Bords de scène

Directions artistiques en crise?

Montréal et Québec doivent-elles profiter des changements actuels à la direction artistique des théâtres à saison pour enclencher une grande réflexion sur les mandats et les moyens d’action des directeurs artistiques? Il semble en tout cas que nous vivions une crise de transition.

Espace GO est critiqué pour sa programmation pas assez féministe, qui ne respecterait pas son mandat. Sa directrice artistique Ginette Noiseux est en poste depuis 26 ans – une éternité – comme d’ailleurs le sont les directeurs artistiques de Duceppe (Michel Dumont depuis 1990) ou du TNM (Lorraine Pintal depuis 1992). On les critique souvent, se demandant si leurs mandats, leurs projets et les missions des théâtres qu’ils dirigent sont encore au goût du jour, si leur travail résonne vraiment avec la société à laquelle ils s’adressent, s’il ne faudrait pas tout chambouler. Certains sont fondateurs de leurs théâtres ou sont fortement associés à l’héritage de leurs fondateurs – notre histoire théâtrale est jeune et les postes prestigieux de direction artistique, aujourd’hui considérés comme soumis aux exigences et aux attentes du milieu entier comme s’ils étaient de nature « publique », n’ont pas nécessairement été créés dans cette optique. C’est en partie là que le bât blesse.

Or, Montréal et Québec vivent une période importante de transition aux directions artistiques, alors que de nombreux théâtres établis ont vécu ou vont vivre un changement de direction artistique prochainement. Le Théâtre d’Aujourd’hui, dirigé par Sylvain Bélanger depuis quelques années, est l’une des premières « institutions » à y être passée, suivie de près par le Trident à Québec, où Anne-Marie Olivier a installé ses quartiers depuis 2012. Ils sont quarantenaires et jouissent d’une expérience considérable autant que d’une énergie notable, de même qu’une position privilégiée de médiateur entre les générations qui les ont précédées et celles qui les suivent. Leur arrivée à la barre de ces importantes maisons de théâtre ont fait du bien, même si leurs réels moyens d’action semblent limités. De semblables transitions se sont produites au Théâtre Denise-Pelletier, nouvelle maison de Claude Poissant, et vont bientôt se produire au Quat’sous, qu’Eric Jean va quitter après 12 ans à sa direction, ou à La Bordée, que Jacques Leblanc dirige aussi depuis 2004.

Ne faudrait-il pas profiter de ce « momentum » pour questionner les missions et mandats de nos théâtres, pour réaligner certaines institutions vers des projets artistiques renouvelés? Ne faudrait-il pas clarifier les mandats de certains pour les faire correspondre à ce qu’ils sont véritablement devenus au fil du temps ou à ce qu’ils aspirent à devenir?  Il est temps de rebrasser toutes les cartes.

Le Conseil québécois du théâtre a bien sûr commencé à débroussailler cette question lors de son congrès de novembre 2011 sur l’institution théâtrale. Force est de constater qu’il faut réanimer le débat.

Mais, diront certains, peut-on poser ces questions sans revenir au constat que notre salut résiderait dans la mise en place de véritables scènes nationales, sur le modèle de la France, avec des directions artistiques réévaluées au bout d’un mandat de quelques années? On a vu, encore cette semaine, lors de l’annonce de la nomination du compatriote Wajdi Mouawad à la barre du Théâtre de la Colline à Paris, que le modèle du théâtre national permet de garder les théâtres en alerte avec des missions renouvelées à chaque changement de direction. Mouawad a été choisi pour son intelligence du théâtre et pour sa carrière prestigieuse, certes, mais aussi pour son projet de direction artistique, aligné sur une oeuvre qui « pose la question de la mémoire et de l’héritage à travers des drames se nouant sur plusieurs continents ». Projet différent de celui de Stéphane Braunschweig, qui l’a précédé. Et sans doute très différent de celui de son successeur dans quelques années. Ce qui demeure? L’exigence et la vitalité, toujours au rendez-vous à la Colline.

En attendant, les paris sont ouverts au sujet des postes à combler au Quat’sous et à La Bordée. Pas facile de faire une prédiction au sujet du Quat’sous, dont le mandat, justement, n’est pas des plus clairs. À La Bordée, un théâtre de répertoire au mandat populaire, je mise sur Marie-Josée Bastien, une comédienne et metteure en scène habituée de ses planches mais surtout une femme de théâtre ayant toujours navigué entre le répertoire et la création avec fougue, passion et intelligence.


