Bords de scène

De l’hérésie de connoter péjorativement le conservatisme

Sur la page Facebook de Mathieu Bock-Côté ou dans les commentaires de notre site, mon récent article sur le retour du conservatisme dans notre société, tel qu’il est exploré par quelques pièces de théâtre, a suscité des réactions qui m’incitent à continuer à y réfléchir.

Ainsi, il serait inconvenant de parler de conservatisme en termes péjoratifs tel que je l’ai fait et tel que le font, en réfléchissant à leur travail, les artistes que j’ai interrogés.

Je conviens que, plutôt que d’aborder le conservatisme politique, mon article parle davantage de ce que j’appellerais le néo-obscurantisme, et qu’il aborde une société sclérosée, hyper-conformiste, avalée par le consumérisme et par les valeurs qui viennent avec: valorisation de la propriété privée, obsession de la sécurité, refus des structures collectives, repli sur soi. Ce sont des valeurs de droite, il va sans dire. Peut-être faisais-je davantage le portrait d’une société en partie «réactionnaire», non pas par soumission à l’autorité religieuse comme ce fut le cas du Québec d’antan, mais par l’emprise d’un nouveau Dieu, l’argent, dont les promesses de liberté sont en partie illusoires et ont provoqué une nouvelle perte de sens et un nouveau besoin de sécurité chez la population (lire à ce sujet le récent essai de Simon Nadeau). Cette situation, créée par le consumérisme, rejoint en partie celle qui prévalait dans le Québec des années trente. Utiliser le mot «conservatisme» pour parler d’une société obsédée par la sécurité et craintive par rapport à l’Autre est-il à ce point abusif? Le conservatisme, comme le prône Mathieu Bock-Côté, n’est-il que «transmission» et «respect de l’héritage»?

Je ne suis pas politologue, ni sociologue, mais je sais que le mot «conservatisme» ne signifie pas seulement «héritage». Connaître son histoire, considérer le patrimoine, transmettre ces connaissances aux nouvelles générations, c’est  une portion congrue de ce qu’on appelle le conservatisme. En dehors de cet intérêt légitime pour l’histoire, le conservatisme tel que nous le vivons dans notre société est représenté d’abord par le parti de Stephen Harper, qui, comme le dit Christian Nadeau, recourt aux valeurs du passé «pour implanter des principes de manière permanente dans notre société». Il poursuit en disant qu’une «telle chose est inacceptable, car elle met sérieusement en cause ce qui rend possible une démocratie.» Parler de conservatisme sans connotation péjorative me semble donc difficile, très personnellement, en tant que démocrate. Mais je conçois que des habiles défenseurs du conservatisme tels que Mathieu Bock-Côté s’en insurgent.

Je consacre aussi cette chronique à ce sujet parce que je crois que la montée des idées de droite dans l’opinion publique et dans la sphère médiatique depuis quelques années, et la manière dont ces idées fraient avec le conservatisme, créent en effet de la confusion dans les esprits. Les frontières entre conservatisme, néo-conservatisme, llibertarianisme, ultralibéralisme, de même que les liens entre ces manifestatons actuelles d’un courant de pensée et celles qui avaient cours dans le Québec d’antan sont peu documentés. Les intellectuels commencent à y consacrer leur réflexion, comme en témoignent certains ouvrages récents (notamment Le conservatisme oublié, de Frédéric Boily). Le théâtre québécois, de plus en plus intéressé par cette réflexion, trouvera peut-être dans les prochaines années des moyens artistiques d’y faire écho.

D’autres ont vu dans mon article un «mépris des régions», qui serait «typique du Plateau Mont-Royal» et qui témoignerait de ma «méconnaissance de la vie rurale». Je suis pourtant né et ai grandi à Saint-Raphaël de Bellechasse, un village de 2000 âmes désormais réputé pour ses derbys de démolition. Si vous lisez bien l’article, vous verrez que la région est perçue, dans les pièces de théâtre évoquées dans cet article, comme un «microcosme» permettant d’observer en «condensé» des phénomènes qui touchent aussi le Québec urbain.

Je laisserai à d’autres le soin d’illustrer de quelle manière le conservatisme s’affirme dans les régions du Québec (les résultats électoraux ne mentent pas à ce sujet), mais d’un point de vue théâtral et littéraire, je sais que ce phénomène préoccupe les auteurs et qu’ils tentent de jeter un regard critique mais nuancé sur ce qu’ils perçoivent comme étant un certain recul de la pensée progressiste dans le Québec hors des grands centres. Au théâtre, Fabien Cloutier s’y consacre de manière crue mais avec respect pour les personnages qu’il dépeint et, surtout, en tentant de capter une réalité, de portraiturer le réel, sans filtre et sans compromis. En littérature, un courant actuel, pour le moment appelé néo-terroir ou néo-régionalisme, explore l’imaginaire rural et la réalité des régions en mettant parfois en lumière son aspect désoeuvré et son conservatisme, en faisant des villages des lieux hostiles à plusieurs égards, sans en faire un portrait unilatélarement sombre. C’est-à-dire qu’ils s’éloignent de la glorification des régions qui avait cours dans le roman du terroir, mais que leur regard n’est pas strictement pessimiste: ils trouvent aussi dans l’imaginaire rural, dans sa langue vernaculaire et dans son authenticité, un territoire enthousiasmant. Gabriel Anctil, William S. Messier et Samuel Archibald peuvent être associés à cette tendance. Ils n’idéalisent ni la ville ni la campagne, pas plus que les artistes que j’ai fait intervenir dans mon article sur le conservatisme au théâtre, qui ne font que réfléchir à un certain immobilisme social en prenant le microcosme du village ou de la banlieue comme territoire d’exploration.