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Loi 70: témoignage d’un ancien bénéficiaire d’aide sociale

Je l’ai déjà brièvement raconté dans une chronique, en mai dernier, j’ai déjà été bénéficiaire de l’aide sociale. À deux reprises, même.

Des courts moments, quelques mois, mais assez pour comprendre c’est quoi, pour vrai.

Pourtant, j’en avais déjà une petite idée. J’ai connu et je connais encore des gens sur l’aide sociale. Des gens proches, même, par moment. Assez proche pour que ces personnes me partagent leur misère, pour que je leur paie à des moments une petite épicerie pour les aider, assez pour trouver ça dur, même en n’ayant pas les pieds dedans.

Croyez-moi, je n’avais quand même aucune idée de ce que c’était vraiment être bénéficiaire de l’aide social. On se dit que c’est peu, 623$ par mois pour vivre (à mon époque, c’était 540$, ou quelque chose comme ça). Sauf que même si des fois je prêtais de l’argent, même si des fois je les gâtais, la fois où ils se permettaient de sortir dans un bar ou de prendre une bière dans le mois effaçait toute cette image. S’ils peuvent se payer une bière une fois de temps en temps, ça ne doit pas être si pire!

En fait, c’est si pire que ça oui. C’est pas seulement être cassé en attendant l’autre paie. La prochaine rentrée d’argent n’est pas dans 3 jours ou, au maximum, dans une dizaine de jours, non, c’est parfois dans quatre semaines, plus de vingt jours. C’est long longtemps être continuellement cassé.

Faites-le test, voir. Seriez-vous capable de vivre avec 623$? Imaginez maintenant avec 399$.

Je n’avais aucune idée, même si mes proches me confiaient les difficultés qu’ils vivaient, du poids qu’on traine sur ses épaules lorsqu’on est sur l’aide sociale. Je n’avais aucune idée de la honte que l’on a quand on va chercher son chèque, en file, dans un bureau de fonctionnaire, ou lorsqu’on est dans la file le premier du mois à la banque (à ce propos, les dépôts directs sont une délivrance hallucinante), lorsqu’on doit prouver notre pauvreté à des fonctionnaires (parce qu’on doit la prouver, notre pauvreté), lorsqu’on se fait enquêter parce qu’un proche nous a prêté de l’argent pour souffler, lorsqu’on se fait accuser de fraude alors qu’on avait simplement mal rempli un des formulaires que l’on doit continuellement remplir, lorsqu’on doit prouver que nous sommes en colocation et non en couple.

Si vous trouvez que l’assurance-chômage c’est lourd, vous n’avez rien vu.

Durant ces quelques mois, j’étais sûrement apte au travail selon les critères de base. Je n’avais pas de problème physique. Mentalement, j’avais l’air de bien aller. Comme pour les burn-out, les dépressions, les roues qui coincent dans notre esprit, l’inaptitude au travail est parfois bien subtile, impalpable, invisible.

À ma deuxième occasion sur l’aide sociale, j’étais démoli. Je savais que je n’allais pas, mais c’est avec le recul que je me rends compte à quel point je devais me reconstruire. C’est pour ça que je ne trouvais pas d’emploi, que ça ne débouchait pas et que je me suis retrouvé sur l’aide sociale, j’étais vidé, perdu, démoli.

Après quelques mois, j’ai fini par aller cogner à la porte d’un programme qui, justement, aidait à se reconstruire. J’ai fait des séances de groupe, j’ai parlé de mes problèmes, j’ai fait des exercices qui me semblaient tellement niaiseux pour me rendre compte que, finalement, j’en avais des outils, j’en avais des forces.

Si, pendant mes deux ou trois premiers mois de cet épisode, on m’avait forcé à aller sur un programme (couper le tiers de peu comme pénalité, c’est une menace), ça aurait été pelleter par avant, ça aurait été des coups d’épée dans l’eau. Je n’étais pas prêt, même si selon toutes les apparences, je semblais apte au travail. Soit j’aurais embarqué dans le programme sans y croire, pour ne pas être encore plus dans la merde, soit j’aurais juste été encore plus dans la merde, étirant sûrement de quelques mois, voire quelques années, mon impression d’être une grosse larve bonne à rien.

Personnellement, je n’ai jamais connu quelqu’un être réellement content ou fier d’être sur l’aide sociale. Évidemment, certaines personnes font croire que c’est un choix, certaines personnes se disent plus heureuses d’être sur l’aide sociale que de travailler. Parfois, ça peut être vrai, parce que justement, sans qu’elle le sache, cette personne n’est pas prête à retourner sur le marché du travail, d’autres, parce que le travail les tue, ou leur contexte personnel fait que le travail les rend malades (quand tu ne peux que flipper des boulettes tout en restant pauvre, tu peux virer malade ou préférer être plus pauvre sans t’aliénation).

Dans bien des cas, ce que je vois quand une personne se « vante » d’être sur l’aide sociale, c’est cette image d’une personne qui déboule des marches et qui se relève en disant «Pff! Même pas mal!» alors qu’elle vient de se casser la cheville.

L’orgueil nous fait croire à bien des affaires, l’orgueil nous fait dire bien des affaires. Rares sont les personnes qui avouent leur mal de vivre, leur mal-être, leur souffrance devant des inconnus, devant des proches.

Quelqu’un qui accepte de vivre dans une telle pauvreté, dans un tel état de survie, a nécessairement quelque chose à régler avec elle-même, avec la société, avec tout et rien, mais cette personne a quelque chose qui coince quelque part. Et prétendre que ce quelque chose est valable ou non, bien ou mal, est profondément présomptueux, profondément égoïste, profondément ignorant.

D’ailleurs, plus de 80% des dénonciations envers le ministère de la Soliarité sociale mènent à de fausses alertes. Vos soupçons de crosse ont probablement presque autant de valeur qu’un chèque d’aide social, c’est-à-dire pas grand-chose.

Le monde manque d’empathie. Terriblement d’empathie.

La loi 70, ce n’est pas de la solidarité sociale, c’est de la discrimination.