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Les folies de Keith Kouna – longue entrevue

Après avoir présenté quatre fois une version scénique et orchestrale de son Voyage d’hiver, une bibitte dans sa discographie, l’ex-chanteur des Goules remet ça en version (très) intime, au Bal du Lézard, le 19 mai, au profit de Limoilou en vrac. Voici une longue entrevue avec l’inénarrable Keith Kouna réalisée quelques heures avant sa première de ce voyage au Grand Théâtre, en février.

Keith-Kouna-Nic-Cantin

Tu as un peu surpris tout le monde quand tu es arrivé avec ce projet. T’es-tu surpris toi-même?

Oui, mais en même temps, il n’y avait plus grand-chose de surprenant, ça faisait 4-5 ans que j’en parlais! Je pense que j’ai eu un enthousiasme quand je me suis lancé là-dedans au début… et ça s’est étiré. Ça été un long voyage, un long parcours. Pendant le processus, Vincent (Gagnon), Martien (Bélanger) et moi, on se disait «criss de projet de mongol» !

Sur ton site Internet, on peut lire que tu as une partie de hockey à écouter plutôt que de nous raconter la genèse de Voyage d’hiver. Là, on a du temps. Alors?

C’est né dans ma voiture, en plein été, sous une grosse chaleur, avec ben trafic sur Charest. Je sais pas pourquoi j’écoutais Voyage d’hiver et je me suis à gueuler n’importe quoi. Je trouvais ça cool! Au début je me disais piano-voix, un seul leid. Puis les 24. J’en ai parlé à Vincent et Martien et on s’est lancé là-dedans.

Comment Voyage d’hiver est entré dans ta vie?

J’en écoute pas ça régulièrement (des lieder), mais j’en écoute depuis longtemps. J’ai découvert ça en 1996, quelque chose comme ça. J’étais dans une drôle de quête, sur ce que j’allais câlicer dans la vie. J’étais à Joliette en musique classique.

Un Goule en musique classique à Joliette?

Oui! J’ai été en mise à niveau pendant six mois, je connaissais rien en musique. Je partais de loin. J’avais chanté pour entrer. J’étais imbibé de chants classiques, j’étais tombé par hasard sur les lieder de Schubert, quelque chose était venu me chercher. À ce moment-là, je me disais que j’allais tous les chanter, en allemand, que j’allais devenir un baryton! Finalement, j’ai lâché après un an. Mais j’ai gardé les lieder.

Qu’est-ce qui vient te chercher là-dedans?

Les mélodies, le côté sombre, mais beau. Je trouvais pas ça déprimant. On sent la tristesse, mais il y a une luminosité. Schubert, c’est un fou incroyable.

S’amuser à inventer des paroles dans son char, c’est une chose. Le faire pour vrai, c’est autre chose.

J’ai cette qualité et ce défaut de m’enthousiasmer facilement. Les premiers, ça bien été… ensuite ça été plus ardu. Il fallait qu’il y ait une homogénéité, une ambiance et non pas une pizza all dressed. J’ai viré fou! Je bloquais. Fallait trouver un réalisateur.

Vraiment? Martien Bélanger ou Vincent Gagnon ne pouvaient pas le faire?

Il nous fallait un oeil extérieur. On était trop collé dedans. On s’en allait dans plein de directions. Et moi je n’ai pas les notions de musique pour dire quoi faire. Fallait quelqu’un qui ramasse ça. Ce n’était pas facile de trouver quelqu’un qui peut le faire, qui a envie de le faire et qui a le temps de le faire.

En brainstorm, le nom de René Lussier est sorti. Martien l’a contacté, il s’est montré intéressé, il a embarqué et là ça s’est mis à débloquer. Il fallait un vent frais. Il a vraiment assuré. Vincent aussi a passé énormément de temps sur les arrangements.

Nous, quand on était en vase clos, il y avait une touche plus métal, ou plus rock. En fait, il y avait beaucoup de styles. René a dit de garder ça proche de l’oeuvre dans les structures et les mélodies.

