Au lancement de la saison du Prospero, la directrice artistique Carmen Jolin déclarait au Devoir que «les immobilisations chèrement acquises dans les années 1970 se fragilisent au fur et à mesure que les gouvernements se désengagent» et que le Prospero «a étiré le fil au maximum», qu’il «n’y a plus de marge de manoeuvre». Ses propos sont emblématiques de ceux de la plupart des directeurs artistiques des théâtres de Montréal, Québec et Ottawa, qui ont presque tous tiré la sonnette d’alarme en annonçant leurs saisons actuelles. Jusqu’à Lorraine Pintal qui, la semaine dernière, remettait en lumière, au cours d’un point de presse, les récentes modifications au financement du théâtre par le gouvernement fédéral en lançant un appel à la solidarité.
Les compagnies bénéficiant d’une subvention au fonctionnement font en effet les frais d’une redistribution de certains fonds vers d’autres compagnies, en fonction de critères artistiques, ou vers des programmes de soutien à la tournée internationale. Bref, on déshabille Pierre pour habiller Paul. Dans un contexte de sous-financement de la culture, on a du mal à s’expliquer les raisons de ces réalignements qui font très mal aux compagnies théâtrales établies mais qui sont très négligeables à l’échelle globale: ils n’allègent pas véritablement les dépenses des organismes subventionnaires. Dans une entrevue qu’elle m’a récemment accordée pour une publication du Syndicat français de la critique dramatique, la présidente du CQT, Dominique Leduc, me disait qu’à son avis, le fédéral fait délibérément des «choix idéologiques en faveur de l’entreprise privée».
Or, malgré ces coupures récentes, rien de tout ça n’est bien neuf et les litanies actuelles ne font que s’ajouter à un concert de récriminations qui s’alourdit de jour en jour depuis les dix dernières années. Or, parce que Lorraine Pintal occupe une position stratégique en tant que directrice artistique du plus important théâtre québécois, sa sortie médiatique a eu un impact considérable. «Il était temps», m’a dit Philippe Ducros, directeur artistique d’Espace Libre, qui se réjouit de voir le TNM jouer dans ce dossier le rôle de leader qui, à son avis, lui revient. L’Espace Libre n’est pas financé par le fédéral et n’est pas directement touché par ce rebrassage du financement, mais il faut en profiter, dit-il, «pour dénoncer un gouvernement qui tente de réduire l’art au statut de marchandise et pour inscrire les revendications du milieu théâtral dans une critique plus vaste de l’idéologie d’Harper. Je suis heureux, dit-il, que Lorraine Pintal se lance dans la mêlée, mais pourquoi attendre d’être victime de coupures avant de manifester un mécontentement devant ce gouvernement qui marchandise tout? Tant mieux si les choses se passent, mais j’espère que tout ceci permettra un discours qui va plus loin que la simple plainte d’avoir été victime de coupures.» On ne peut qu’être d’accord avec lui.
Même son de cloche chez Sylvain Bélanger, directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, qui est connu pour des opinions similaires. Il compte suivre, à sa manière, le mouvement que veut initier Lorraine Pintal. «Je veux mobiliser mes troupes, poursuit Sylvain Bélanger, mais il faut trouver les bons moyens, se questionner sur les actions à entreprendre.» Plus pessimiste que les autres même si elle partage leur colère, Brigitte Haentjens affirme qu’elle voit mal «comment on peut arriver à mobiliser à nouveau tout le monde autour de ce vieil enjeu, devant l’absence de réception du gouvernement fédéral».
Il faut se demander comment mobiliser le milieu, certes. Mais les vraies questions me semblent ailleurs. Quelles pistes de solutions peuvent être proposées? Comment renouveler le modèle déficient d’attribution des subventions? Comment envisager ce vieil enjeu à partir de nouveaux paradigmes? Les membres de la commission Cochon, formée d’artistes évoluant au Théâtre aux Écuries et dans le réseau Cartes Prem1ères, ont à mon sens pris une position plus ferme en réclamant «la fin d’un régime de saupoudrage qui consiste à en donner moins à davantage de projets ». Leur proposition est courageuse, car elle implique une sélection plus pointue des projets à subventionner et qu’elle propose de faire beaucoup moins d’élus, pour rehausser la qualité de notre théâtre au lieu de sa quantité.
