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Recherche désespérément leadership éclairé

 

Dans ma chronique de cette semaine, j’analysais les trois mois de gestion de crise de la grève étudiante menée par le gouvernement avec cynisme et un entêtement aussi partisan qu’idéologique.

En effet, le gouvernement a laissé pourrir le conflit, les manifestations se multiplier et la hargne s’installer.

Et Pourquoi?

Primo: parce que ça lui rapporte dans les sondages. Pour ce gouvernement impopulaire en fin de troisième mandat se cherchant une «fenêtre» électorale, la grève étudiante – qu’il n’a JAMAIS vraiment cherché à résoudre – lui est bénéfique, politiquement et électoralement.

Secundo: parce que idéologiquement, la hausse de 82% des frais de scolarité maintenant étalée sur 7 ans, fait partie de ses politiques tarifaires d’inspiration néoconservatrice (ou néolibérale, c’est selon). Des politiques voulant que le citoyen-contribuable soit dorénavant considéré comme un utilisateur-payeur, lequel, au-delà de ses impôts et sans égard à son niveau de revenus, doit casquer en plus directement de sa poche. Qui pour certains services publics directs. Qui pour des services publics sous-traités au privé.

Ces deux éléments sont indissociables. Bref, le blocage est politique, partisan et idéologique.

Ils sous-tendent l’entêtement du gouvernement à tout faire pour ne pas négocier une véritable résolution de conflit sur la base de l‘objet même de la grève étudiante: la hausse des frais de scolarité.

Sans compter la question d’une mission des universités québécoises qui, telle qu’elles se pratiquent, sont aussi fondamentalement remises en question par les associations étudiantes. Lesquelles, soi dit en passant, se sont également livrées à une analyse et une réflexion de fond sur le sujet, de même qu’ils ont présenté publiquement des recommandations concrètes. Ce qu’aucun ministre de l’Éducation n’a fait au Québec depuis des lustres.

Même sur la question d’une possible gratuité scolaire pour les études supérieures, la CLASSE a fait une démonstration de sa faisabilité alors qu’au gouvernement – même si cette proposition, sérieuse et étayée, remonte déjà ici à plusieurs décennies -, on ne s’est jamais donné la peine de l’étudier.

Face à l’entêtement du gouvernement, la situation se détériore de jour en jour au point où, de plus en plus, la paix sociale est mise à mal.

Le gouvernement laisse pourrir le conflit, ce qui ouvre de plus en plus la voie à son instrumentalisation par des casseurs, professionnels ou non. Sans résolution en vue, avec le temps, qui sait à quoi pourrait mener un tel pourrissement de la situation.

Pour ce qui est des casseurs, on les a vus à l’oeuvre à Victoriaville, vendredi soir dernier. À l’ouverture du conseil général du PLQ, des blessés graves furent victimes d’une confrontation très dure entre des casseurs professionnels et la SQ dans ce qui fut une véritable émeute.

Pas étonnant que les voix s’élèvent, dont celle de Québec solidaire, pour réclamer une enquête indépendante sur les méthodes de contrôle de foule utilisées ce soir-là par la Sûreté du Québec, de même que sur le rôle joué par les casseurs.

Dans cette dégradation palpable du climat social, ce jeudi matin, des engins fumigènes furent lancés dans le métro de Montréal et l’ont paralysé pendant plus de trois heures.

En point de presse, le maire Gérald Tremblay a quant à lui fait appel à la «société civile», dont les grands-parents et parents…

Le maire de Montréal, de toute évidence, est dépassé et désemparé par la crise au point où il est même incapable de faire appel directement au gouvernement pour qu’il mette fin à sa stratégie de division qui déstabilise le Québec… pas seulement sa métropole.

Entre temps, le gouvernement, les yeux rivés sur les sondages, reste sourd. Irrémédiablement.

Avec un maire de Montréal complètement dépassé et un gouvernement du Québec aussi entêté, force est de constater l’absence troublante au Québec d’un leadership politique éclairé.

Et donc, pendant que des assemblées générales d’étudiants à travers le Québec rejettent massivement par vote une «entente de principe» qui ne touche en rien la question des droits de scolarité, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, refuse d’ouvrir, face à face, de nouvelles discussions avec les associations étudiantes. Des échanges téléphoniques, dit-elle, en tiendraient lieu.

Résultat: les associations étudiantes se mobilisent de plus en plus – la CLASSE annonçant même aujourd’hui une «immense» manifestation pour les 22 mai prochain.

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Une grève incontestablement instrumentalisée

Depuis ses débuts, la grève étudiante est instrumentalisée par le gouvernement Charest à des fins essentiellement électoralistes.

Or, elle l’est aussi par des casseurs professionnels à propos desquels, étonnamment, les «autorités», autant politiques que policières, donnent  fort peu de détails. De qui s’agit-il vraiment et d’où viennent-ils?

Cette double instrumentalisation du conflit est – on ne saurait en douter -, une combinaison des plus inquiétantes pour la suite des choses. Socialement et politiquement.

C’est pourquoi il est urgent pour le premier ministre de sortir de son mode stratégique de «sortie de crise» où il calcule surtout ce qui peut être bénéfique pour le PLQ électoralement, pour entrer, enfin,  dans un mode réel, sincère, transparent et responsable de résolution de conflit.

