi, la place de la Victoire, qui est l’une des portes d’entrée sur le centre-ville, sera aménagée pour faire des marcheurs les rois de l’endroit. Les citoyens et touristes pourront ainsi découvrir le point de rassemblement des étudiants en toute tranquillité. Et les jeudis soir, alors que la place s’anime à la faveur des plus imposants débits d’alcool de France (selon les journaux locaux), les fêtards pourront s’amuser sans risque.

De plus, la Ville revitalise les berges de la Garonne et transforme les vieux hangars du port en locaux commerciaux ou à destination d’organismes dynamiques comme l’École de cirque. L’aménagement de pistes cyclables et la multiplication des parcs le long du fleuve achèveront de redonner cet espace vital aux citoyens. Déjà, les nombreux musées et attractions qui bordent le cours d’eau apportent un dynamisme stimulant pour les visiteurs.

La ville subit ainsi ses plus grands changements depuis des décennies. "Dans moins de six ans, le coeur de Bordeaux sera totalement métamorphosé comme jamais depuis un siècle", soutient Alain Juppé. Un virage brusque mais nécessaire, qui risque de rendre Bordeaux encore plus séduisante.