Vie

Mauricie : Canot sur rail, canot sur eau

Dix heures du soir au milieu de nulle part. La pluie tombe doucement sur la tente et l’on entend quelques grenouilles qui croassent dans un étang proche. Le canot, lui, repose sur son lit de sable fin, entre deux plaques de mousse tendre, au bord de la rivière Batiscan. Nous sommes en Haute-Mauricie, à 170 kilomètres d’eau en amont du fleuve Saint-Laurent.

Pour venir jusqu’ici, au coeur de la forêt boréale, sans aucune route d’accès, le seul moyen de transport se nomme train. Et c’est un train bien particulier que le bicéphale de Via Rail, qui assure au choix les liaisons Montréal-Jonquière et Montréal-Senneterre, avec séparation des corps à Hervey-Jonction, un peu au nord de Saint-Tite. Les trains "Abitibi" et "Saguenay" emportent aussi bien des gens "normaux" que d’extravagants vagabonds en mal d’aventures naturelles, tels les chasseurs ou pêcheurs rejoignant leur camp en bois rond et les cyclistes invétérés ou canoteurs plus ou moins intrépides. Chacun descend où bon lui semble, choisissant parmi une centaine d’arrêts sur les deux parcours, dont les deux tiers sont "à la demande". Au kilomètre x du bord de la voie ferrée, un chemin de terre ou un simple sentier mène au camp ou à la rivière.

Passé Rivière-à-Pierre – terminus routier – on débarque du fourgon à bagages cannes à pêche, glacières et moteurs de chaloupe, fusils de chasse et caisses de bière, bicyclettes ou canots… Au retour, certains voyageront plus légers et d’autres plus lourds, avec leurs quartiers d’orignal ou leurs prises de pêche! Notre canot, embarqué à la gare centrale de Montréal, retrouve l’air libre en sortant par l’arrière du train à l’arrêt Pearl Lake, à l’ouest de la réserve faunique des Laurentides. Quelques mètres nous séparent de la rivière Batiscan, sur laquelle nous "voguerons" durant trois jours vers le sud. À terre, les mouches noires et les maringouins hérissent un peu le poil non couvert, mais sur l’eau les paysages sont si flamboyants qu’on oublie tout… Les kilomètres filent avec le courant et le vent dans le dos. Bouleaux, peupliers et épinettes offrent une riche palette de verts, du plus tendre au plus sombre. La roche affleure souvent en collines et falaises et chaque méandre apporte son lot de surprises.

Aux premiers rapides, mieux vaut avoir, en avant comme en arrière, les bons coups de pagaie, appris ou révisés quand l’eau était calme! Les plus "doux" se passent sans quitter le canot, mais dès que le rapide atteint la classe trois ou quatre, il faut mettre pied à terre pour aller le "lire", repérer les bons passages en forme de veines d’eau noire, débusquer les roches qu’il faudra ensuite éviter dans les eaux tumultueuses et tracer mentalement la ligne idéale à suivre pour traverser le rapide sans encombre. Dans la vie réelle, tout se passe si vite que la réflexion est réduite à l’essentiel: donner le bon coup de pagaie au bon moment. Sinon, on cogne la roche et on embarque quelques dizaines de litres d’eau, transformant ainsi le canot en baignoire qu’il faudra vider vite pour ne pas verser! C’est un moindre mal, compte tenu des circonstances… Et toujours mieux que le long portage qui nous attend: 600 mètres dans le bois à parcourir avec barils, glacière et canot…

Rien de tel qu’un campement au bord d’un rapide pour se remettre des émotions fortes et de la fatigue musculaire. L’heure est au farniente, à la sieste dans un hamac accroché entre deux arbres, au jeu de patience en forme de pêche à la truite… qu’on dégustera pour souper, au coin du feu de bois. Tout au long du périple d’une petite trentaine de kilomètres, pas âme humaine qui vive. Nos plus fidèles compagnons se nomment Martin, l’oiseau pêcheur au vol incertain et au cri perçant, et Frédéric, le bruant au chant joyeux… Les autres sont de passage: canards col-vert ou bec-scie, grenouilles et papillons, jeune héron montant la garde. Au troisième soir, un lièvre nous rendra visite tandis qu’un chevreuil se trémoussera longtemps sur l’autre rive, à la brunante. Un castor manifestera plus tard son mécontentement de nous voir, en tapant de la queue tout en traversant la rivière. D’un ours, seules restent visibles les marques de ses griffes sur le tronc d’une épinette.

Au détour d’un méandre, un pont ferroviaire signale le retour à la civilisation. L’histoire du chemin de fer nous rattrape au "pont Beaudet", près d’une superbe ferme ancestrale qui servit, en 1885, de base alimentaire aux ouvriers du chemin de fer en construction. À regret, nous quittons Frédéric, Martin et la Batiscan qui poursuit sa route vers le fleuve. Nous avons rendez-vous avec le train.

Pour organiser soi-même son voyage: Via Aventures, tél. (514) 989-2626, www.viarail.ca/aventures

Pour un forfait guidé: Windigo Aventure, tél. (514) 948-4145, www.windigo.qc.ca