Pourquoi tant de haine?

Le compromis compromis…

Dès que j’ai su que le projet de loi sur la laïcité serait déposé jeudi dernier, je me suis organisé pour pouvoir «binge watcher» les réactions dans les médias, question de bien rendre dans ces pages (ça se dit-tu encore, ça?) le film des événements. Abonné par fascination morbide aux élucubrations de Trump, je n’avais pas eu autant d’intérêt pour un discours politique made in Québec depuis un bout de temps. Depuis le temps qu’on en parle, on allait enfin voir si le ton allait être le bon, si la ligne allait être juste, et si on allait pouvoir enfin commencer à espérer un ti-peu moins parler d’accommodements religieux au Québec dans les prochaines années.

Quand j’ai appris quelques heures avant le dépôt du projet de loi 21 que, pour être conséquente avec cette nouvelle loi sur la laïcité, la CAQ avait proposé que le crucifix soit retiré du Salon bleu de l’Assemblée nationale et que la motion avait été adoptée à l’unanimité, j’ai applaudi devant ma radio. Je me disais bien que l’insistance de François Legault pour garder ce signe ostentatoire en place en prétextant des raisons patrimoniales n’était qu’une astuce de négociateur pour pouvoir avoir l’air de faire un compromis au bon moment, mais ça restait à voir. On a vu vite.

Et moi qui m’enlignais dans la cynique posture de celui qui se retient surtout de ne pas trop espérer, me voilà avec un étrange sourire que je ne me reconnais pas… Ma parole, serait-ce de la «satisfaction politique»?

J’ai d’abord trouvé Simon Jolin-Barrette impeccable. Droit, clair, calme. Tant dans la présentation du projet en chambre que dans les points de presse et les entrevues. Il est resté dans les principes, n’a jamais cédé à la démagogie. C’était à la hauteur de l’occasion.

Je crois que la plus belle trouvaille dans ce nouveau projet de loi sur la laïcité, par rapport à la charte Drainville, c’est l’abandon de la notion de signe ostentatoire, avec son cortège d’images explicatives à la con. C’est peut-être plus restrictif, mais ça passe mieux parce que c’est plus clair. Légiférer sur le principe du signe religieux, pas sur sa grosseur. C’est moins téteux.

Et puis, il y a le compromis de la clause grand-père. Ce n’est pas idéal, mais ça touchera peu d’employés, et surtout on ne pourra plus dire que des personnes vont perdre leur job à cause de la loi. Certaines personnes pour qui l’expression publique de leur appartenance religieuse prime sur toute autre considération pourraient juste avoir moins envie d’avoir certaines jobs. Ça punche moins, mettons.

J’ai opéré toute la journée un intensif zapping, question de voir la couleur du spin dans les deux Pensées officielles du Québec en direct. Objectivement, partout, les panels étaient relevés et plutôt bien balancés entre les partisans de la loi et ses opposants. Les invités étaient en verve, mais le ton est resté généralement civilisé, et même parfois enjoué. Mes fleurs, dans ce dossier, vont aux… médias traditionnels (tous empires confondus)!

Bien sûr, il y a eu les réactions négatives. Justin Trudeau a affirmé qu’il n’était pas d’accord, mais il avait surtout l’air d’être préoccupé par autre chose, mettons… Valérie Plante a été très virulente dans sa critique, mais elle a quand même reconnu au gouvernement son pouvoir de légiférer en la matière. Toute son intervention avait plus le ton de l’avertissement que celui du rejet.

À côté de ça, l’opposition officielle à Montréal a eu le réflexe partitionniste d’exiger une exception pour tout Montréal. C’est sans doute à mettre en équilibre avec le PQ, le seul parti à demander d’aller encore plus loin et d’appliquer aussi la loi aux enseignants du secteur privé. La position se défend, mais ce n’est surtout pas le moment. Ça s’annule.

Et je me suis surpris à espérer que ça pourrait plutôt bien se passer. L’espace de quelques jours, j’ai senti dans notre «conversation nationale» (merci Boucar, Léolane, Nadia, Normand!…) quelque chose que je n’avais jamais senti sur cette question. Quelque chose comme la perspective d’un apaisement. Celui d’une majorité-minorité qui vient de se prouver qu’elle est encore capable de décider de quelque chose.

Mais c’était trop beau pour être vrai…

Coup de théâtre! On apprenait dimanche que Québec solidaire, en congrès, a décidé, dans une proportion stalinienne, de scrapper son appui à Bouchard-Taylor pour désormais promouvoir le même multiculturalisme intégriste que les partis libéraux (pluriel volontaire). Ils auraient pu juste s’opposer à ce qui dépassait de Bouchard-Taylor (on pense notamment aux enseignants), mais non, ils ont décidé de renier toute idée d’interdiction, même restreinte aux seuls représentants de l’État en position d’autorité coercitive.

Je me doutais depuis le t-shirt de Catherine Dorion qu’ils allaient renier leur appui à Bouchard-Taylor, mais jamais je n’aurais pensé qu’ils allaient le catapulter aux vidanges avec autant de raideur. La frange contrôlante de QS a complètement avalé l’argument que la laïcité est un paravent pour le racisme. Cette déchirure est désormais la donnée déterminante de l’échiquier politique québécois.

Et ils viendront nous dire après ça qu’ils ont hâte de parler d’environnement? Ils viennent pourtant de s’assurer qu’on ne leur parlera que de signes religieux pour encore des mois! Ils sont de loin ceux qui en ont fait le plus pour qu’on reste pognés là-dedans.

Mais avec sa brève capsule vidéo dimanche, je dois avouer que le PM n’a rien fait pour aider à ce qu’on s’en redépogne. Oui, il a toujours ce ton bonhomme et rassurant. Mais lancer un message préengistré – qui n’a donc pas pu tenir compte des nombreuses réactions au projet de loi, dont plusieurs étaient très pertinentes –, c’est traiter ce sujet délicat avec une dangereuse désinvolture.

C’était le moment d’étoffer l’appel au calme d’un solide appel au respect des personnes qui portent des signes religieux en public, de dire qu’il est inacceptable qu’une femme voilée se fasse écœurer dans l’autobus. Rien de tout ça. Si on résume (et ce n’était déjà pas très long), ça donne: «Ça fait longtemps que ça niaise, on est majoritaire, faque c’est ça qui est ça.» Et en terminant son message par les mots «parce qu’au Québec, c’est comme ça qu’on vit», c’était finir sur une note vaguement autoritaire, qui ne calmera personne. Pas du tout à la hauteur de la situation, cette fois…

Et, tout d’un coup… je ne suis plus sûr du tout que ça va bien se passer…