Blackface au Rideau Vert: et si on en tirait quelques enseignements?
Bords de scène

Blackface au Rideau Vert: et si on en tirait quelques enseignements?

«Il n’y en aura plus de personnages noirs, c’est terminé.»

Voilà ce qu’a dit Denise Filiatrault à La Presse, après des semaines de silence, en réponse aux dénonciations de l’utilisation du blackface dans la revue de l’année 2014 du Théâtre du Rideau Vert.

Et voilà bien la pire réponse que dame Filiatrault pouvait formuler.

Comme d’autres commentateurs de la scène théâtrale montréalaise, je ne doute pas que ce blackface est une maladresse de la part du Rideau Vert, qui n’a pas agi par intention raciste. Je crois à la pureté des intentions des artistes, même si l’ignorance et la désinvolture dans lesquelles la production se complaît est désolante.

On peut considérer catégoriquement qu’un blackface, en Amérique du Nord en 2015, ça ne se fait pas. C’est ce que plaide l’organisme Diversité Artistique Montréal, qui a dénoncé par 2 lettres ouvertes, à quelques semaines d’intervalle, la pratique du blackface pour caricaturer P.K. Subban dans le spectacle 2014 Revue et corrigée. Il est tentant de le penser. Or, je pense que la question est plus complexe et que, dans un monde où la liberté artistique est chérie et où les artistes sont invités à questionner le monde, rien ne devrait être véritablement interdit sur scène, sauf ce qui est sévèrement punissable par la loi. Mais il va de soi que l’artiste qui choisit de flirter avec des symboles controversés doit le faire en connaissance de cause, être conscient de l’histoire dans laquelle son geste s’inscrit et être en mesure de fournir une réflexion fertile sur la question.

L’artiste sud-africain Brett Bailey, par exemple, affronte en ce moment en Europe une controverse au sujet de son exposition théâtrale Exhibit B. On l’accuse de reproduire les «zoos humains» des expositions coloniales, qu’il entend dénoncer. Comme pour le blackface, certains spectateurs se sentent offensés de voir les conditions de l’esclavagisme reproduites sur scène, peu importe le pouvoir de dénonciation de ces images scéniques et la réflexion fertile et nuancée à laquelle elles nous invitent. Or, Bailey manœuvre dans ce matériau historique en toute connaissance de cause, désirant avant tout exprimer sa honte, en tant qu’artiste sud-africain blanc, devant les atrocités du passé colonial et de l’apartheid. Son œuvre porte à interprétation, certes, et il est compréhensible qu’elle ait pu offenser des spectateurs noirs, mais étant donné la profondeur de la réflexion qu’elle propose, il serait inadmissible de la censurer. Elle a d’ailleurs ému et remué intellectuellement les spectateurs du Festival d’Avignon en 2013 (moi y compris).

Le blackface du Rideau Vert, qui ne sert qu’au réalisme de l’imitation d’un joueur de hockey noir, n’est pas de cet ordre. Il est, aux yeux de la directrice artistique du Rideau Vert, parfaitement anodin. On en convient. Mais là n’est pas la question. À partir du moment où, dans l’espace public, on l’a associé au blackface et à son histoire (laquelle devrait être connue par la plupart des gens de théâtre), les artistes de la satire annuelle du Rideau Vert auraient dû se mêler du débat, manifester une volonté de réfléchir à la question, et peut-être faire amende honorable en s’excusant d’avoir remué l’histoire coloniale contre leur gré. Car on ne flirte pas avec le blackface sans conséquences. On ne peut pas s’en laver les mains. Même si le geste était à priori dénué de mauvaises intentions et qu’il est le résultat d’une méprise.

C’est tout le contraire qui s’est produit, et la réaction actuelle de Denise Filiatrault dépasse l’entendement.

Plutôt que de chercher des solutions pour représenter des personnalités noires à l’avenir, sans recourir au blackface et dans un contexte d’une production à budget restreint, la Grand Jaune promet d’écarter désormais tout personnage noir de sa Revue de l’année. P.K. Subban aura beau continuer de soulever les passions des amateurs de sport, il n’aura pas droit à sa parodie. Pas plus que d’autres personnalités noires qui pourraient meubler l’actualité québécoise (et elles le feront assurément de manière grandissante). Il y aura tout simplement reniement de leur présence. Voilà qui n’est pas moins raciste que le blackface.

Alors qu’il y a déjà sous-représentation de la diversité dans le théâtre montréalais francophone, cette déclaration de Denise Filiatrault est franchement désolante.

Dommage aussi que le metteur en scène Alain Zouvi, un homme intelligent et de bonne foi, n’ait pas jugé bon de raconter sa version des faits.