À l’été 2015, je pensais lâcher les médias. Ça faisait un an, depuis mon retour à Québec, que je devais toujours faire un sacrifice quelque part pour y rester, que le sacrifice soit financier ou moral (mes valeurs).
En prenant ma décision de tout lâcher et de m’inscrire en économie à Laval, je m’étais dit que je continuerais dans les médias que si je n’avais pas à sacrifier les deux. Il y a une limite à être pauvre et je ne veux plus piler sur des convictions pour demeurer dans une salle de nouvelles ou piloter un projet à la radio.
Heureusement, il est arrivé en même temps que mon inscription à l’université des projets qui ne demandaient pas ces sacrifices, donc vous êtes encore pognés avec moi en ondes, sur le web et dans certaines publications comme le VOIR.
J’ai aussi changé mon approche concernant l’objectivité. Ça fait un moment que je réfléchis sur cette notion. Je parlais ici de journalisme mou et du terrain glissant de l’objectivité sur certains sujets. Ici, j’évoquais que le manque de diversité parmi les artisans médiatiques créait inévitablement un biais chez les médias, objectivité ou pas.
Depuis deux ans environ, j’ai décidé de ne plus taire mes indignations. Il y a encore plusieurs dossiers que je ne commente pas, plusieurs situations où je garde mon opinion pour moi. Sur d’autres dossiers, je tente l’avenue de l’honnêteté plutôt que celle de l’objectivité à tout prix.
Puis il y a des dossiers sur lesquels on ne peut pas se taire, montrer les deux facettes de la médaille. Toutes les situations n’ont pas deux facettes. Toutes les opinions ne se valent pas – je ne parle pas ici de la couleur, mais de la manière dont on se rend à cette couleur.
Je vais prendre un exemple flagrant. Pendant la Guerre de Sécession, un média qui aurait joué la neutralité aurait passé son temps à interviewer simultanément des gens pour l’esclavage et contre l’esclavage. Ça se défend facilement, sous cet angle, mais un moment donné, à force de se la jouer neutre, tu en viens à encourager ce qui n’a pas de bon sens, ici, l’esclavagisme. En refusant de dénoncer ce qui ne devrait pas se faire, en ne dénonçant pas ce qui est un manque de respect envers l’être humain, tu acceptes l’inacceptable.
Ça fait quelques jours que ça me travaille, que la couverture médiatique entourant les récents témoignages de (présumées) victimes d’agressions sexuelles me dérange, littéralement.
Creuser le passé des victimes, c’est encourager la culture du viol. Que la victime ait été prostituée ou pas, que la victime se soit déjà promenée nue sur Grande-Allée, que la victime ait déjà frappé quelqu’un dans une rage de colère quelques années avant, que la victime vienne d’une famille riche ou pauvre, qu’importe en fait, le passé de la victime.
La victime aurait beau avoir un karma de marde, ou un futur sombre karma, ça ne change rien à l’acte. On juge la victime au lieu de juger l’agression en elle-même et le présumé agresseur. Il n’y a aucune raison qui peut excuser une agression, sur n’importe qui et par n’importe qui. La gravité d’une agression ne dépend pas de la personnalité de la victime, mais de l’agression en soi.
En grattant le passé des victimes, c’est sous-entendre qu’elle l’a peut-être cherché. Le très petit pourcentage de fausses accusations ne peut excuser cette façon de faire. Et surtout, si un journaliste en grattant découvre qu’il y aurait bel et bien une entourloupe, qu’on en parle à ce moment-là, ça aura été du bon journalisme d’enquête. Mais balancer comme ça, sans vérifications, sans motifs autres que racoler, des informations qui ne changent rien à l’acte en soi, c’est-à-dire l’agression, c’est alimenter la culture du viol.
Et si tu ne comprends pas ça, c’est que tu n’as pas encore compris la culture du viol. On ne peut pas traiter la victime d’un des actes les plus inhumains et irrespectueux de la même manière qu’on traite une personne victime d’un vol, de vandalisme, d’un feu, etc. On ne viole pas par accident. Le viol est de la responsabilité unique de l’agresseur. Absolument rien ne peut excuser une agression sexuelle, comme rien ne pouvait excuser l’esclavagisme. Ce sont des crimes contre l’humanité, il n’y a rien de banal.
On peut mourir d’une balle perdue, d’un coup de couteau accidentel, mais ça n’existe pas des pénétrations accidentelles, sauf dans la tête de ceux qui se présentent à l’urgence avec des objets dans le cul.
