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Arrêter les oléoducs – Atouts et faiblesses de l’action citoyenne

Introduction

Afin de contribuer à La réplique qui se prépare autour de L’objectif stratégique le plus urgent de protéger l’eau potable en empêchant les projets d’oléoducs sur le territoire du Québec, je passe en revue les champs d’action possibles. Après avoir énoncé Les actions possibles – La force, La loi et l’argent, et La persuasion, j’ai dressé une Liste des lobbyistes pro-oléoducs inscrits pour influencer les politiciens à soutenir les projets d’oléoducs.

 

Analyse SWOT

Avant de s’engager dans une campagne ciblée pour atteindre l’objectif stratégique, je propose de faire une analyse sommaire des atouts, des faiblesses, des menaces et des possibilités (SWOT analysis[i]) d’une campagne de persuasion orchestrée par des citoyens pour arrêter les projets d’oléoducs sur le territoire du Québec. Je vais les énoncer en groupes internes (atouts et faiblesse) et externes (possibilités et menaces), et ensuite faire une brève synthèse à laquelle s’ajoutera une suggestion de la direction que l’action citoyenne doit prendre. Cette liste est générique ; cette analyse peut être faite par n’importe quel groupe de citoyens en tenant compte des spécificités de leur région.

 

ATOUTS des citoyens

Les atouts sont des forces positives internes que les citoyens doivent amplifier et maximiser. Les citoyens…

  • agissent bénévolement et donc autofinancent leur temps passé à militer; ils ne sont donc pas dépendants des institutions ou des donateurs.
  • peuvent former de petits groupes informels et passer à l’action rapidement sur des actions de courtes durées.
  • peuvent agir efficacement sur le terrain qu’ils connaissent le mieux : leur rue, leur quartier, leur ville. Ils y sont connus et ils y ont de l’influence.
  • sont en nombre supérieur par rapport à tous les autres groupes d’influence et peuvent faire peser ce nombre par leur vote, leur présence physique ou leur pouvoir d’achat. Ils ont un réel pouvoir d’influence et leurs opinions ont un poids.
  • sont motivés par la protection de la collectivité, et non par leurs bénéfices personnels.
  • sont inclusifs envers tous les autres citoyens.
  • agissent en leurs noms, sont ouverts et transparents.
  • sont capables de s’informer par eux-mêmes et être rigoureux dans leurs recherches et leurs communications.

 

Les atouts doivent être utilisés pour maîtriser et minimiser les faiblesses.

 

FAIBLESSES des citoyens

Les faiblesses sont des caractéristiques négatives internes que les citoyens doivent minimiser. Les citoyens…

  • se sentent seuls, isolés, impuissants.
  • ont peur d’être incompétents face à des experts de tous acabits.
  • manquent de moyens financiers et techniques, ou ils croient à tort qu’il est nécessaire d’en avoir de substantiels pour accomplir quoi que ce soit.
  • sont sensibles aux prophéties autoréalisées que « ça ne sert à rien de s’opposer, parce qu’on ne peut rien changer ». Ils s’autodécouragent de passer à l’action.
  • sont convaincus que le système actuel de démocratie représentative parlementaire est le meilleur système et qu’en dehors de voter tous les 4-5 ans, il n’y a rien à faire.
  • ont peur de perdre leur temps ou ont peur de l’échec.
  • peuvent être paralysés en ne faisant que des revendications passives.
  • peuvent s’éparpiller en relativisant tous les autres enjeux de société.
  • peuvent glisser vers une recherche d’ergonomie individuelle de leurs intérêts personnels au détriment de la poursuite du bénéfice collectif des intérêts communs.
  • ont parfois de la difficulté à intégrer les femmes et les personnes de groupes d’âge différents d’eux.
  • n’ont pas de systèmes hiérarchiques et organisationnels ce qui les rend moins efficace à organiser de grands groupes.
  • ont de mauvaises perceptions du temps nécessaire à l’engagement –
    • soit ils pensent ne pas avoir assez de temps, imaginant qu’il faille y consacrer trop d’heures,
    • soit ils y consacrent trop de temps et s’épuisent.
    • Des conflits interpersonnels émergent lorsqu’il y a une disparité de l’engagement à l’intérieur d’un petit groupe.
  • ont de la difficulté à se connecter entre groupes francophones et anglophones.

 

Les faiblesses doivent être dépassées pour contrer l’impact des menaces.

