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Le cancer, une malchance? La suite!

Fumée

En janvier dernier, j’avais écrit un billet au sujet d’un article publié dans la revue Science concluant que le cancer était essentiellement causé par la malchance. Une nouvelle suffisante pour faire oublier leur résolution du Nouvel An à bien des gens.

En fait, il s’agissait d’une interprétation abusive d’un article qui disait plutôt que la probabilité de développer un type de cancer dépendait en grande partie du nombre de divisions cellulaires. Le cancer serait donc causé par une erreur de copie lors de la multiplication. Par conséquent, fondamentalement, c’est un processus purement aléatoire. Cependant, cela ne dit absolument rien au sujet du risque de développer un cancer pour un individu.

C’est à cette question que s’attaque à un article publié dans la revue Nature cette semaine. Et, ses conclusions sont complètement à l’opposé du premier article : la très grande majorité des cancers sont causés par des facteurs externes. Les auteurs concluant que seulement 10 % à 30 % des cancers sont purement dus à des facteurs internes et sont donc fondamentalement inévitables.

La logique des auteurs est assez simple. En partant des données sur le taux de cancer lié au nombre de division cellulaire, ils supposent qu’il y a deux catégories : le taux intrinsèque et le taux extrinsèque. Ils déterminent ainsi un taux plancher de cancer et attribuent tout ce qui est plus élevé aux facteurs externes.

Taux de cancer en fonction du nombre de division cellulaire (Wu et al 2015)
Taux de cancer en fonction du nombre de divisions cellulaires

Il s’agit d’un argument mathématique très simple. Cependant, je me dois de noter que cette approche ne permet que d’évaluer une limite inférieure au taux de cancer intrinsèque. En effet, si ce taux n’est pas constant en fonction des tissus, cette mesure sous-estimera automatiquement le taux réel. Sans compter les incertitude énorme associées à l’utilisation de cette méthode sur un graphique à échelle logarithmique.

Heureusement, les auteurs renforcent aussi leur thèse en utilisant des données épidémiologiques. Par exemple, le taux de cancer du sein est 5 fois plus élevé en Europe qu’en Asie ou en Afrique, et le taux de cancer de la prostate est 25 fois plus élevé en Australie qu’en Asie du Sud-est. De même, la variation observée du taux de cancer dans le temps montre aussi l’importance des facteurs externes.

Le cancer colorectal est causé à 75 % par la diète. Le cancer de la peau est causé de 65-90 % par l’exposition aux ultraviolets. Même chose pour le cancer de l’œsophage causé à 75 % par l’alcool et le tabac. Le virus du papillome humain cause 90 % des cancers du col de l’utérus, de l’anus et 70 % des cancers œspharyngés. L’hépatite B et C cause 80 % des cancers du foie, alors qu’Helicobacter pylori cause 65 à 80 % des cancers de l’estomac.

Finalement, les auteurs notent que seules 2 mutations associées au cancer, sur les 30 connues, montrent une corrélation avec l’âge. Ce qui indique qu’elles sont probablement causées par des erreurs de transcription lors de la division cellulaire et sont donc intrinsèques.

Dans l’état actuel de la connaissance, il est donc très clair que la majorité des cancers sont causés par des facteurs extrinsèques. Cependant, extrinsèques n’est pas nécessairement synonyme d’évitable, ou d’environnementales au sens usuel, comme certains l’on fait abusivement.

En effet, les principales causes évitables du cancer sont connues depuis longtemps : tabac, alcool, diète, surpoids et exposition au Soleil. Quant à eux, les risques associés aux virus du papillome humain et à l’hépatite peuvent être éliminé par des vaccins, alors que ceux liés à Helicobacter pylori tendent à disparaître comme effet secondaire des traitements antibiotiques. Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la santé, environ 30 % des cancers sont évitables.

Cela nous laisse tout même en 40-60% des cancers provenant des causes extrinsèques qui sont difficilement évitables. En effet, la réduction de certains risques peut augmenter d’autres risques. Ainsi, les Japonais souffrent de cancer de l’estomac, mais moins de cancer colorectal que les Américains en raison de leur diète. Le risque est moindre, mais pas nul. En effet, la comparaison entre les différents pays est une indication de l’impact, mais aussi des limites du mode de vie sur les taux de cancer. De même, le taux de cancer global reste tout de même assez constant avec le temps. Et, quand même il existerait un mode de vie optimal, est-ce qu’il serait psychologique acceptable de le suivre?

Ce qui m’amène à conclure avec cette réflexion prémonitoire au sujet du culte de la santé de Socrate tiré du IIIe livre de la République de Platon au sujet de Hérodicus de Lentini, contemporain d’Hippocrate et créateur de la gymnastique médicinale et père de la diététique.

Hérodicus était maître de gymnase : devenu valétudinaire, il a fait de la médecine et de la gymnastique un mélange, qui servit à le tourmenter surtout lui-même, et bien d’autres après lui. … En lui ménageant une mort lente; car, comme sa maladie était mortelle, il la suivait pas à pas sans pouvoir la guérir, et négligeant tout le reste pour la soigner, dévoré d’inquiétudes pour peu qu’il s’écartât de son régime, de sorte qu’à force d’art il parvint jusqu’à la vieillesse dans une vraie agonie.

Sur ce, joyeuses fêtes et carpe diem.