Même des juristes veulent qu’il y ait une plus grande sensibilité ou une approche différente pour mieux encadrer les victimes qui, trop souvent, voient leur crédibilité être démolie en cours – parce que certains avocats de la défense peuvent jouer la carte de la victime responsable ou parce que c’est trop souvent la parole de la victime contre la parole de l’agresseur. Et si cette carte est possible pour ces avocats, c’est parce que c’est une image encore forte dans la culture populaire. Quand un média s’amuse à défaire la crédibilité de la présumée victime, il joue le jeu de l’avocat de la défense. Ce n’est pas du tout neutre.
Ce matin, j’interviewais Rachel Chagnon, professeure de droit à l’UQAM et titulaire de l’Institut de recherches et d’études féministes, elle croit que les médias ont un énorme examen de conscience à faire sur leurs préjugés.
«Dans certaines chroniques, on dit poser des questions « honnêtes », mais chacune des questions était représentative de ce qu’on appelle la culture du viol. […] Sûrement que la chroniqueuse pensait qu’elle agissait de bonne foi, alors que toute sa chronique exprimait un biais extrêmement fort, à l’idée que quelque part, c’est la femme qui provoque l’agression. […] C’est comme si l’agresseur n’était pas dans l’équation, l’agresseur est comme une force de la nature que l’on peut éviter si on est prévoyant. C’est-à-dire qu’on n’entrera pas dans la tornade si on ne se met pas dans le chemin de la tornade. Comme s’il n’y avait pas une volonté derrière l’agression, […], une chose que la victime n’a pas su éviter. Ça fait partie de la culture du viol et on le voyait dans différentes chroniques.»
La culture du viol demeure forte parce qu’on ne dénonce pas les conversations de vestiaires, parce qu’on laisse des amis partager des blagues sexistes qui parfois encouragent les agressions sur Facebook, parce qu’on se demande si la victime d’une agression ne l’aurait pas cherché.
Il y a une époque où des chroniqueurs racistes étaient mis de l’avant dans des médias et aujourd’hui, on trouve ça débile. Un jour, on trouvera débile qu’on laissait des chroniqueuses ou des journalistes participer à la culture du viol. En espérant que ça ne soit pas dans trop longtemps.
Hélas pour elle, il n’y a rien de mal à ne pas présumer de sa parfaite honnêteté. Dire cela, ce n’est pas encourager la culture du viol, c’est simplement ne pas se contraindre à renoncer à son sens critique. Ce qui fait que tant de gens la croient, ce n’est pas du tout que nous ayons des raisons de la croire, mais que le viol est un crime si odieux que nous préférons d’emblée prendre le parti des victimes alléguées, ce que nous ne ferions pas si elles portaient plainte pour fraude par exemple.Si l’expression de notre sympathie n’avait pour corollaire un jugement sommaire à l’endroit de l’agresseur présumé, dont même un média sérieux comme Le Devoir s’est empressé de faire un portrait charge, il n’y aurait rien de malsain, tout au contraire, à réitérer la réprobation sociale à l’encontre de la culture du viol, mais celle-ci ne gagne pas une once de dignité morale à livrer les personnes aux aléas du tribunal de l’opinion. Et pour ce qui regarde les aspects plus strictement judiciaires, il n’y a pas de raison sérieuse de présumer que la plainte de madame Paquet aurait été accueillie avec moins de sérieux sans tout le battage médiatique des derniers jours.
Bin voyons, elle est bonne celle-là. Ne pas »renoncer à son sens-critique ». Le sens critique n’a absolument rien avoir là-dedans. Surtout quand il est question d’éplucher le passé, c’est clairement une question de manquer d’honnêteté intellectuelle.
Malheureusement, les allégations de viols sont très durs à prouver, et souvent les seules personnes à connaître la vérité sont la présumée victime et le présumé agresseur. Quelle informations y-a-t’il à analyser avec son sens critique? Je crois que oui, on a pas le choix d’être du côté de la présumé victime jusqu’à ce que le jugement soit donnée pour deux simples raisons. 1. mieux vaut ne pas trop bardasser la présumée victime si elle est réellement une victime, dans le cas contraire c’est pas mal moins grave. 2. il n’y a pas grand chose à gagner à dénoncer un faux viol. On a juste à regarder ce que beaucoup de femmes subissent lors des procès, et dans ce cas-ci tout le brouhaha autour du passé de la fille. Les chances sont très minces d’une fausse allégation. D’ailleurs beaucoup ne le dénoncent pas en premier lieu justement à cause de ça. Prendre pour acquis en partant que la présumée victime peut autant ne pas être victime quand ça se passe dans <<<<<50% des cas, j'oserais même dire que c'est manquer de sens critique, si je peux emprunter un terme.