 

MENACES envers les citoyens

Les menaces sont des éléments négatifs externes que les citoyens doivent neutraliser :

  • L’inertie et l’incrédulité des autres citoyens qui ne comprennent pas l’urgence ou la portée de cet objectif stratégique.
  • L’absence de forums officiels et d’outils de délibération pour que les citoyens se rencontrent, s’informent et discutent.
  • Il n’y a pas d’entité permanente et indépendante (agence, commission, représentant aux parlements) pour assurer la pérennité des résultats des délibérations citoyennes et des décisions démocratiques / consensuelles qui sont prises par des groupes de citoyens.
  • L’intimidation intellectuelle des experts – réels ou autodésignés – et leur trop grande présence dans les médias. L’absence de contestation de leurs conclusions par les journalistes ou d’autres experts.
  • Les erreurs factuelles et les mensonges des experts, des élus, des porte-paroles et des journalistes par manque d’information, incompétence ou intention de désinformer.
  • Les « trolls » anonymes qui polluent et détournent les forums de discussions dans les médias sociaux.
  • Les agents provocateurs qui infiltrent les manifestations pacifiques et posent des gestes de violence qui donne alors une raison aux policiers d’intervenir en force.
  • La grandeur du territoire du Québec exige de grands déplacements pour que les citoyens soient présents physiquement. L’hiver rend difficile certaines activités.
  • La peur du règlement P6 qui limite le droit de manifester (à Montréal seulement).
  • Le gouvernement canadien tente d’écraser des organismes environnementaux en les soumettant à une révision fiscale.[ii]
  • La GRC et le SRCS espionnent les groupes de citoyens et rapportent l’information aux compagnies de pétrole.[iii]
  • Le régime Harper est contre la science et il a anéanti les mécanismes de protection des cours d’eau.
  • Les individus qui dérangent les projets d’oléoducs s’exposent à des « assassinats » médiatiques comme ce fut le cas pour le député Daniel Breton, ancien ministre de l’Environnement, qui s’était prononcé à propos des projets d’oléoducs.[iv]
  • Une personne qui milite actuellement contre les projets d’oléoducs a reçu des menaces.[v]
  • Les gouvernements (Québec et Canada) sont favorables aux intérêts des compagnies pétrolières. Le gouvernement fédéral place leurs droits au-dessus des droits des citoyens.
  • Le pouvoir des interlocuteurs corporatifs et des décideurs non élus qui influencent le pouvoir politique : lobbys, chambres de commerce, syndicats, etc.
  • Le secret, l’hermétisme, le discours des initiés, l’élitisme, le jargon.
  • Le silence des fonctionnaires qui savent, mais n’osent pas rendre publics, des documents et des actions gouvernementales.
  • La rapidité des décisions gouvernementales.[vi]
  • L’exclusion des citoyens des processus de consultations.[vii]
  • La consultation excessive, acharnée, où les citoyens n’ont aucun pouvoir décisionnel. Les citoyens sont sollicités, ils ventilent leurs frustrations en vain, ils subissent la fragmentation des enjeux qui dilue leurs propos et crée de la confusion. Au final, les citoyens développent de la méfiance envers les processus de consultation et s’en fatiguent. Ils se désengagent. Ces consultations ne sont que des spectacles pour que les gouvernements puissent dire que « le peuple a été entendu » alors que les vraies questions sont exclues de la table de discussion : gratuité scolaire, moratoire sur l’exploration pétrolière, article 5 et 10 de la « charte de la laïcité »…
  • Le silence médiatique sur les enjeux des oléoducs.
  • Le déluge dans les médias – conventionnels et sociaux – de causes, catastrophes, enjeux de partout dans le monde qui viennent compétitionner avec les enjeux locaux des oléoducs, et qui dilue l’attention des citoyens et les rend déprimés et apathiques.

 

Les menaces, frustrations et irritants doivent être identifiés, minimisés, neutralisés ou ignorés. Il peut être pertinent que des citoyens se consacrent à cette seule activité de neutralisation des menaces et laissent à un autre groupe le soin d’organiser, de consulter et d’informer la population.

