La nouvelle est tombée cette semaine : Hydro-Québec voudrait contrôler les chauffe-eaux à distance. Cette nouvelle n’a pas manqué de créer une réaction viscérale chez certains qui y voient une invasion de leur vie privée. Toutefois, la réalité est bien différente.
En effet, ce qui est proposé, c’est d’utiliser les chauffe-eaux comme des outils de gestion de la demande électrique. Comme c’est un nouveau concept, cela crée de la confusion dans le public.
Historiquement, toutes les interventions d’Hydro-Québec portaient sur la gestion de l’énergie. On construisait des barrages pour produire de l’énergie et on avait des programmes pour économiser l’énergie. Cependant, cette pratique a des limites. En effet, le Québec possède présentement des surplus énormes d’énergie (de l’ordre de 30 TWh), qu’il écoule sur les marchés extérieurs en bas de prix de production. Pourtant, malgré tous ces surplus d’énergie, on doit acheter à fort prix de l’électricité sur les marchés extérieurs en période de pointe.
Au Québec, le réseau électrique fait face à une très importante pointe hivernale parce que l’on chauffe nos maisons à l’électricité (Précision utile pour les étrangers : avec des résistances électriques!). La pointe fine ne dure que quelques centaines d’heures, mais demande des ressources considérables pour être remplie, qui ne sont pas requises le reste de l’année. C’est pourquoi cela ne fait guère de sens d’ajouter des moyens de production supplémentaires.
De plus, cette demande accrue à d’autres conséquences néfastes. D’une part, le réseau étant plus sollicité, il y a plus de pertes par effet Joule. En effet, quand un courant passe dans un fil électrique, il y a des pertes dues à l’échauffement du fil. C’est pour cette raison que l’on augmente la tension (le voltage), jusqu’à 735 kV, ce qui diminue proportionnellement le courant (P=VI). Cependant, ce dernier est proportionnel à la puissance demandée alors que les pertes augmentent avec le carré du courant électrique (P=RI2). Cet effet est tellement important que la nouvelle ligne haute tension Chamouchouane–Bout-de-l’Île, qui va coûter 1,4 G$, va se rembourser uniquement par la réduction de pertes d’énergie.
De plus, il n’y a pas que les pertes dans les lignes de transmission à tenir en compte. Plus le courant électrique est important, plus les équipements vieillissent vite, et ce de façon très marquée. Finalement, en période de pointe, on importe de l’électricité qui est souvent de sources non renouvelables, contrairement à celle produite au Québec (99,7 %), ce n’est pas désirable non plus.
On a donc de bonnes raisons de vouloir contrôler la demande au lieu de construire de nouvelles centrales. D’ailleurs, cette pratique est déjà en place dans certaines industries. De plus, dans une logique de réseau intelligent, il est normal que cette possibilité soit proposée aux simples citoyens.
Même si c’est moins excitant que les panneaux solaires et les voitures électriques, c’est une solution élégante de gestion distribuée de l’énergie. Ainsi, un réservoir de 270 ℓ permet de stocker 11,3 MJ (3,2 kWh) pour une différence de température de 10 °C. Même si cela peut sembler peu, c’est loin d’être négligeable. En effet, le nombre de chauffe-eaux est très important et leur profil de consommation est fortement corrélé avec celui de la demande globale d’électricité, contribuant ainsi 1 700 MW à la pointe. C’est plus que la puissance du complexe hydroélectrique de la Romaine (1 550 MW). Un projet qui, incluant les infrastructures de transport, coutera près de 8 G$.
Le contrôle des chauffe-eaux domestiques représente donc une solution potentiellement économique à la gestion de la pointe de demande. D’ailleurs, il ne s’agit pas ici d’éteindre bêtement le chauffe-eau comme cela a été affirmé dans plusieurs médias, mais de jouer sur la température de consigne. En effet, il n’est pas souhaitable que la température de l’eau descende sous les 50 °C en raison des risques de prolifération de la légionellose. Au Canada, les chauffe-eaux fonctionnent typiquement à 60 °C. Il y a d’ailleurs un débat perpétuel entre ceux qui veulent que cette température soit abaissée à 49 °C pour éviter les risques de brulures et ceux qui s’inquiètent plus du risque de légionellose.
L’approche qui a été étudiée par Hydro-Québec est d’abaisser pendant la période de pointe la température de consigne à 50 °C. De cette façon, on évite que les chauffe-eaux démarrent pendant la pointe tout en s’assurant tout de même d’avoir toujours de l’eau chaude. Hors pointe, la température de consigne remonte à sa valeur d’origine. Afin d’éviter que tous les chauffe-eaux redémarrent au même moment, la séquence de redémarrage s’étale sur 2 heures avec une attribution aléatoire; les chauffe-eaux les plus froids ayant une plus grande probabilité de redémarrer en premier. Cette approche étagée permet de réduire la consommation à la pointe d’environ 650 W par chauffe-eau.
