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Rassembler les Québécois

«Ce projet veut rassembler les Québécois» nous dit le ministre Bernard Drainville en déposant son projet de Charte des Valeurs québécoises… Je doute fortement que ce soit le cas.

J’ai expliqué ailleurs les raisons pour lesquelles je crois que le projet mal nommé de Charte des valeurs québécoises a ses raisons d’être, mais aussi pourquoi je m’y oppose, le jugeant mal avisé, opportuniste et étant mis en œuvre dans un mauvais moment.

Je cherche ici, maintenant que l’on en sait plus sur le projet, à expliciter pourquoi je trouve que l’on procède à l’envers si je peux dire. «On met la Charte devant les bœufs»! On s’intéresse de façon maladroite aux symboles alors qu’on a négligé les conditions matérielles objectives de nos concitoyens pour parler comme Marx…

Prenons pour ce faire la posture de l’immigrant et partculièrement celle de l’immigrant majoritaire ces dernières années au Québec, choisi en grande partie à partir de la grille de pointage du Ministère de l’immigration du Québec ! Cet immigrant provient du Maghreb, il est de culture musulmane, plus ou moins pratiquant, (même les non-pratiquants issus de cette région ont une forte culture religieuse) il est francophone sinon francophile, il est éduqué, souvent diplômé. On l’a choisi sur la base de critères qui figurent dans la feuille de pointage de nos fonctionnaires responsables de la sélection des immigrants. Or, lorsqu’ils arrivent ici, leurs diplômes sont souvent déqualifiés, non reconnus. Ils doivent alors amorcer un  processus complexe de reconnaissance de leurs acquis qui est mal foutu et loin de mener à une reconnaissance par les ordres professionnels de leur formation…

Immigrer est un choix difficile. Il est sans doute normal que l’arrivée dans un nouveau pays soit insécurisante, qu’une période de transition soit nécessaire avant «d’intégrer» la société d’accueil. Mais il me semble que le Québec ne fait pas assez pour faciliter cette intégration. De quoi s’agirait-il?

  • De fournir un service de parrainage aux familles migrantres par des familles d’ici déjà bien établies. Celles-ci pourraient bénéficier d’un crédit d’impôt remboursable pour ce service, mais elles auraient au minimum le devoir d’informer les nouveaux arrivants des divers services qui lui sont disponibles. De le diriger vers les ressources gouvernementales et communautaires disponibles. De lui faire prendre connaissance de ses droits. Tout le monde y gagnerait… Avez-vous lu RU de Kim Thuy? Elle y relate son expérience lorsque les boat people vietnamiens sont arrivés au Québec. Plusieurs familles ont alors été parrainées par des Québécois. Quoi de mieux pour entrer en contact avec la culture d’accueil?
  • Élaborer un processus clair, rapide et efficace favorisant la reconnaissance des diplômes des immigrants. Il est malheureux et hypocrite que l’on recrute plusieurs de nos immigrants sur la base de leurs qualifications sans faciliter ni favoriser leur accès à un travail dans leurs domaines!
  • Renforcer et élargir la francisation des immigrants. La langue publique du Québec est le français et pour pouvoir prendre part à notre démocratie, à nos débats, à notre culture, il faut maîtriser la langue nationale. Un effort réel devra aussi être fait pour que le français soit la langue normale de travail.
  • Après tout cela, on pourra discuter plus sérieusement de la tenue vestimentaire du personnel de l’État. Car du point de vue de l’immigrant, et dans ce dossier particulièrement du point de vue de l’immigrante, on est en train de l’exclure de la fonction publique et para-publique avant même d’avoir opéré un accueil minimalement chaleureux et moralement irréprochable à son égard.

Voilà pourquoi je dis que le projet du PQ est mal avisé et apparaît dans le mauvais contexte. Quittons la posture de l’immigrant et revenons à la société d’accueil. Le Québec a-t-il vraiment un pouvoir d’atttraction sans pareil en Amérique? Seule société majoritairement francophone du  continent, on ne peut pas nier que des lois linguistiques sont au minimum ici nécessaires pour assurer que nos immigrants parlent le français. Partout ailleurs en Amérique du Nord, l’anglais s’impose par simple pression démographique.

Le Québec n’a pas ce poids du nombre. Il doit compenser par un projet culturel et politique emballant, accueillant, rassembleur. Or, avant même de renforcer notre capacité à accueillir et intégrer les immigrants, nous en repoussons plusieurs qui ne demandaient que du temps pour se sentir pleinement Québécois!

Beau dommage!