 

POSSIBILITÉS offertes aux citoyens

Les possibilités, ou opportunités sont des éléments positifs externes dont les citoyens doivent tirer un profit ou un avantage, ou des éléments qu’ils doivent maximiser:

  • L’eau menacée est un élément essentiel à la vie. Notre dépendance à l’eau est universelle. Le nombre de personnes affectées par un déversement pourrait se chiffrer en millions. Cet objectif stratégique rejoint les préoccupations de millions de citoyens.
  • Les citoyens du Québec ont obtenu des victoires claires et inspirantes dans le passé dans des dossiers semblables : gaz de schiste, centrale du Suroit.
  • Le bilan environnemental des oléoducs en Amérique du Nord est désastreux comme le prouvent les faits accablants et les données scientifiques accessibles sur Internet. Ces informations doivent servir aux citoyens pour bâtir et véhiculer leur argumentaire.
  • Des experts et analystes d’ici et d’ailleurs sont accessibles pour contribuer à la réflexion des citoyens.
  • Avec peu d’efforts, les citoyens peuvent constituer des réseaux avec d’autres citoyens partout au Québec. La grandeur du territoire n’est plus un obstacle à la communication. La décentralisation n’est plus un frein à des marques publiques de soutien interprovincial.
  • Il devient plus facile de poser des gestes localement et de les faire rayonner globalement via les réseaux sociaux, les téléphones mobiles et tout autre accès à Internet.
  • Les lieux de grandes fréquentations – places publiques, conférences, commerces, bibliothèques, manifestations – constituent des occasions importantes pour rencontrer des étrangers et faire de nouveaux contacts.
  • Les événements de grandes portées – élections, consultations, conférences, commissions publiques – sont des occasions d’agir et de multiplier l’impact d’une campagne.
  • Les actions citoyennes peuvent innover et surprendre, elles peuvent être imprévisibles et avoir un impact réel sur les décideurs et la population pour atteindre l’objectif stratégique.

 

Les atouts doivent être utilisés pour exploiter les possibilités. Les possibilités doivent être saisies et mises de l’avant pour atténuer et minimiser les menaces.

 

BILAN

J’invite tous les lecteurs et lectrices à me suggérer d’autres atouts, faiblesses, menaces et possibilités en restant le plus général possible. Ça sera aux citoyens de chaque région d’analyser leur situation et de concevoir des actions spécifiques et pertinentes à leur région.

 

Nous avons tout à gagner de nous engager dans une campagne tous azimuts pour arrêter les oléoducs et protéger notre eau potable. Nous avons tout à perdre de laisser des compagnies étrangères utiliser notre territoire impunément pour transiter un produit hautement dangereux qui a déjà tué et intoxiqué des centaines, voire des milliers de personnes. Ces compagnies privées nous imposent tous les risques et ne nous offrent aucune garantie ni contrepartie. C’est inacceptable et il faut les arrêter. Une campagne de persuasion constitue la première vague d’action citoyenne.

 

Dans mon prochain texte, j’énoncerai les différentes entités qui peuvent jouer un rôle dans cette campagne de persuasion pour atteindre de l’objectif stratégique d’arrêter les projets d’oléoducs afin de protéger l’eau potable. Je poursuivrai ensuite ma réflexion avec un sommaire des pistes pour l’action citoyenne dans la durée. Après cette longue analyse, je ferai une suggestion de cibles et de stratégies pour passer à l’action citoyenne en 2014 afin de protéger l’eau, un bien commun essentiel à la vie.

LIEN PDF pour télécharger cet article.

[ii] – Articles sur Revenu Canada et Équiterre : http://bit.ly/1gD3alX

[iii] – Article sur SCRS et GRC en Colombie-Britannique (en anglais) : http://bit.ly/1oPvh5g

[iv] – Article sur Daniel Breton : http://huff.to/1cXvL0A – À l’époque, je me souviens qu’il avait tenu des propos fermes dans un scrum TV à propos des oléoducs car, selon lui c’était de l’importation de pétrole sur le territoire du Québec et le gouvernement provincial avait son mot à dire.

[v] – Personne rencontrée en 2014 lors d’une conférence sur le sujet.

[vi] – Le gouvernement du PQ a rendu sa décision sur le projet d’inversion de l’oléoduc 9B de Enbridge moins de 48 heures après la fin de la consultation : http://bit.ly/O7cdl4

[vii] – Le gouvernement fédéral a exclut des citoyens de la consultation publique de l’Office nationale de l’énergie parce que le règlement d’accès a été modifié : les citoyens doivent prouver qu’ils sont affectés par l’oléoduc pour avoir le droit de se faire entendre et y déposer un mémoire. http://bit.ly/1nM5GXp

De plus, lors de la consultation provinciale pour le projet d’inversion de l’oléoduc 9B de Enbridge, il y a eu un imbroglio dans le processus des demandes d’accès et certains groupes n’ont pu présenter leurs positions en personne. http://bit.ly/1gfXL1S

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