Je l’ai déjà brièvement raconté dans une chronique, en mai dernier, j’ai déjà été bénéficiaire de l’aide sociale. À deux reprises, même.
Des courts moments, quelques mois, mais assez pour comprendre c’est quoi, pour vrai.
Pourtant, j’en avais déjà une petite idée. J’ai connu et je connais encore des gens sur l’aide sociale. Des gens proches, même, par moment. Assez proche pour que ces personnes me partagent leur misère, pour que je leur paie à des moments une petite épicerie pour les aider, assez pour trouver ça dur, même en n’ayant pas les pieds dedans.
Croyez-moi, je n’avais quand même aucune idée de ce que c’était vraiment être bénéficiaire de l’aide social. On se dit que c’est peu, 623$ par mois pour vivre (à mon époque, c’était 540$, ou quelque chose comme ça). Sauf que même si des fois je prêtais de l’argent, même si des fois je les gâtais, la fois où ils se permettaient de sortir dans un bar ou de prendre une bière dans le mois effaçait toute cette image. S’ils peuvent se payer une bière une fois de temps en temps, ça ne doit pas être si pire!
En fait, c’est si pire que ça oui. C’est pas seulement être cassé en attendant l’autre paie. La prochaine rentrée d’argent n’est pas dans 3 jours ou, au maximum, dans une dizaine de jours, non, c’est parfois dans quatre semaines, plus de vingt jours. C’est long longtemps être continuellement cassé.
Faites-le test, voir. Seriez-vous capable de vivre avec 623$? Imaginez maintenant avec 399$.
Je n’avais aucune idée, même si mes proches me confiaient les difficultés qu’ils vivaient, du poids qu’on traine sur ses épaules lorsqu’on est sur l’aide sociale. Je n’avais aucune idée de la honte que l’on a quand on va chercher son chèque, en file, dans un bureau de fonctionnaire, ou lorsqu’on est dans la file le premier du mois à la banque (à ce propos, les dépôts directs sont une délivrance hallucinante), lorsqu’on doit prouver notre pauvreté à des fonctionnaires (parce qu’on doit la prouver, notre pauvreté), lorsqu’on se fait enquêter parce qu’un proche nous a prêté de l’argent pour souffler, lorsqu’on se fait accuser de fraude alors qu’on avait simplement mal rempli un des formulaires que l’on doit continuellement remplir, lorsqu’on doit prouver que nous sommes en colocation et non en couple.
Si vous trouvez que l’assurance-chômage c’est lourd, vous n’avez rien vu.
Durant ces quelques mois, j’étais sûrement apte au travail selon les critères de base. Je n’avais pas de problème physique. Mentalement, j’avais l’air de bien aller. Comme pour les burn-out, les dépressions, les roues qui coincent dans notre esprit, l’inaptitude au travail est parfois bien subtile, impalpable, invisible.
À ma deuxième occasion sur l’aide sociale, j’étais démoli. Je savais que je n’allais pas, mais c’est avec le recul que je me rends compte à quel point je devais me reconstruire. C’est pour ça que je ne trouvais pas d’emploi, que ça ne débouchait pas et que je me suis retrouvé sur l’aide sociale, j’étais vidé, perdu, démoli.
Après quelques mois, j’ai fini par aller cogner à la porte d’un programme qui, justement, aidait à se reconstruire. J’ai fait des séances de groupe, j’ai parlé de mes problèmes, j’ai fait des exercices qui me semblaient tellement niaiseux pour me rendre compte que, finalement, j’en avais des outils, j’en avais des forces.
Si, pendant mes deux ou trois premiers mois de cet épisode, on m’avait forcé à aller sur un programme (couper le tiers de peu comme pénalité, c’est une menace), ça aurait été pelleter par avant, ça aurait été des coups d’épée dans l’eau. Je n’étais pas prêt, même si selon toutes les apparences, je semblais apte au travail. Soit j’aurais embarqué dans le programme sans y croire, pour ne pas être encore plus dans la merde, soit j’aurais juste été encore plus dans la merde, étirant sûrement de quelques mois, voire quelques années, mon impression d’être une grosse larve bonne à rien.