Évidemment, si l’on fournit ce service comme citoyen, il convient de recevoir une compensation financière. Pour référence, des montants de 50 à 60 $/kW par an sont présentés dans les contrats d’approvisionnement les plus récents de HQ (dont le contrat d’utilisation intermittente de la centrale au gaz de Bécancour). Dans les mêmes conditions, un citoyen pourrait s’attendre à recevoir entre 30 et 40 $ par an pour le service de stockage d’énergie offert par son chauffe-eau.
L’autre façon de procéder est de se baser sur la variation du prix horaire de l’électricité que l’on importe. Le prix de référence dans ce domaine est celui de l’interconnexion NYISO. En isolant, uniquement les mois de décembre, janvier, février et mars des années 2012 à 2015 (excluant décembre dernier), j’essaye d’établir la variation du profil quotidien du prix de l’électricité à l’importation. Il est à noter que cette approche est raisonnable, mais grossière parce que dans ces mois, on exporte quand même entre les périodes de pointe.
Cette courbe présente une variation importante avec deux pics (8 h : 6,2 ¢/kWh, 18 h :7,7 ¢/kWh) et deux creux (2 h : 3,6 ¢/kWh, 14 h 4,2 ¢/kWh). En bridant les chauffe-eaux de 6 h à 9 h et entre 17 h et 20 h et en les laissant se recharger sur une période de deux heures, on ferait économiser 8,90 $ par an à Hydro-Québec. Une stratégie encore plus optimale serait de charger les chauffe-eaux entre 2 h et 3 h et entre 13 h et 14 h. L’économie serait alors de 18 $/an.
[Hors sujet: Il est à noter que le prix moyen à l’exportation est de l’ordre de 3 ¢/kWh, ce qui rend douteux la rentabilité du projet de la Romaine, même avec des crédits pour l’énergie renouvelable.]
Toutefois, en raison de l’approximation faite plus haut, il s’agit d’une sous-estimation, de sorte que les gains véritables sont vraisemblablement plus importants surtout si la stratégie de contrôle des chauffe-eaux est optimisée en temps réel, ce que permet en théorie les nouveaux compteurs communicants. En effet, les prix utilisés dans ces calculs sont pour les enchères à un jour (Day-Ahead). Dans le marché en temps réel (Real-Time, aux 5 minutes), les prix sont plus variables donc le stockage serait encore plus rentable.
Par conséquent, compte tenu des considérations précédentes, un crédit annuel minimal de l’ordre de 25 $ me semble tout à fait raisonnable, si l’on tient compte du coût des équipements supplémentaires pour contrôler le chauffe-eau. Ne reste plus qu’à Hydro-Québec de lancer son programme, car j’attends cela pour remplacer le mien.
Lecture suggérée:
Billets précédents:
Vous n’avez pas la notion d’ « heure creuse » ? ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Heure_creuse )
En Suisse (et en France), une impulsion est transmise sur le réseau pour enclencher les chauffe-eau et les chauffages électriques à accumulation pendant le creux de consommation (22h – 5h environ) et commuter entre des « compteurs doubles » parce que l’électricité est environ 2x moins chère à ce moment là…
Le « smart grid » qui permettrait de piloter les installations à distance est l’étape d’après…
Nous avons un système comme cela pour les systèmes de chauffage biénergie (mazout, électricité). Il démarre quand la température extérieure est basse (-12 °C ou -15 °C selon la région).
Autrement, le coût marginal de l’électricité ne varie pas assez pour justifier un tarif différencié; la demande de pointe durant moins de 400 heures par an.
J’installe des systèmes géothermiques qui réduisent de 65-70% le coût de chauffage, si HydroQuébec offrirait des tarrifs réduits au kWh à tous ceux qui sont en géothermie cela serait un incitatif suffisant pour motiver des installations et réduire la charge de pointe en hiver.
Effectivement, la géothermie réduit la consommation générale d’énergie. Cependant, en général, pour réduire la taille de la pompe à chaleur on lui adjoint une résistance électrique pour avoir une surplus de puissance par temps très froids. Par contre, le désurchauffeur réduit les besoins en eau chaude, mais il ne devrait pas fonctionner par temps très froid. De sorte, que je ne sais pas ce que cela donne comme profil de consommation au final.
De plus, il faudrait faire une analyse technicoéconomique détaillée afin de savoir quelle est la valeur économique de l’électricité économisée à Hydro-Québec, indépendamment des économies que le client peut faire. L’autre chose à considérer est que de donner un rabais sur les tarifs n’est pas nécessairement un bon incitatif, si la consommation diminue énormément. À vue de nez, la contribution à la réduction de la pointe d’un système de géothermie pourrait valoir aux alentour de 2 000 $ sur la durée de sa vie utile. Je ne pense pas que ce soit suffisamment pour faire changer la balance économique dans la plupart des cas.
Toutes mes félicitations, monsieur Dutil pour ce texte complet et très bien écrit.
Bien sûr qu’HQ s’en vient avec le contrôle à distance des appareils ménagés. Les compteurs intelligents étaient là première étape nécessaire à la mise en œuvre d’une telle mesure puisqu’ils permettent la communication bidirectionnelle entre HQ est les installations de ses clients (incluant le chauffe-eau). Je m’y attendais.
