Dans une même journée, la veille de la Saint-Jean, j’ai vu défiler sur mon fil Facebook des gens qui se disaient «fiers», et des gens qui disaient avoir honte. D’être Québécois. Rapport à la loi 21, bien sûr.
Et parmi ceux qui étaient fiers, plusieurs ajoutaient que ça faisait longtemps qu’ils ne l’avaient pas été comme ça, voire que c’était leur première fois. Et c’était la même chose de l’autre bord. C’est quand même assez remarquable dans un quasi-pays en apparence si paisible.
D’une part, ça me rassure sur un fait: au moins, je ne suis pas complètement enfermé dans une bulle de pensée homogène générée par les algorithmes. J’ai des amis (et pas juste des «amis Facebook») dans les deux camps. Mais d’autre part, le constat qui s’impose, c’est que le Québec est de plus en plus polarisé et que si la proverbiale tendance était pour se maintenir, ça nous ferait des lendemains qui jappent. Et peut-être même qui mordent.
Du temps des libéraux (ils ont été au pouvoir tellement longtemps, il me semble, que ça mériterait un surnom pour désigner cette période Charest-Couillard, comme celle de Duplessis avant. La grande grisaille? La trace de brake? Le néolibéralocène?), on en trouvait beaucoup pour se désoler des coupes dans les services sociaux et pour s’opposer à des mesures multiculturalistes comme le contenu du cours Éthique et culture religieuse. Mais il me semble que ce n’était pas au même niveau.
On critiquait alors le gouvernement, au plus large la mouvance fédéraliste, mais pas le Québec au complet en tant que société comme ce qu’on voit maintenant. On dénonçait l’incompétence, la petitesse, la fourberie des politiciens du camp au pouvoir, mais c’était sur le ton de celui qui se désole d’un ami qui a fait de mauvais choix.
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Mais depuis que la CAQ de François Legault est au pouvoir, il me semble qu’en comparaison, le ton de l’opposition n’est pas le même. D’abord, c’est le MAL qu’on se voit combattre, rien de moins. En plus, on coupe l’intermédiaire: par la CAQ largement élue, c’est tout le Québec qui serait coupable d’avancer «sur une pente glissante». Ce n’est plus la gestion de cette société qu’on remet en cause, c’est sa valeur, même sa légitimité, et ça vient de partout au Canada.
Au cœur de cette brouille historique, il y a bien sûr la conception de la laïcité, et la question de savoir si l’autorité de l’État devrait s’incarner en l’absence de signes religieux et politiques. C’est une question qui se pose d’ailleurs présentement partout à travers le monde et à laquelle plusieurs pays avec qui le Canada fait affaire sans problèmes (genre la France et l’Allemagne) répondent d’une façon très proche de la loi 21.
Mais cette vision serait «anti-canadienne», selon le PM du Manitoba Brian Pallister. Il faudrait ainsi que les partis fédéraux s’engagent lors de la prochaine élection à mettre le Québec au pas sur cette question. On va même jusqu’à suggérer dans des fils de conversation Facebook et Twitter particulièrement foisonnants qu’il faudrait boycotter les produits de ce maudit Québec «raciste», plusieurs internautes anglos allant même avouer qu’ils le faisaient déjà. Bonjour la solidarité économique!
Si vous avez déjà plongé dans ce genre de magma malsain, vous avez sûrement déjà eu cet étrange feeling: ça ressemble vraiment beaucoup au propos d’un mari abusif. Quoi qu’il fasse, le Québec est incapable, voire foncièrement mauvais aux yeux de ses infatigables détracteurs. Il mériterait une bonne volée (genre qu’on lui coupe la péréquation). C’est fascinant de voir à quel point un discours qui se veut dénonciateur d’une haine est lui-même complètement haineux.
Bien sûr, on trouve aussi en masse de ce genre de trolls du côté des pro-loi 21 qui dégainent rapidement le «Qu’y retournent chez eux!». Mais si on les élimine de l’équation des deux côtés pour ne garder que les interventions respectueuses et pertinentes, il reste quoi?
Il reste que le camp de ceux qui se réclament de cette belle et grande notion de l’acceptation des différences individuelles est incapable d’accepter la différence collective du Québec. Peu importe quel bord prend cette différence, d’ailleurs. Le prétexte est toujours bon pour «Québec basher»: on en veut au Québec d’être trop écolo pour laisser passer sur son territoire le pipeline du pétrole le plus sale au monde et/ou d’être trop «identitaire» pour accepter n’importe quel caprice communautariste comme le voudrait le crédo multiculturaliste officiel de ce pays-tofu qu’est le Canada.
Je rappelle que tout cela se passe alors qu’on vit en plein libre-échange économique avec des États américains où la peine de mort est en vigueur et où le droit à l’avortement est de plus en plus bafoué et qu’on les laisse tranquilles avec ça sans menacer de les boycotter.
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Je ne sais pas comment on peut réconcilier ceux qui ont «mal à leur Québec» présentement et ceux qui se reconnaissent une fierté à le voir enfin se tenir debout et ne plus paniquer devant le chantage émotif qui se joue à coups d’accusations de racisme systémique. Je ne suis même pas sûr que cette réconciliation soit possible et cette question de la laïcité ou non pourrait bien encore être la question de l’urne pour les cinq prochaines élections (et faire triompher la CAQ chaque fois, malgré tous les troisièmes liens que vous voulez – ou pas).
Mais à un moment donné, il va falloir prendre acte. Au Québec, si un parti n’est pas en faveur du maintien de la loi 21, il n’accédera jamais au pouvoir. Un peu comme la réorientation pro-pétrole du Parti vert d’Elizabeth May démontre que c’est le cas dans le Rest of Canada pour les sables bitumineux. Faut choisir ses batailles.
Est-ce donc le choix que nous avons désormais? Un Québec laïque et sans pipeline ou «multiculturaliste full patch», et avec pipeline?
On verra.