Personnellement, je n’ai jamais connu quelqu’un être réellement content ou fier d’être sur l’aide sociale. Évidemment, certaines personnes font croire que c’est un choix, certaines personnes se disent plus heureuses d’être sur l’aide sociale que de travailler. Parfois, ça peut être vrai, parce que justement, sans qu’elle le sache, cette personne n’est pas prête à retourner sur le marché du travail, d’autres, parce que le travail les tue, ou leur contexte personnel fait que le travail les rend malades (quand tu ne peux que flipper des boulettes tout en restant pauvre, tu peux virer malade ou préférer être plus pauvre sans t’aliénation).
Dans bien des cas, ce que je vois quand une personne se « vante » d’être sur l’aide sociale, c’est cette image d’une personne qui déboule des marches et qui se relève en disant «Pff! Même pas mal!» alors qu’elle vient de se casser la cheville.
L’orgueil nous fait croire à bien des affaires, l’orgueil nous fait dire bien des affaires. Rares sont les personnes qui avouent leur mal de vivre, leur mal-être, leur souffrance devant des inconnus, devant des proches.
Quelqu’un qui accepte de vivre dans une telle pauvreté, dans un tel état de survie, a nécessairement quelque chose à régler avec elle-même, avec la société, avec tout et rien, mais cette personne a quelque chose qui coince quelque part. Et prétendre que ce quelque chose est valable ou non, bien ou mal, est profondément présomptueux, profondément égoïste, profondément ignorant.
D’ailleurs, plus de 80% des dénonciations envers le ministère de la Soliarité sociale mènent à de fausses alertes. Vos soupçons de crosse ont probablement presque autant de valeur qu’un chèque d’aide social, c’est-à-dire pas grand-chose.
Le monde manque d’empathie. Terriblement d’empathie.
La loi 70, ce n’est pas de la solidarité sociale, c’est de la discrimination.
merci
Voila cest dit!!Merci
Avant de partager sur les réseaux sociaux, je cherchais le meilleur bout à copier pour accompagner le partage, mais le texte au complet est parfait, juste, exact, tellement bien écrit pour décrire une réalité difficile à expliquer. Merci.
Ce témoignage correspond tellement bien à ceux des gens que j’ai connus et qui vivaient l’itinérance ou d’autres réalités qui les ont menés à l’aide sociale. Le privilégiés que nous sommes plusieurs d’entre nous nous empêchent de comprendre. Mais nous devons faire l’effort et surtout, nous ne devons pas juger avant d’avoir chaussé les sandales de l’autre…qui aurait pu être nous-même…
J’ai même pas été capable de lire jusqu’à la fin tellement c’est ça. Tellement c’est inhumain ce que les gens pensent des assistés sociaux. Ils pensent qu’ils ne font rien, qu’ils se pognent le beigne à longueur de journée, que tous les assistés sociaux ont des jobs au noir, vendent des drogues, profitent du système. … Plus ont est là-dessus (l’aide social), plus ont devient malade. Et ce n’est pas en forçant les gens sur l’aide social d’aller prendre des cours et aller travailler que ça va être la baguette magique ! Le gouvernement Couillard est un gouvernement de corrompus. Les gens sur l’aide social n’ont pas à en payer les frais ! Je ne suis même pas sur l’aide social moi. Et je suis de tout cœur avec eux ! XXXXXXXX
🙂
Merci pour votre éloquent témoignage, Monsieur Bergeron.
Ayant été moi-même bénéficiaire de l’aide sociale, je viens de publier un livre pour déconstruire les préjugés à l’endroit des personnes en situation de pauvreté.
« Heureux les pauvres? », chez Médiaspaul, préfacé par Françoise David.
Merci encore de participer à la dénonciation, nous ne sommes pas trop à la faire.
Est-ce que les clauses de travail forcés sont encore dans la loi qui a été passée?
C’est à dire, si ils te trouvent un boulot à moins de 2h de route ou 200 kilomètres t’es forcé de l’accepter, peu importe l’endroit, les heures de travail, temps partiel ou temps plein même si t’as pas de moyen de transport et que t’es parent monoparental avec une clause de garde partagée que tu dois respecter en restant à une certaine distance de l’autre parent et que le boulot est trop loin pour la respectée. Et si tu refuses ya des pénalités?
À l’origine c’était dans le projet de loi si j’me souviens bien.