La musique est très influencée par le classique, par la musique actuelle aussi…

Les puristes de classique ne doivent pas aimer. En même temps, à Montréal, après un des shows, il y a un monsieur qui est venu me voir et qui connaissait le lied par coeur et qui avait vu des grands chanteurs le faire seulement piano-voix. Il m’a dit qued’habitude il n’aimait pas les gens qui défont les oeuvres, mais il a adoré! Il m’a pris dans ses bras. Je me suis dit «Ouf!! Cool!»

Schubert, lui, est parti de la poésie de Müller… toi tu es parti de la musique.

J’ai lu la traduction… même si je ne voulais pas faire de la traduction, mais je voulais rester dans la solitude, l’errance, le désespoir, l’hiver. Je voulais garder l’esprit, mais en même temps, la musique appelait ça.

Je n’étais pas down ou suicidaire. C’est un exercice de style. On a tous ces zones-là. Je voulais rester dans une esthétique proche de l’écriture classique, très carrée, très clean, frette, un peu distante. Il n’y a pas de québécisme à part fourrer! (rires)

Tant pour le texte que la musique, son originalité, sa marginalité, c’est sûrement le projet le plus ambitieux auquel tu t’es attaqué?

Un drôle de mot «ambitieux»! (rires) On n’arrête pas de dire que c’est ambitieux! C’est quoi ça, l’ambition? C’est colossal, disons! C’est un projet gigantesque en travail et en temps.

Aurais-tu pu faire ça il y a 10 ans?

Il y a 10 ans, j’étais avec les Goules! La belle époque! Probablement pas. Au début, j’étais dans une drôle de période, un peu en errance… Un peu freak… C’était un bon point de départ.

Avec le spectacle, tu deviens acteur!

Je me suis lancé! En même temps, je ne voulais pas que ça soit trop joué, trop Garou. J’ai peut-être des airs de Garou aussi, je sais pas! On a évoqué qu’un comédien joue et moi que je chante, mais finalement, je le joue. À force de travailler, on trouve le ton, entre jouer et surjouer.

Il y avait déjà de la mise en scène avec Les Goules, mais pas à ce niveau!

Avec Les Goules, il y avait une mise en scène, mais c’était des cues. À cette toune-là, on fait ça. Les figurants étaient libres de leurs mouvements, il y avait de la place aux impros et aux déconnages. Là c’est précis, mais faut pas que ça se sente, tout en chantant!

As-tu eu peur de te planter avec ça?

Mets-en! Je savais que je le ferais. Je suis assez têtu. On a toujours peur du résultat.

On est loin du lyrisme habituel des lieder, mais c’est un autre chant pour toi quand même.

Je ne voulais pas les chanter lyriques. Ça été de l’exploration. Il y a des affaires sur l’album que je ne referais pas comme ça. En montant le spectacle, on s’est rendu que je ne faisais pas la bonne ligne mélodique à un endroit sur le disque! Même si je ne peux faire comme un chanteur classique, je me suis bien démerdé.

Grâce à des techniques prises à Joliette?

J’avais des bases! C’est sûr! Sauf que le chant, à ce niveau-là, c’est de la pratique quotidienne, ce que je n’ai pas fait! Mais je les ai chantés tous les jours et j’ai trouvé des trucs. J’ai arrêté la clope pour ces shows-là!

Avec Voyage d’hiver, sommes-nous plus proches du poète qu’est Keith Kouna?

Je trouve que les affaires les plus poétiques que j’ai pu faire c’est avec Les Goules! Il y a un côté moins «je», plus libre dans l’écriture que j’aime beaucoup avec Les Goules. Ici, on se rapproche du stéréotype du poète maudit, meurtri… Je dois en avoir une part en moi!

Fait longtemps que tu écris de la poésie?

Poésie! C’est un terme tellement flou… J’écris depuis mes 15-16 ans, je sais pas. Des historiettes sur la dope! (rires) Ben frost, tu délires, tu racontes des conneries à tes chums, tu trouves que tu as de l’imagination. Comme ben du monde à cet âge-là.

