Ce retour plus qu’attendu de Radiohead sur disque après un King of Limbs à l’accueil mitigé saura s’être enveloppé d’une aura de mystère dont peu d’albums se dotent. On y retrouve un groupe résolument mature qui ne prend pas de risques inutiles, mais sans mettre de côté une inventivité débordante. Composé de plusieurs titres que la bande de Thom Yorke avait déjà présenté en concert mais jamais pressé sur disque (en version studio, du moins), A Moon Shaped Pool est un opus qui demande une écoute assidue et attentive pour en décortiquer toute la profondeur. Bien que certains ont pu être refroidis par le côté très calme de l’ensemble, il s’y trouve une intensité émotionnelle plus grande que jamais. Après environ dix écoutes complètes, je me suis enfin senti d’attaque pour critiquer objectivement ce nouveau chef-d’oeuvre que livre Radiohead.
Bien qu’on y retrouve encore plusieurs éléments de musique électronique, ils y deviennent un peu plus vestigiaux. Là où des albums précédents étaient définis par leur électronicité, celui-ci brille par la présence d’une orchestration riche et originale. Le talent qu’a raffiné Jonny Greenwood avec son travail sur plusieurs trames sonores de long métrages est ici exploité à fond. La présence du London Contemporary Orchestra et d’un choeur féminin ponctue tout l’album d’interventions magistrales qui dressent le poil sur l’échine et ne semblent jamais superflues; les deux formations font partie intégrante de Radiohead sur cet opus. On peut entendre des influences de nombreux compositeurs modernes sur les arrangements savants de Greenwood, et les composantes musicales qu’il y glisse étonnent sans détonner.
C’est toutefois autour de la voix inimitable de Thom Yorke que s’axe toute la force émotionnelle d’A Moon Shaped Pool. De son chant posé et doux sur Glass Eyes jusqu’à ses complaintes intenses sur la finale True Love Waits, il captive l’attention de l’auditeur et donne à ses textes une dimension qui n’est propre qu’à lui. Dramatique et extatique, sa performance vocale sur ce nouvel opus démontre une fois de plus à quel point Yorke a été et demeure une des voix les plus importantes de la musique alternative.
La réalisation que signe Nigel Godrich marche, une fois de plus, main dans la main avec le génie compositionnel de Radiohead. À première vue, beaucoup de choses peuvent passer inaperçues, mais chaque écoute révèle de nouvelles couches et des détails supplémentaires. Omis initialement, ces derniers façonnent au final tout autant le son de l’album que l’instrumentation et les idées musicales du groupe. On a affaire ici à un travail mené de main de maître; ne prenant jamais la place et laissant tout l’espace à la musique, il sublime le matériel.
C’est donc une réussite pour Radiohead que cet A Moon Shaped Pool. Bien que certains seront désarmés par le niveau réduit de «fougue» que contient l’album vis-à-vis de certains autres opus du groupe, c’est une pièce de musique qui deviendra certainement emblématique. On y retrouve toute l’inventivité, la sensibilité et la musicalité d’un ensemble de musiciens matures et au sommet de leur art. Ne vous laissez pas tromper par une première écoute hâtive. C’est un disque qui grandit à chaque écoute et qui devient lentement de plus en plus dur à mettre de côté.