En janvier, le gouvernement du Québec annonçait une aide financière de dix millions pour la construction d’une deuxième salle à la Maison Théâtre. Je dis bravo. Même si je me réjouis toujours davantage de l’argent donné directement aux projets des artistes (et dieu sait qu’en ce moment ils en ont bien besoin), il ne faut pas bouder nos infrastructures, spécialement celles consacrées à faire naître chez les jeunes un appétit pour le théâtre.
Mais puisqu’il y a rumeur d’élections, permettez-moi de faire une autre suggestion très concrète d’infrastructure théâtrale pour Montréal : une salle multifonctionnelle destinée à accueillir en reprise des spectacles à succès. Non seulement cela permettrait de faire durer des spectacles qui le méritent (Martin Faucher expliquait dans cet article que nous ne savons pas gérer nos succès) mais cela leur donnerait aussi une période de visibilité supplémentaire pour que diffuseurs et agents de tournée québécois ou internationaux viennent les voir. Les deuxièmes séries de représentations serviraient alors de fer de lance aux tournées.
Quoi? Je vous entends me dire qu’il y a déjà trop de salles de théâtre en ville, qu’elles ne sont pas toutes remplies à pleine capacité et que certaines sont mal équipées. Certes. Je ne dis pas d’ailleurs qu’elles doivent toutes être sauvegardées dans leurs fonctions actuelles. Les débats sur la succession des directions artistiques, qui font rage ces temps-ci, devraient aussi nous mener à réévaluer l’usage des lieux théâtraux et à accepter qu’il y ait un rebrassage des cartes, potentiellement une vraie remise en question de certaines structures.
S’il est vrai que la création est scandaleusement sous-financée dans ce pays et que les spectateurs ne sont pas toujours aussi nombreux que désiré, il faut reconnaître que, plus souvent qu’on le croit, des productions intelligentes et bien menées rencontrent un public enthousiaste qui en redemande. Pour ces cas-là, notre système de production et de diffusion théâtral est parfaitement déficient. Après 3 semaines de représentations, les théâtres institutionnels doivent obéir à la loi des saisons théâtrales formatées et sont forcés de stopper les spectacles en plein milieu de leur élan pour passer au suivant. Si le succès a été vraiment foudroyant, le spectacle sera repris l’année suivante, et même deux ans plus tard, la saison suivante étant généralement déjà bouclée depuis longtemps. Bref, un système très rigide qui condamne les spectacles à de très courtes séries de représentations. Si les saisons étaient plus souples, le succès actuel de Tu te souviendras de moi, à La Licorne, pourrait se poursuivre quelques semaines et continuer à flirter avec le buzz actuel. On a appris cette semaine que la pièce unanimement acclamée allait être reprise en 2015. C’est bien. Mais il faudra alors recommencer l’exercice promo et rafraîchir la mémoire des spectateurs qui, entretemps, auront certainement un peu oublié à quel point ce spectacle est incontournable…
Imaginez qu’un lieu puisse accueillir, tout de suite ou dans un délai de quelques semaines, l’équipe de Tu te souviendras de moi, ainsi que son décor, pour poursuivre immédiatement les représentations. Que le directeur de ce nouveau théâtre n’ait pour seule mission que de repérer en ville les spectacles ayant le potentiel de vivre plus longtemps que leurs trois semaines habituelles et de rendre ce rêve réalité. Sa programmation serait en constante progression, certes, et ce théâtre ne pourrait jamais s’appuyer sur la rassurante formule des saisons et des abonnés. Mais peu importe, puisqu’il n’accueillerait en ses murs que des spectacles à peu près assurés de faire leurs frais. On devrait bien sûr exiger de lui une certaine diversité, pour ne pas y trouver seulement des comédies musicales copiées-collées de Broadway par Denise Filiatrault, mais la chose semble réalisable. Pendant ce temps, ailleurs, on pourrait continuer à faire de la création à bon rythme, et peut-être même serait-il possible de rêver à ce que le bassin neuf de spectateurs fréquentant uniquement le «théâtre des succès» ose parfois se déplacer jusque dans les autres théâtres.
Est-ce une utopie? Peut-être pas tant que ça. Vous en pensez quoi?
Philippe, j’ai moi aussi déjà rêvé d’une salle dédiée aux reprises. Je crois non-seulement au bien fondé de ce genre d’entreprise, mais je trouve que tu y apportes une touche intéressante en suggérant que celle-ci ait une façon de programmer plus spontanée, qui permette de s’emparer de l’intérêt du public pour un spectacle au moment même où celui-ci est créé, plutôt que de tenter de le ranimer deux ans plus tard comme c’est souvent le cas. J’ai bien sûr quelques réserves sur la faisabilité d’une telle façon de programmer, mais qu’à cela ne tienne, c’est une idée brillante!