Perso, je trouve très positive de pouvoir collaborer avec HQ pour baisser ses coûts et les nôtres.
En fait, il n’y a pas beaucoup électroménagers qu’Hydro-Québec aurait avantage à contrôler à distance. Ce qui a été examiné, c’est le chauffe-eau et la voiture électrique. Éventuellement, on aura tous des panneaux solaires et des unités de stockage domestiques qui pourraient être contrôlés à distance. Les génératrices de secours des édifices et certains sous-systèmes pourraient aussi être contrôlés à distance pour diminuer la pointe.
Utiliser la bi-énergie ou utiliser les génératrices de différent bâtiments comme source énergétique est probablement une solution a cours terme et est a mon avis a l’encontre des problèmes de pollutions. Utiliser dans les nouveaux bâtiment la géothermie est la solution de l,avenir bien que dispendieux cette solution est des plus rentable pour de grand édifice. je travail dans le domaine de l’ingénierie et je peux dire ex »: Un bâtiment qui devrais consommer près d’un million de watts heures en consomme a peine 250,000/hres.Toute en donnant un excellent confort (même supérieur au attente) et le tout combiné a un éclairage D.E.L,. et une bonne gestion d’énergie informatisé. ALORS POURQUOI NE PAS SUBVENTIONNER CES TYPES D’INSTALLATION
Je comprends très bien que dans le contexte du marché actuel de l’énergie, la géothermie n’est pas rentable sauf dans le cas où l’on substitue un système de chauffage à l’huile et ce partout au Canada. Il s’agit effectivement d’une technologique qui devrait être favorisée.
Cependant, il faut aussi être conscient que dans de nombreux cas, il s’agit d’une énergie fossile, le réservoir géothermique ne se rechargeant pas avec le temps dans nombreux cas. Le réservoirs sont conçus pour avoir une durée de vie de 20-25 ans.
Pour répondre a Dr. Goulu
L’utilisation de ligne porteuse comme mode de communication n’est pas très efficace et même que plusieurs entreprise qui utilisais ce système le laisse tombé. Dommage l’idée étais quand même très intéressant cependant les problèmes tech sont trop important.
Excellent billet!
La communication bidirectionnelle et le contrôle des chauffe-eaux est un pas de plus vers la mise en place d’un réseau intelligent digne du XXIe siècle. Qu’attend-on pour aller de l’avant?
Merci!
J’ai participé au projet-pilote l’hiver dernier comme employé d’Hydro-Québec. L’expérience fut effectivement complètement transparente pour nous comme consommateur. Ils équipaient alors en « rétrofit » des chauffe-eaux existant en ajoutant un interrupteur relié à un modem ou au compteur (pour étudier divers approches et les coûts) qui pouvaient être actionné à distance pour interrompre ou non un des éléments chauffants du chauffe-eau (je pense que ça fonctionnait ainsi). Donc pas certain que cela nécessite de nouveaux chauffe-eax, bien qu’il est évident qu’à terme on verra ces fonctionnalités intégré à même les futurs appareils.
Par ailleurs, je me suis passé la réflexion qu’il y a peut-être une réduction supplémentaire à la pointe que la réserve des chauffe-eaux. Je m’explique, le fonctionnement du système (à tout le moins dans le projet-pilote) était des avertissements via courriel ou texto à propos d’une interruption planifiée au moins 24h à l’avance. Par défaut, l’interruption avait lieu, à moins d’exiger d’être exempté de celle-ci. Hors, les demandes ayant lieu lors des pointes de la demande, il s’agit aussi des moments où Hydro-Québec fait parfois appel via les médias (et maintenant les médias sociaux) à la population pour faire un effort de réduction de la consommation. En avertissant plus directement le consommateur via courriel ou texto, on pourrait peut-être d’une part, solliciter directement les gens, ou d’autre part, indirectement, car en les avertissant d’une interruption, ils seront plus conscient (pour une partie des gens ayant opté pour cela évidemment) de la pointe et auront peut-être plus tendance à faire attention à leur consommation lorsqu’ils seront alertés pour l’interruption de leur chauffe-eau. Il y a donc peut-être un bénéfice collatéral. Évidemment, Hydro-Québec étant ce qu’elle est, son objectif est de réduire les coûteux achats en pointe, pas de diminuer trop la consommation non plus, juste ce qui se rentabilise facilement.
En 2005, je suis passé en commission parlementaire pour une consultation sur la politique énergétique. Les intervenants juste avant moi étaient les représentants du syndicat d’Hydro-Québec.
Ils ont alors expliqué qu’ils avaient fait face à une pointe qu’il était impossible de combler d’après leur modèle et qu’il fallait rapidement délester de la puissance. À l’époque, c’était la première fois que l’on faisait appel au public et cela avait énormément grincé des dents chez Hydro-Québec. Toutefois, le résultat a été remarquable. En moins de 15 minutes, 500 MW avaient été délestés.