SUR LES SCÈNES

En plus de L’Orangeraie (dont nous vous parlions la semaine dernière), des Diablogues (idem) ou de Révolution à Laval (relire à ce sujet notre entrevue avec le metteur en scène Sébastien Dodge), nous vous invitons à surveiller les représentations de Starshit (lire notre entrevue), de Encore une fois si vous permettez, de Agogkwe et de Simone et le whole shebangNotre fréquentation des scènes nous a menés aussi à l’Espace Libre (Plywood) et à La Licorne (La fin des éternels) la semaine dernière. Compte-rendu.

PLYWOOD

Crédit: Catherine Asselin-Boulanger
Crédit: Catherine Asselin-Boulanger

On ne peut pas accuser la compagnie Omnibus, axée sur le théâtre corporel, de ne pas tenter de se renouveler. Depuis 2009, alors qu’elle fit entrer en scène de nouveaux interprètes dans le sympathique spectacle Rêves, chimères et mascarades, la compagnie affiche une certaine jeunesse et tente l’aventure de l’écriture scénique en cultivant la polyphonie. Avec des interprètes comme Anne Sabourin et Xavier Malo, la compagnie crée des spectacles aux dramaturgies éclatées, baignés d’ambiances sonores puissantes, qui tentent de radiographier la génération Y. Plywood, qui tire son nom des trois planches de bois servant d’unique décor et d’accessoires de scène, est à ranger dans cette catégorie mais, hélas, n’arrive qu’à porter un propos superficiel et cliché sur une génération qui se surexpose, qui combat avec son carré rouge mais ne trouve que déception, ou qui se cherche en vain un modèle de couple. Ici, ces constats générationnels ne sont jamais étayés, exprimés trop naïvement ou de manière trop éculée. Ce corps en équilibre précaire sur une planche de contreplaqué cherche sans doute à exprimer une individualité fragile, mal soutenue par le collectif. Ces planches assemblées en maison bancale veulent raconter la quête d’un mode de vie idéal, entre ville et banlieue. Cette planche brandie comme une pancarte raconte la rage du printemps érable. Mais il manque à cette pièce mise en scène par Réal Bossé l’organicité qui permettrait de relier les scénettes dans un tout cohérent : le spectacle sent encore trop l’exercice d’improvisation un peu scolaire, dont les ficelles sont trop apparentes.

La mort des Éternels

Pier Paquette, Marie Charlebois, Isabelle Vincent et Christian Bégin / Crédit: Marc Charlebois
Pier Paquette, Marie Charlebois, Isabelle Vincent et Christian Bégin / Crédit: Marc Charlebois

Il y a déjà trop longtemps que les Éternels Pigistes (Christian Bégin, Pier Paquette, Isabelle Vincent et Marie Charlebois) écrivent des spectacles sur l’angoisse de vieillir, sans y trouver vraiment l’inspiration, prenant appui sur leurs propres tourments d’artistes se sentant de plus en plus « inutiles » et cherchant à apprivoiser leurs désillusions. À mots couverts, c’était déjà un peu le propos de Pi…?! en 2009, puis de Après moi en 2012, des spectacles qui nommaient le malaise sans arriver à vraiment l’approfondir. Cette fois, orchestrant un voyage onirique dans une mer agitée où ils rencontreront les fantômes de leurs parents, le texte d’Isabelle Vincent nomme les choses d’emblée mais les embrouille ensuite profondément. Se déclarant ironiquement inutiles, non-rentables et non-fourrables, les quatre comédiens annoncent leur suicide artistique. Mais voilà que la pièce fait ce détour vers les fantômes de leurs pères et de leurs mères, qu’ils incarnent eux-mêmes dans un jeu hyper-caricatural (pour ne pas dire grossier), et que la pièce se perd dans un propos confus et maladroit. Cherchent-ils à montrer que l’influence de leurs parents, pour la plupart des êtres bien pragmatiques, est encore castrante pour ces artistes en quête de liberté et de poésie? Reviennent-ils plutôt vers eux en quête de ce sens pratique des choses, en quête d’une philosophie de vie plus terre-à-terre? Nul ne le saura, tant cette pièce effleure ces questions au profit d’un cabotinage confus autour de la virilité des pères (gros phallus turgescents compris) et de la sentimentalité des mères. Le suicide n’aura pas lieu. Et la crise de la cinquantaine que voulaient explorer ces artistes complices aura échoué à s’exprimer en termes universels, cultivant plutôt la complaisance.