C’est en surprise, plus d’une semaine avant la sortie «annoncée» (il ne s’agissait toutefois que d’une rumeur), que les Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard ont lancé leur troisième album de l’année, Sketches of Brunswick East. Né d’une collaboration avec l’excellent projet angelin Mild High Club, ce nouvel opus amène les lézards bien loin des sonorités presque métal employées sur leur dernière offre, Murder of The Universe. Flottant dans des eaux à la fois teintées de psych-rock, de musique lounge des 60s et de jazz inventif, le 13 titres fait preuve d’une fougue compositionnelle rare. Le groupe utilisant encore une fois la technique classique du leitmotiv pour tisser une toile narrative autour de l’album, il décline la pièce Sketches of Brunswick East en trois parties ponctuant l’album tout au long de l’écoute, comme une virgule menant au prochain point d’intérêt.
La basse joue un rôle prédominant tout au long de l’opus, donnant le pouls aux nombreuses valses jazzy qui y sont contenues. Avec une sonorité résolument rétro, où l’attaque prédomine, Lucas Skinner brille sur Sketches, se posant comme fondation sur laquelle les autres instruments peuvent tracer leurs fioritures. Parlant de l’instrumentation, on accueille à bras ouverts la flute traversière, qui n’a pas été aussi bien utilisée dans la musique populaire depuis les premiers Genesis ou King Crimson. Sketches n’est d’ailleurs pas sans saveurs progressives. On peut y sentir des influences rappelant à la fois les premiers albums satiriques de Zappa ainsi que des petites notes de l’excellent California de Mr. Bungle.
Dans Tezeta, qui s’ouvre sur des sonorités presque gypsy, on dénote des progressions harmoniques extrêmement influencées par le jazz de Mulatu Astatke, tout particulièrement au moment du workaround délicieux porté par une mélodie sinueuse au clavier. Mais bien que King Gizzard emploie de nombreuses couleurs du passé tout au long de Sketches, l’innovation y a également sa place. Sur cette même piste, on peut soulever l’utilisation d’une décélération et d’une accélération de la bobine au complet pour moduler à une autre tonalité, technique qui revient à quelques moments au travers de l’album. Les musiciens n’ont également pas mis de côté leurs expérimentations microtonales amorcées sur les opus antérieurs, comme en fait foi l’ouverture à The Book, un autre sommet de cet excellent album qui emploie un Farfisa modifié pour nous décaper le comfort tonal occidental.
Au final, King Gizzard & The Lizard Wizard livre avec ce troisième album sur 5 (!) promis cette année une pause appréciable à leurs dernières sorties plus agressives, mais sans toutefois s’essouffler. Utilisant à la fois des méthodes de composition empruntées à la musique de la renaissance et d’autres au bon vieux psych-rock et au jazz, la formation prouve qu’elle peut toucher à tout sans se brûler, et on a hâte de voir ce qu’elle nous réserve pour la suite.