Déjà, c’est une idée. Une proposition qui ose bousculer le statu quo. Mais il y a de nombreux modèles de financement qu’il faudrait considérer dans la réflexion actuelle. Pour dénouer cette crise, pourquoi ne pas sortir de la logique de l’artiste qui réclame son dû et entrer dans celle de l’artiste qui propose de nouveaux modèles et de nouvelles manières de penser le financement public de l’art théâtral.
Je déclare ouvert, au sein de cette chronique hebdomadaire, un chantier de réflexion qui se déploiera au cours des prochaines semaines. Vos idées sont les bienvenues.
Carte Prem1ères est vraiment une initiative très pratique pour ceux qui aiment le théâtre. J’ai eu la désagréable surprise de constater que les prix des spectacles offerts dans les différentes salles de théâtre approchent souvent les 40$. Je ne suis pas prêt à payer une telle somme en allant voir une nouveauté qui ne m’offre aucune garantie de me plaire. Je ne suis pas surpris que dans de telles conditions les spectateurs se fassent plus rares.
C’est possiblement aussi une des raisons expliquant le grand nombre de reprises cette année. Un spectacle de théâtre, qui connaît une 2e vie, est probablement un spectacle qui a connu le succès, en plaisant aux spectateurs, dès sa première présentation. Cette crise de financement des théâtres finit toujours par toucher le public.
En principe , je suis contre tout financement du « fonctionnement » (budget d’opération) de la culture. Les artistes de la scène en général sont des pauvres qui ont pour but d’amuser des riches!
Je voudrais bien que l’on subventionne l’achat de billets de manière à ce que tous puissent profiter du bon théâtre et de beaux spectacles.
En général je voudrais que les subventions se limitent à la formation des artistes, à la promotion et à l’exportation d’oeuvres de grande valeur…
Voici un élément à ajouter à la réflexion.
Une étude récemment publiée (http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2013/09/concentration-fonds-recherche-effets) sur le financement de la recherche scientifique par les 3 fonds frères du CAC (CRSH, CRSNG, IRSC), révèle que la concentration du financement à des groupes « renommés et performants » donne des effets pervers en diminuant le nombre de publications par chercheur en plus de diminuer l’intérêt (impact) des productions scientifiques. Voici donc une étude sérieuse qui met en garde contre un financement trop élitiste qui ne concentrerait le financement qu’à des groupes performants. Cette étude ne plaide pas pour autant en faveur d’un saupoudrage à tout crin sans critères de qualité mais plutôt pour une répartition des fonds à plus de groupes, à plus de chercheurs. Il s’avère donc contreproductif de réassigner une assiette finie de fonds déjà limités, à des groupes performants par une réduction du nombre ou du montant des autres subventionnés. L’application d’une telle stratégie devrait impérativement se faire par ajout d’enveloppes directement ciblées à ces groupes « performants » et non par amputation des subventions aux moins « performants ».
À la vue de ces résultats, une solution pour les subventions étatiques au théâtre ne serait donc pas de seulement donner plus ou autant aux « renommés et performants », mais devrait du même coup accroître le financement d’un plus grand nombre afin de permettre l’émergence et la consolidation de nouveaux créateurs.
Quelque soit la stratégie, le constat demeure. Il est impératif d’augmenter les fonds assignés au théâtre afin de ne pas mettre en péril les bonnes maisons existantes et de mieux subventionner sur un plus long terme les groupes émergeants, la qualité étant toujours le critère fondamental d’attribution de tous les fonds.
Je termine mon intervention en relançant le débat par un petit brûlot : Qu’est-ce qui prouve que toutes ces coupures n’ont pas été justifiées par ce critère de la qualité ?