Certains avancent qu’une solution possible serait un moratoire sur la hausse en attendant les élections.

Une autre piste de solution est que le premier ministre mandate sa ministre pour qu’elle discute directement avec les associations étudiantes des deux questions fondamentales qui sous-tendent la grève: les droits de scolarité et la gestion-mission des universités. Dans la mesure où les leaders des associations étudiantes affirment, de leur côté, être prêts à retourner autour d’une table pour une véritable négociation face à face, cette piste de solution mérite qu’on s’y arrête.

D’autant que, ce faisant, le système d’éducation, dans son volet post-secondaire crucial, ne s’en porterait que mieux tout en y assurant un accès équitable.

Bref, des formules de résolution de conflit existent. C’est indéniable. S’agit de voir si le gouvernement s’entêtera ou non dans l’ultra partisanerie sur cette question. S’agit de voir s’il serait même capable de négocier de bonne foi sans jouer à qui poussera le plus loin…

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Une paix sociale mise à mal

Responsable de la paix sociale et de la sécurité publique, le gouvernement se doit de les protéger. Or, seule une véritable résolution de conflit, ouverte et constructive, peut le faire.

Pour le moment, nombreux sont ceux à se poser une question fondamentale: à qui sert ce chaos?  Une chose est certaine, il ne profite en rien au Québec.

Dans son point de presse, le maire de Montréal disait s’inquiéter déjà pour la paix sociale pour les festivals et le Grand Prix de cet été…

C’est vraiment, vraiment à espérer que le maire n’entend pas de rumeurs sérieuses sur  la possibilité que ce conflit puisse encore durer des mois et des mois… On ose à peine y penser…

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Le populisme, l’amalgame et la caricature

Une autre résultante du pourrissement du conflit et de la stratégie de division utilisée par le gouvernement Charest depuis le début de la grève, on trouve une polarisation sociale comme nous n’en n’avions pas vue ici depuis longtemps.

On la constate, entre autres, chez certains médias populistes.

À divers degrés, on y entend des tentatives d’associer le mouvement étudiant à la violence, voire même, dans certains cas,  à l’«extrême gauche» et au «communisme» /sic/. Ce qu’on appelle pratiquer l’«amalgame».

Or, ce qu’il faut surtout comprendre est que de tels procédés substituent aux débats d’idées une espèce de hargne contre ceux et celles qui, plus nombreux et plus visibles qu’avant, remettent en question ouvertement la vision néolibérale montante. Et ceux qui la remettent le plus en question, par hasard, ce sont les étudiants grévistes eux-mêmes, leurs familles, professeurs, intellectuels et artistes, qui les appuient publiquement.

Le problème est qu’on verse ici dans un anti-intellectualisme aussi primaire que classique, de même que dans la caricature de toute lutte menée, aussi pacifique fut-elle, pour une plus grande équité socio-économique.

Ce qui, à son tour, ne sera pas sans laisser des séquelles dans la société.

Les exemples de ce procédé sont nombreux. Et parfois même, ils sont surprenants.

Ainsi, au long de ce conflit, on aura vu à la télévision, entre autres, un professeur-chroniqueur accuser sans broncher le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, de tenir un discours de «batteur de femmes».

On aura vu un gestionnaire haut-placé du ministère des Affaires municipales faire paraître dans un grand quotidien un texte aux propos fascisants contre le mouvement étudiant, lesquels propos ne furent pourtant jamais dénoncés publiquement par le gouvernement.

On aura vu à l’émission de Mario Dumont, un député péquiste, Martin Lemay, se dire très inquiet, dans la foulée du conflit étudiant, de ce qu’il présente comme une montée au Québec de l’extrême-gauche et du communisme. Pour visionner l’entrevue, c’est ici. Pour lire aussi la première partie de sa «lettre à un jeune gauchiste», qui semble avoir attiré l’attention de M. Dumont et où Martin Lemay annonce dans un prochain texte qu’il ferait également part de sa «crainte de voir les mouvements d’extrême-gauche subordonner la lutte pour l’indépendance du Québec à la révolution communiste»,  c’est ici

Et on ne compte plus, sur une toute autre note, les montées de lait contre les étudiants qualifiés à répétition sur plusieurs tribunes d’«enfants-rois».

Ce genre de populisme, on l’entend aussi sortir de la CAQ, dont le chef lançait un appel à ramener les étudiants en classe par tous les moyens… comme si les caquistes ignoraient que des escortes policières pour étudiants ne feraient rien d’autre que d’envenimer une situation qui l’est déjà amplement…

Et pourtant, il est parfaitement possible de débattre posément, pour ou contre, des enjeux de cette grève.

Or, devant leurs auditeurs nombreux, certains médias entretiennent plutôt la polarisation, l’amalgame, la caricature et les théories de complot où foisonnent une «extrême gauche» et des «communistes» qui, ici, aujourd’hui, sont pourtant aussi peu nombreux que les rues montréalaises sans nid-de-poule.

Bref, comme je l’écrivais cette semaine, il faut croire que rien n’inquiète autant certains milieux au Québec que de voir une jeunesse conscientisée, politisée, mobilisée, instruite et comprenant la force de l’action collective…

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Addendum: pour écouter mon analyse à l’émission Maisonneuve en direct, c’est ici (à 21 minutes 30).