Toutefois, je tiens à préciser quelque chose sur les reprises de spectacles de théâtre au Québec: non seulement n’existe-t-il pas de salle pour le faire, ni de diffuseur qui s’y consacre, il n’existe tout simplement pas d’argent pour financer une reprise! Les représentants des Conseils des arts vous diront que ces projets sont admissibles aux programmes de production. Et normalement, une telle réponse devrait être une raison de se réjouir et pourtant ma courte expérience m’a appris que ça ne l’est pas! Ce « admissible » doit être compris comme « toléré »: on ne vous empêche pas de présenter vos projets de reprise, mais comprenez bien que le programme n’a pas été imaginé « pour » des reprises. D’où la question: quels sont les programmes qui ont pour but de financer des reprises? Eh bien, ils n’existent tout simplement pas! Pour plusieurs raisons je crois: l’une étant la croyance qu’un spectacle de théâtre peut s’autofinancer une fois qu’il est créé et donc qu’il n’aurait plus besoin de subventions pour financer les cachets des artistes lors de supplémentaires ou de reprises. Mon expérience m’a plutôt appris le contraire.
Par exemple, lorsque ma compagnie a présenté ma première création, L’étape, en 2010 au Périscope à Québec, nous n’avions pas les moyens de faire de supplémentaires ou de matinés scolaires puisque les revenus additionnels d’une supplémentaire ne couvaient pas le « coût de plateau » associée à cette représentation. Ainsi, si j’ajoutais une représentation, je divisais la portion de la subveniton allouée aux cahets sur une représentations de plus ce qui faisait que je n’étais plus en mesure d’offrir le même cachet pour les supplémentaires.
Cela est aussi dû au fait que les diffuseurs de théâtre sont aussi sous-financés sinon plus que les compagnies de production, ce qui les oblige à vampiriser les petites compagnies de qui ils dépendent et qui dépenent d’eux à travers ce qu’il est convenu d’appeler la « co-diffusion ». Des pauvres exploitant d’autres pauvres. C’est aussi ce qui explique pourquoi la tournée à l’extérieur des grands centres, chez des diffuseurs multi-disciplinaires, est plus réalistes et faisables que la reprise « en ville » chez des diffuseurs spécialisés. Ces diffuseurs multi-disclipnaires sont soit mieux financés que les autres, soit ils dégagent des profits avec d’autres types de spectacles (humour, musique, etc.) qu’ils sont à même de risquer sur le théâtre de création.
En fait, ils rendent la reprises possibles car ces diffuseurs assument complètement la diffusion du spectacle, ne mettant plus le risque dans la cour de la petite compagnie de production. Et ne la paralysant plus. Car un autre effet pervers de rassembler dans une seul et même programme reprise et production de spectacles, c’est que la compagnie qui « reprend » ne peut plus créer. Elle est obligée de tout miser sur son projet de reprise en ne demandant du financement que pour celui-ci et de renoncer à demander du financement pour une nouvelle production. Rappelons qu’au CALQ, une compagnie « à projet » ne peut déposer qu’une seule fois par année… Une reprise, suivi d’une production refusée à son premier dépôt: ça fait vite 3 ans, voire plus, sans produire de nouveau spectacle.
Enfin, il me reste une dernière chose à dire sur le financement des reprises de spectacle de théâtre et cela a encore à voir avec les programmes de productions où les reprises sont dites « admissibles ». Il faut comprendre que le jury de pairs jugera conjointement des projets visant à porter à la scène de nouvelles oeuvres et d’autres visant à prolonger la vie d’anciens projets. Il va sans dire que ceux-ci ont plus souvent qu’autrement un préjugé favorable envers les nouvelles productions. D’autant plus qu’au CAC, les jurys ont le droit de prendre la décision souveraine (et sans appel) de ne pas soutenir de reprises! Ce qui encourage les compagnies qui reprennent à faire le procès de leur spectacle afin de faire la démonstration qu’il ne s’agit pas véritablement d’une reprise mais plutôt qu’une « re-création ». Il s’agit d’une sorte de non-sens, puisque la raison principale pour laquelle le spectacle est repris, c’est parce qu’il était de qualité et qu’il a su obtenir un succès de fréquentation. Mais ces arguments, qui sont les plus forts du projet, jouent contre les chances de la compagnie d’obtneir son finanement!
Ainsi, mon expérience des reprise non-financée (Changing Room à Montréal en 2012, à Ottawa en 2013 et Québec en 2013) me mène à croire que dans les faits, le financement des reprises n’existe tout simplement pas. Et que les programmes actuels de productions qui « tolèrent » les reprises ne sont que de la poudre aux yeux pour nous faire croire que le financement existe. Il faudra, en même temps que l’on crée le genre de lieu dont tu rêves Philippe, s’assurer que les compagnies seront en mesure de s’y produire.
Intéressant commentaire, Alexandre. Je ne l’ai pas précisé dans mon texte, mais il est évident que la salle dont je rêve disposerait d’un financement lui permettant de soutenir les compagnies dans ces reprises. Il faudrait que cette salle soit subventionnée comme les autres. Mais t’as sans doute raison, les diffuseurs reçoivent un bien maigre financement, souvent seulement 20% ou 30% de leur budget, ce qui ne fait pas des institutions très fortes. Si jamais la salle de reprises à laquelle je rêve peut exister, il faudra en effet penser ce paramètre, trouver un mécanisme de financement des reprises qui y seront présentées. Sans doute un beau casse-tête, mais il est bon de rêver.