Quand j’ai commencé, j’avais un band de covers. Avec le guitariste des Goules, Ken Pavel, d’ailleurs. J’étais dans un mood «j’écris, j’écris», j’ai essayé d’avoir des compos à travers les covers. J’ai vu que ce n’était pas si sorcier trouver quatre accords qui ont une mélodie. Ça a commencé de même. J’ai pris ça plus au sérieux à Joliette, alors que je m’étais fait crisser dehors du band de covers! (rires)

Ta révolte envers le band?

(rires) Je fous le camps d’ici! Ma vie ne va nulle part! Je vais à Joliette en chant classique! (rires)

Labrador, Rue Richard, Petite fée, qui n’est pas sur un album, mais sur une compilation de P572, ça date de là. Puis je suis parti en Europe chanter dans la rue environ deux ans. Presque toutes mes tounes des Années monsieur viennent de là.

Dans tes textes, on retrouve un savant mélange de provocation, d’érudition, de poésie, de joual, d’émotion, de dénonciation…

J’ai trippé sur Bérurier Noir, pis sur Renaud, Mano Solo, les Wampas, les Sheriff… Mon flash keb, même si j’avais écouté du Plume et Leloup, c’est Richard Desjardins. Quand je l’ai découvert, là, ça m’a ouvert, à quel point c’était riche le keb, avant j’écrivais peu en keb.

On a parlé des belles années des Goules tantôt. Revenons sur cette bête qui était un trip d’amis, avant tout.

On était trois gars de St-Augustin. Pavel je le connais depuis la maternelle, Rabin un peu après. Je revenais d’Europe et je m’étais booké des shows à l’Ostradamus, j’avais demandé à Pavel de m’accompagner. Klaudre était le coloc de Pavel, il jouait de la basse. On a donné un petit clavier à Rabin. La musique était une manière de pas juste se péter la face! Il y a des trucs flous… ce n’est pas au détail près.

On présentait ça à quatre à l’Ostradamus. Dans la salle, il y avait Igor qui avait trippé, on a jasé, il est venu jammer. C’est parti comme ça! J’avais déjà entamé l’enregistrement des pièces des Années monsieur, mais ça me plaisait pas, ça coûtait cher, c’était trop sérieux pour moi à l’époque. J’ai mis ça de côté et j’ai foncé dans les Goules pour me faire du bien! Il y avait quelque chose de beau, de vrai et de très libre là-dedans.

En deux nuits blanches, on a fait le premier album, sans attente. On l’avait envoyé nulle part. On l’a fait, c’est toute. Un moment donné je mangeais un Subway, je feuillette le Voir et je tombe sur une critique de David Desjardins sur notre album! Ça venait pas de nous! Le mot s’était passé et le disque s’était ramassé là. À partir de là, on s’est dit qu’il y avait peut-être de quoi à faire.

Vos personnages, c’était clair dès le départ? Pour rire de KISS et autres bands du genre?

C’était à l’époque où je donnais des cours de théâtre à des jeunes, j’avais tout ça dans mon coffre de char! Avant un show, on ouvrait le char et chacun prenait un morceau. Juste un désir de déconner! Après ça on a eu l’époque Memories, on avait travaillé nos costumes, mais c’était tellement laid! On s’est trouvé aux Animaux, je pense. Des grands stylistes, les Goules!

Avec le temps, vos spectacles sont devenus très théâtraux, les personnages sont devenus plus vivants, plus forts… Vous avez eu un prix Miroir du FEQ avec ça!

On était en feu à cette époque-là! (rires) On s’en venait tight! Des chorales, des danseurs! On a grandi dans les shows au Colisée avec ben du visuel, ça dû nous marquer. L’univers de Béru aussi… Ça rejoint bien des affaires.

Puis la fin. Pourquoi?