Merci, vous décrivez parfaitement ce que l’on ressent, surtout quand on est déclarée invalide par des médecins spécialistes et que l’aide-sociale ne nous croit pas. Cela fait 12 ans que l’on m’a déclarée invalide et ce n’est que ce mois-ci(nov 2016) que j’ai reçu mon premier montant comme soutien financier après presque 2 ans de remplissage de formulaires médicaux à tous les 2-3 mois. En plus de repasser tous les tests pour prouver encore une fois mon invalidité. J’ai élevé mes trois enfants sur l’aide-sociale suite à ma séparation, je devais retourner au travail quand la dernière de mes enfants prendrait le chemin de l’école en 20004. Pour exercer à nouveau mon métier je devais passer des examens médicaux pour prouver que j’étais apte et saine d’esprit, et c’est là que le verdict est tombé…
Merci!
J’utiliserai quelques extraits de votre texte pour aborder le sujet dans mon cours d’éthique, avec mes élèves.
Couillard se prend pour Staline, à la différence qu’il assassine les pauvres petit à petit, un sociopathe de la plus grande espèce. Il faut lui enlever le pouvoir au plus vite avant qu’il ne soit trop tard.
Bonjour Mickaël,
Merci pour cette lettre pleine de vérité et de gros bon sens. Je suis en train de rédiger une lettre avec des collègues afin de dénoncer cette aberration sociale qui a été légiférée le 10 novembre dernier. Je n’arrive cependant pas à trouver la loi 70 dans son intégrité, les conditions d’exemptions à la loi et les « règlements » du projet « Objectif Emploi » que le gouvernement vante.
SVP est-ce que quelqu’un peut m’aider à trouver ces informations précises… car ça presse. La loi sera effective dès le 24 novembre…. Merci!
Pour ce que j’ai vécu étant enfant (1990) le BIEN ÊTRE SOCIAL a refusé d’épauler une mère et deux enfants(mon frère âgé de 1ans et moi 10ans)Car son nom était sur maison que nous avions quitté pour vivre mieux(sans violences physiques et physiologiques) Alors, elle ses retroussé les manches. Elle a travaillé pour nous faire vivre. Même si cela devait dire être sur appel faire un 8 heures de soir 15:30h à 23:30h pour ensuite recommencer à 7h à 15:30h. Quand on me dit que l’aide social est supposé aider les gens à ce relever je ne suis pas d’accord. Pour moi, si cette loi 70 en aide à ce lever les manches pourquoi! Et a ne pas rester sur cela des années. Mais faut aussi faire payer plus d’impôts aux riches. Pour balancer ce monde de fou!
Merci à l’auteur de son touchant témoignage! Il s’agit d’une réalité dure à expliquer, il a tout à fait raison là-dessus. Se sentir inférieur, minable, inutile, j’ai connu cette période creuse. Sans oublier les idées noires, voire suicidaires, devoir consulter afin de garder la tête haute, je suis passé par là, également! D’ailleurs, j’ai subi de l’intimidation suite à mon problème de sous-poids dès ma naissance, est-ce que je l’avais choisi? Non, loin de là! Pour ajouter à l’insulte, je ne paraîs point mon âge, ce qui n’aide en rien à me sentir mieux. S’accepter est facile en paroles,il en est autrement en pratique.Tout ce que l’on vit au niveau personnel, familial, social, etc. a un impact direct sur nos états d’âme, ne l’oublions pas! Je conclus en te remerciant encore, Mickaël, d’avoir pris le temps, et surtout, d’avoir eu le courage de nous exprimer ton parcours. En passant, je suis heureux pour toi d’avoir réussi à t’en sortir, je te félicite.
Vraiment un très beau témoignage! Il illustre de façon très juste le quotidien de ces personnes. Pour l’avoir vécu et maintenant pour défendre les droits des personnes assistées sociales.. C’est une vie difficile! Et oui la société n’a pas d’empathie et c’est tellement dommage…
Ce qui est le plus hallucinant, c’est que la politique de « punir » les prestataires qui refusent des programmes de « formation » ou de « recherche d’emplois » est régulièrement appliquée avec plus de vigueur depuis des décennies (les anciennes mesures ne disparaissent pas, les punitions s’ajoutant aux précédentes).
Pourtant, chaque fois, après quelques années, un gouvernement joue du populisme et décide d’en ajouter une couche.
Si ces mesures fonctionnaient (au lieu de simplement aliéner un peu plus les prestataires), ça se saurait.
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » (Albert Einstein)
P.S. Une donnée statistique « stupéfiante » montre une corrélation extrêmement forte entre le taux de chômage et le nombre de prestataires d’aide-social: Plus il y a de l’emploi, moins il y a de prestataires; moins il y a de l’emploi, plus il y a de chômeurs et de prestataires.
Scientifiquement, cela indique quelque chose.