Je l’écris semaine après semaine: le monde est de moins en moins facile à analyser. Plus ça va, plus la réalité se complexifie. Terminée, l’époque où l’on pouvait séparer le monde en deux camps clairement opposés: droite/gauche, exploiteurs/exploités, bons/méchants. Aujourd’hui, chaque question ouvre la porte sur des dizaines d’autres questions.
Chaque réponse nous laisse sur notre faim.
Chaque solution proposée apporte sa part de problèmes.
La morale est devenue un terrain glissant, miné. On s’y aventure à nos risques et périls, en sachant fort bien qu’on a plus de chances de se planter que d’en sortir indemne.
Difficile, dans ce contexte, de se prononcer sur l’actualité. En effet, comment savoir où se situe la vérité? Avons-nous tous les éléments en main pour pouvoir juger d’une situation? Bien sûr que non. Il y a toujours des cartes cachées, des stratégies secrètes, des choses qui nous échappent.
Résultat: on croit jeter un peu de lumière sur la réalité alors qu’en fait, on tâtonne dans le noir.
Cette semaine, je vous propose de tâtonner avec moi. Voyons si nous pouvons, en mettant nos expériences, nos points de vue et nos idées en commun, y voir un peu plus clair.
Régulièrement (une fois par mois ou une fois aux cinq semaines, on verra), je vous demanderai de participer à une sorte de jeu. Appelons ça le jeu de la morale. Je vous présenterai un dilemme éthique inspiré d’une histoire vraie, et vous demanderai de me faire part de votre point de vue. La semaine suivante, nous publierons vos réactions dans les pages du journal, de même que les réflexions de quelques spécialistes qui se sont penchés sur la question. Ça vous va?
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Premier sujet abordé: la torture. L’utilisation de la torture peut-elle être justifiée?
L’histoire qui servira de base à notre discussion est tirée de l’édition de janvier de la revue américaine The Atlantic.
Dans un texte intitulé The Nasty Business, le journaliste Bruce Hoffman relate l’histoire vraie de Thomas (pseudonyme), un officier de l’armée sri-lankaise spécialisé dans la cueillette d’informations.
Comme vous le savez, l’armée sri-lankaise lutte depuis plusieurs années contre un groupe terroriste sans foi ni loi: les Tigres tamouls. Il y a quelque temps, l’unité du soldat Thomas apprenait, via ses informateurs, que les Tigres tamouls avaient placé une bombe dans un endroit public, et que cette bombe allait exploser dans la journée.
Le hic, c’est que l’armée ne savait absolument pas où cette bombe était cachée. Elle n’avait que quelques heures pour la retrouver et la désamorcer. Il fallait agir vite. On a donc fait appel à Thomas.
Le soldat Thomas n’est pas le genre d’homme à trébucher sur les fleurs du tapis, et à discuter pendant des heures et des heures du comment du pourquoi. Ses confrères le surnomment d’ailleurs The Terminator – c’est dire.
Thomas n’a pas perdu de temps. Il s’est enfermé dans une salle avec trois membres des Tigres tamouls qui venaient tout juste d’être arrêtés, et leur a demandé de lui dire où était la bombe. Les prisonniers n’ont pas ouvert la bouche. Thomas leur a dit que s’ils ne parlaient pas, il allait les tuer. Toujours pas de réponse. Alors le soldat Thomas a sorti son revolver de sa poche et a tiré un des prisonniers dans la tête.
Les deux autres terroristes ont tout de suite parlé, et la bombe a été désamorcée à temps. Elle était cachée dans une gare, et aurait pu faire une centaine de victimes innocentes.
Question: Thomas a-t-il bien fait d’agir ainsi? Est-il moral de tuer ou de torturer un homme pour en sauver des centaines d’autres? La raison d’État et la sécurité nationale justifient-elles ce genre de pratiques?
"On ne peut pas combattre le terrorisme si on suit la loi à la règle, de dire Thomas au journaliste qui l’interviewait. La seule façon de vaincre le terrorisme est de terroriser les terroristes."
Qu’en pensez-vous? Faites-moi parvenir votre opinion par courriel ([email protected]), par fax (514 848-9004) ou via le site Web et le courrier ordinaire. Ne répondez pas seulement par oui ou par non: développez votre pensée, étayez votre argumentation. Et n’hésitez pas à être politiquement incorrects.
Il ne s’agit pas de s’envoyer promener, mais bien de réfléchir ensemble. Nous attendons vos réponses. On s’en reparle la semaine prochaine.