Par la force des choses. Ça faisait 6-7 ans qu’on roulait ça. Juste avant le troisième album, il y avait des petites familles qui s’en venaient. Igor déménageait à Montréal. On gagnait pas vraiment d’argent avec ça. On voulait pas se faire chier avec ça. On n’a jamais eu de bookers. C’était nous qui appelions les salles. C’est gossant, trop collé sur soi, trop «ventes», c’est dégueulasse. Si on continuait, on sentait que ça deviendrait peut-être lourd. On faisait l’album, la tournée et on arrêtait. Tout le monde était hyper d’accord.

Il y a quand même eu quelques retours.

Oui, on s’est fait avoir! On a dit oui une fois… on n’a pas eu le choix de dire oui trois ou quatre fois, je pense. C’était super le fun, mais en même temps, les demandes arrivaient, on a dit stop. Si les Goules reprennent le plancher, c’est qu’on va avoir du nouveau stock.

Dès la fin des Goules, tu savais que tu ferais des projets solos?

J’ai commencé en même temps que Les animaux. Fallait que je les enregistre. Labrador date de 1996! Fallait je le fasse avant d’écrire d’autres chansons.

As-tu songé laisser tomber le nom de Keith Kouna?

Ça été un questionnement, même au moment de faire la pochette. D’un côté, ça faisait sept ans qu’on m’appelait Keith Kouna!

Plusieurs pensent que c’est ton nom!

(rires) Malgré l’impossibilité que quelqu’un de St-Augustin-de-Desmaures s’appelle de
même!

Pour Les Années Monsieur, ELLE Québec t’avait mis dans sa liste coup de coeur! «Le québécois Keith Kouna présente un premier album solo qui ne devrait pas rester confidentiel» et même: «La chanson Haut de Keith Kouna a servi de bande sonore pour notre entrevue vidéo avec Guillaume Lemay-Thivierge et Mariloup Wolfe.» Guillaume Lemay-Thivierge, Mariloup Wolfe et Keith Kouna dans la même phrase, c’est drôle!

Tu imagines comment j’ai été surpris?! À mon premier show, c’était terrible. J’avais pas de musiciens, je faisais des tounes avec ma guitare et d’autres avec un CD d’instrumentaux! Cet album-là a été un bon album pour tranquillement trouver une façon d’être Keith Kouna, seul sur scène. Je vivais un clash par rapport aux Goules!

Pour Du plaisir et des bombes, on retrouve plus ton vrai son, justement.

C’était un moment où je m’enlisais pour Voyage d’hiver. Je faisais pu de shows. J’étais dans un bar avec Tristan McKenzie et lui m’a dit de faire des tounes qui parlent pas de Schubert. Faire des bonnes tounes de 3 minutes 43. Je l’ai pris comme un défi. J’ai fait Entre les vagues et Pas de panique. Ça m’avait comme donné un élan. J’ai trouvé ça cool.

Surpris par la vague de Batiscan?

J’ai peut-être été surpris pour le prix Socan. Je me méfie beaucoup de cet engouement. Je l’aime, mais le côté qui va chercher les gens, je trouve ça délicat. Je veux pas trop jouer sur cette corde-là. Depuis le début, c’est une lente croissance. Ça repose sur le long terme.

Tout roulait bien pour toi au Québec, des nominations, des prix, l’ADISQ, des articles, une demande pour tes spectacles, tu aurais pu surfer là-dessus, mais paf! Tu pars en France!

J’avais un appart gratos! Et c’est cool d’aller en France! Tu peux faire des shows en masse!

Je sais que mes tounes passent pas à la radio! (rires) Même Du plaisir et des bombes, je l’entends jamais à part CKRL, les radios communautaires et étudiantes, parfois Radio-Canada, s’il y a une demande spéciale… J’ai fait les premières parties de Richard Desjardins là-bas, c’est quand même cool!

Qu’est-ce qui attend Keith Kouna après Voyage d’hiver?

Sûrement écrire une couple de tounes.

Des 3 minutes 43?

Je sais pas ce que je vais faire. C’est ça qui est intéressant. J’ai eu l’occasion de faire la musique pour la pièce La république du bonheur. J’avais jamais fait ça. Ça m’a amené ailleurs. J’ai un désir de refaire des shows en band, le côté simple et énergique d’un show à 5, de faire du rock. On va voir.