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Maraudage caquiste et dommages collatéraux

 

Après avoir mis en punition son député Guy Leclair, ce jeudi, Pauline Marois expulsait de son caucus le député Daniel Ratthé pour cause d’«opportunisme» pro-caquiste.

Dans le cas de M. Ratthé – dont l’intérêt pour la CAQ de François Legault et de Charles Sirois fut confirmé par l’entourage du chef caquiste, à première vue, la chef péquiste avait le choix entre attendre pour ne pas exacerber une crise interne déjà lourde à porter pour le PQ et sévir, comme elle vient de le faire et comme elle avait promis récemment de  sévir contre tout député qui oserait dorénavant critiquer son leadership ou le programme du PQ. 

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En choisissant la seconde option, l’effet est nécessairement d’exacerber cette crise.

Or, de toute évidence, Mme Marois fait le pari qu’en posant le geste ultime de l’expulsion, le «cas» Ratthé servira d’avertissement aux autres députés péquistes tentés soit par la CAQ, soit par le parti Option nationale de l’ex-péquiste et député indépendant Jean-Martin Aussant.

Or, c’est un pari risqué.

Risqué pour une chef dont le leadership est déjà passablement ébranlé. Et ce, depuis plusieurs mois.

Risqué parce qu’avertissement ou non, l’insatisfaction n’est toujours pas colmatée au PQ.

Risqué, également, parce que le maraudage caquiste est loin d’être terminé. Que ce soit au PQ, ou, qui sait, même au PLQ. Quoiqu’au Parti libéral, pour le moment, la discipline et l’attrait d’être au pouvoir semblent tenir le coup.

Quant à l’ADQ, on sait déjà que ce qui s’annonce, c’est carrément un mariage. Ne manque plus que la publication des bans.

Le pari de Mme Marois est aussi risqué parce que cette dernière expulsion vient alimenter une crise interne dont le message principal, aux yeux de l’électorat, est celui d’un leadership qui ne cesse d’être déstabilisé et contesté.

Bref, celui d’un parti qui, dans ses conditions actuelles, n’est tout simplement plus perçu comme une alternative solide au PLQ.

Or, pour la chef péquiste, ce «choix», dans les faits, n’en était pas vraiment un dans la mesure où  pour n’importe quel chef de parti, il serait éventuellement impossible de travailler avec un député occupé à flirter avec un autre parti tout en contestant son propre leadership. (Voir ce billet de mon collègue Pierre Duchesne sur la «réunion secrète» tenue chez Daniel Ratthé en octobre dernier pour discuter du départ de Mme Marois.)

Les prochaines semaines diront si la décision de Mme Marois fut ou non la bonne pour le Parti québécois lui-même. De toute manière, dans les circonstances, ce dénouement était écrit dans le ciel.

Et d’ici là, les résulats de l’élection partielle de Bonaventure, le 5 décembre prochain, en donneront déjà une idée.

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Un caucus caquiste en gestation?

En point de presse, M. Ratthé a donc confirmé qu’il siègera dorénavant comme indépendant.

Réfutant l’accusation d’«opportunisme» lancée par Mme Marois, sa raison, dit-il, serait plutôt celle-ci: dans Blainville, son comté, la souveraineté n’est plus «au coeur des préoccupations» des citoyens… Ce qui, par contre, est au coeur même du message de la CAQ et de François Legault.

En réponse aux journalistes, il a confirmé avoir discuté très récemment avec M. Legault et qu’il n’«écarte aucune possibilité au moment où on se parle».

Traduction: il y a de bonnes chances qu’à la rentrée parlementaire de février prochain, le député de Blainville porte les couleurs, par ailleurs nombreuses, de la CAQ. Si cela devait être le cas, il y a aussi de très bonne chances que son ex-collègue du même caucus péquiste, le député Benoit Charette, en fasse de même. Sans compter les députés indépendants Éric Caire et Marc Picard, de même que les députés adéquistes eux-mêmes.

Ce qui donnerait à la CAQ son propre caucus instantané, même informel. Et donc, une possibilité de 7 ou  8 porteurs concertés de son «plan d’action» en pleine Assemblée nationale. Du jamais vu dans l’histoire moderne du Québec.

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Daniel Ratthé reprend l’argument principal de la CAQ…

M. Ratthé a aussi fait état d’une rencontre de «courte durée» et «courtoise» avec Mme Marois. Il dit avoir conclu qu’il devait quitter pendant que Mme Marois concluait qu’elle devait l’exclure…

Il s’est dit «toujours souverainiste». Mais, au cours des dernières semaines, il dit avoir réalisé que l’«appétit, pour l’instant» est beaucoup moins présent chez ses électeurs -d’autres enjeux de gouvernance étant plus importants pour eux.

Encore une fois, cet argument est précisément LE «power point» principal de la CAQ  – sans jeu de mots… ou si peu… 

De fait, cet argument est à la base-même de la création de la CAQ par le duo Legault-Sirois – leur «offre de service» politique étant celle d’un parti capable d’unir souverainistes et fédéralistes dans une même «coalition». Une coalition où chacun aurait fait son deuil qui de la souveraineté, qui du fédéralisme renouvelé.

Du moins, suffisamment longtemps pour tenter de prendre le pouvoir. Et si oui, pour tenter de le conserver le plus longtemps possible.

Ce qui – et la chose tombe sous le coup -, a comme résultat d’avaliser par défaut le statu quo constitutionnel. Ce qui, en passant, est aussi la position du PLQ. Mais ça, comme on dit, c’est une autre histoire…

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Et parlant du PLQ…

Pendant que la crise perdure au PQ,  Jean Charest affine ses attaques contre la CAQ – devenu son principal adversaire politique.

Dans un billet du 14 novembre dernier, voici d’ailleurs ce que j’en écrivais:

«En fin de semaine, Jean Charest qualifiait François Legault de «souverainiste de gauche». Ce lundi, il ajoutait même que M. Legault aurait un «agenda caché» /sic/. De toute évidence, avec moins de 20% d’appuis chez les francophones, le chef libéral cherche surtout ici à consolider la base électorale du PLQ – maintenant principalement anglophone et allophone. Et donc, pour ce faire, il tente de faire passer François Legault pour un méchant «souverainiste de gauche», alors que dans les faits, la CAQ enterre cette option six pieds sous terre et que le plan d’action caquiste est essentiellement de centre-droite.»

Parions qu’avec l’expulsion de Daniel Ratthé – qui se décrit lui-même comme étant toujours souverainiste malgré son passage prévisible à la CAQ – le premier ministre Charest prendra plaisir à reprendre, encore et encore, cette même «ligne» d’attaque contre la CAQ.

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(Rappelons qu’à l’élection générale du 8 décembre 2008, Daniel Ratthé remportait le comté de Blainville avec 40,52% des voix et une majorité de 2 772 voix.   Rappelons aussi qu’il reste 45 députés péquistes sur les 51 élus en 2008.  Depuis juin dernier, le caucus péquiste aura perdu pas moins de 8 députés pour diverses raisons – Lisette Lapointe, Pierre Curzi, Louise Beaudoin, Jean-Martin Aussant, Benoit Charette, René Gauvreau, Guy Leclair (suspendu pour le moment) et Daniel Ratthé. Quant aux députés indépendants, ils sont maintenant 10 – un nombre proprement spectaculaire qui témoigne surtout du réalignement politique se pointant au Québec – ou 11, si on y ajoute Amir Khadir.)