Vie

Alcatraz : Les portes du pénitencier

Guide audio sur la tête, j’ajuste le volume tout en m’engageant dans l’allée mal éclairée. Les écouteurs distillent des bruits de pas sourds mêlés aux tintements de clefs. Le grincement métallique des portes coulissantes me fait tressaillir. Je me trouve soudain devant un dédale de couloirs flanqués de cellules aux dimensions lilliputiennes. C’est ici qu’on incarcérait les plus grands malfrats des États-Unis. Al Scarface Capone, George Machine Gun Kelly et autres personnages aux surnoms bien sympathiques ont séjourné derrière les barreaux de la plus célèbre prison en Amérique.

Durant les années noires de la prohibition, le gouvernement américain cherche un pénitencier à sécurité maximale pour mater les criminels les plus endurcis. Le choix s’arrête sur l’île d’Alcatraz, située dans la baie de San Francisco. Distante de deux kilomètres de la ville, cette prison insulaire, entourée de falaises abruptes, est baignée en permanence de courants glacials (huit EC) et puissants (quatre noeuds). Bref, c’est l’endroit rêvé pour aménager une forteresse quasi inaccessible et d’où l’on ne s’évade pas.

De 1933 à 1963, la prison est gardée nuit et jour par des geôliers fiers et incorruptibles. Tout est mis en oeuvre pour briser psychologiquement les prisonniers. Leurs besoins fondamentaux se trouvent au premier échelon de la pyramide de Maslow: nourriture, gîte et vêtements. Lecture, balade à l’air libre et travail sont considérés comme des privilèges qu’il faut mériter par une conduite exemplaire. Rien n’est laissé au hasard et l’on passe tout au peigne fin. Les gardiens poussent le scrupule jusqu’à retaper à la machine les lettres adressées aux détenus au cas où la correspondance serait secrètement codée. Même Al Capone, le gangster mythique, ne parvient pas à soudoyer ses gardiens. Après un séjour à Alcatraz, le caïd des mafiosi finira ses jours en Floride, physiquement diminué et rongé par la syphilis.

Les prisonniers qu’on juge trop agités sont confinés dans les quartiers cellulaires du bloc D, en isolement solitaire. Mieux connu comme The Hole (le "trou"), cette mise au cachot est le pire des sévices qu’on puisse infliger aux détenus. La cellule glauque, sans lumière, est dotée d’un sanitaire et d’une simple couverture pour toute literie. À l’aube, un gardien vient réveiller le pensionnaire pour lui enlever son "lit". Le plancher est tellement froid que le détenu préfère rester debout à ne rien faire, frôlant la neurasthénie. L’assassin notoire Robert Stroud passa 17 années entre le "trou" et l’infirmerie. Surnommé The Birdman en raison de ses connaissances approfondies sur les maladies des canaris, Stroud inspira le cinéaste John Frankenheimer. En 1962, ce dernier réalisa Birdman of Alcatraz.

Du réfectoire, les fenêtres laissent entrevoir une vue magnifique sur la baie de San Francisco. La liberté semble à la fois si près et tellement loin. Pas étonnant que les bagnards souhaitent prendre la poudre d’escampette. Parmi les 14 tentatives d’évasion rapportées, six détenus furent criblés de balles, cinq se noyèrent, et les autres furent facilement repris. John Paul Scott est le seul à gagner la rive à la nage. Au bord de l’hypothermie, il s’échoua sur les parois rocheuses de Fort Point sous le Golden Gate Bridge. Malheureusement pour lui, le pauvre type était tellement épuisé après cette évasion presque réussie que ceux qui le repêchèrent croyaient avoir affaire à une tentative de suicide manquée. Une fois la police alertée, Scott fut vite reconnu et gentiment escorté jusqu’à sa cellule.

En traversant le couloir cyniquement surnommé "Broadway" (qui sépare les blocs B et C), une cellule attire mon regard. Des mannequins cachés sous les couvertures évoquent la plus célèbre tentative d’évasion. Le 11 juin 1962, Frank Morris et les frères Anglin (Clarence et John) trompèrent la vigilance des gardiens et s’échappèrent par les conduits de ventilation. Ils ne laissèrent aucune trace. Par crainte de perdre la face, les autorités carcérales affirmèrent que le trio s’était sans doute noyé au cours de sa cavale. À ce jour, le mystère demeure entier. Don Seigel porta l’histoire à l’écran dans Escape from Alcatraz.

En 1963, la prison ferma ses portes à cause des coûts d’entretien prohibitifs et des installations vétustes. On alla même jusqu’à souligner qu’il en coûtait aussi cher de garder un prisonnier que de louer une chambre au chic Waldof Astoria à New York!

Brièvement occupée par les Amérindiens après sa fermeture, Alcatraz est aujourd’hui recyclée en attraction touristique visitée annuellement par un million de personnes.

Renseignements utiles

Blue and Gold Fleet (Pier 41, tél.: 705-5555, www.blueandgoldfleet.com) et Red and White Fleet (Pier 43-1/2, tél.: 673-2900, www.redandwhite.com) organisent des excursions jusqu’à Alcatraz.

Coût: 20 $ US

Durée: 3 heures

Les réservations sont vivement suggérées.