L'affaire dans tout ça, c'est que beaucoup d'homme ont un sentiment d'appartenance beaucoup trop élevé envers le groupe des hommes et ont l'impression que quand on attaque quelqu'un dans un cas du genre où c'est une affaire homme-femme, on l'attaque personnellement. Beaucoup d'homme ont l'air de prendre ça personnel ou du moins mettent beaucoup d'énergie là-dedans alors que ça les touches pas. C'est peut-être un peu relié à leur peur folle de ne pas être viril et de se faire dépasser par les femmes. Ça peut paraître idiot ce que je dis, mais pensez-y, combien d'hommes ne se regardent pas le pénis en n'espérant pas qu'il soit plus gros ou n'ont pas peur que leur blonde n'ait pas assez de plaisir? C'est pas absurde du tout, pas grand gars va avouer publiquement qu'il croit être supérieur aux femmes, mais dans leur fort intérieur je suis persuadé qu'une bonne partie y croit! Beaucoup n'aiment pas quand elles ont raison et se sentent attaqués quand elles essaient d'avoir quelque chose d'aussi simple que l'équité salariale (ce qui est absurde que ça soit pas encore le cas) ou quand il est question de viol. Par contre, aussitôt qu'un crime touche les enfants, il n'y a jamais de doute, passé l'âge adulte, c'est différent! Honnêtement, c'est une pensée à laquelle j'adhère de plus en plus, rien de sensé peut expliquer pourquoi il y a une aussi grande rétiscence à simplement supporter les femmes dans leurs combats. Qu'est-ce qu'on a à perdre? C'est quoi qu'il y a de si difficile? Tout ça ce sont des réactions de peur. La peur de perdre la place.
Précisons qu’Alica Paquet n’a au départ accusé personne nommément.
Elle a témoigné d’une agression qu’elle a subit de la part d’un « député libéral ».
C’est l’enquête interne déclenchée par Couillard qui a pointé sur Sklavounos. Et rendu publque sa réputation sulfureuse de longue harceleur. Connue depuis longtemps à l’A-N et dont les rumeurs circulaient même dans son comté.
Est-il coupable de l’agression contre Alice Paquet reste à déterminer. Mais sa réputation de harceleur, elle, est bien ancrée (même des nouvelles venues au PLQ se faisaient dire: « Lui, c’est Sklavounos. T’en approches pas. »).
Cela dit, dire qu’on croit une victime d’une agression ne signifie pas qu’on crucifix le coupable. En fait, les agressions sexuelles commises par les femmes sont les seules où les victimes sont considérées menteuses jusqu’à preuve du contraire.
Quand quelqu’un se plaint d’avoir été fraudée, on la croit. Sans nécessairement condamner l’accusé. Personne ne croit, par défaut, qu’il n’y a pas eu fraude et que la victime n’a pas perdu de l’argent. Croire l’existence du crime ne signifie pas qu’on déclare que c’est l’accusé qui en est coupable; si vous voyez la nuance ?
Quand des dizaines de gens se sont plaints d’agressions sexuelles commises il y a 30 ans par des prêtres, personne n’a remis en doute la réalité de ces agressions. Même si celles-ci dataient d’il y a 30 ans et se seraient produites quand les plaignants étaient des enfants. Personne n’a publiquement parlé de « possibles inventions causées par l’imagination enfantine ».
Les agressions sexuelles contre les femmes sont le seul crime dont on doute la réalité tant que l’accusé n’est pas condamné. Et si jamais il est acquitté par manque de preuves (parce que c’est l’un des crimes les plus difficiles à prouver, surtout si la victime ne se précipite pas immédiatement à l’hôpital et à la police (et même encore)), la victime est considérée comme une menteuse pour le reste de sa vie.
Cela ne se produit jamais avec d’autres crimes. Même la fraude que vous citez en exemple.
C’est un peu cela la culture du viol. Et c’est insidieux, parce qu’on y cède sans s’en rendre compte. Même quand on est fondamentalement pour l’égalité hommes-femmes.
Bravo pour le courage journalistique de ta chronique et la rigueur de l’interview si éclairant avec Rachel Gagnon! J’ai rarement entendu décortiquer la culture du viol dans les medias et dans les tribunaux de façon aussi éclairante.
simplement merci, votre chronique offre l’espoir que nous évoluons.
dans ma jeunesse des années 80 personne ne pensait qu’il était possible de dénoncer un compagnon de classe. on accusait le coup dans le plus grand silence.
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Elle dit que les histoires sont maintenant rares. Une femme sur trois est victime d’agression sexuelle. Seulement 3 femmes sur dix déposent des plaintes en justice, parce le processus est lourd, parce qu’on ne les croit pas, parce qu’elle se font ramasser quand elles le font. Son «rare» est une impression ou si elle a des données quelque part pour parler de rareté. À partir de là, c’est sûr que c’est difficile de convenir que la société a des habitudes culturelles qui banalisent les agressions, qui banalise le fait que dans l’imaginaire populaire, la femme doit plaire à l’homme, lui faire plaisir, etc.