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De l’importance de résister

La grande question des 11es Assises internationales du journalisme de Tours auxquelles j’ai assisté était sur le journalisme utile. La question semblait rhétorique tellement la réponse est évidente : oui, les médias sont nécessaires.

Qu’un congrès de journalistes se pose néanmoins la question sur son utilité en dit long sur l’endroit où ont mené les pressions économiques. La question n’est pas si les médias peuvent être utiles, mais comment est née cette perception de notre inutilité?

Je l’ai déjà dit (ici ou ici), mais la perte de confiance du public envers les médias est en partie la faute des médias eux-mêmes. Les médias appartiennent de plus en plus à des conglomérats pour qui l’information n’est qu’un volet parmi plusieurs autres, qu’une branche de plus dans leur organigramme qui peut aller de la téléphonie cellulaire à une équipe de hockey.

Ces médias ne doivent pas seulement être rentables, mais doivent aussi être profitables pour les actionnaires. Les actionnaires, habituellement, se fichent un peu de la mission de l’information. La plupart ne savent pas qu’ils sont actionnaires de tel média, d’ailleurs. La notion du service public, du quatrième pouvoir, est toujours là, mais la performance a aussi pris de plus en plus de place. La nouvelle ne doit pas juste être pertinente, elle doit vendre (ou faire du clic). Ou l’inverse?

Cette mentalité que l’information doit être performante est si forte qu’elle s’est même transposée au diffuseur public, Radio-Canada. Un média dont le mandat n’est pas de faire des revenus, mais qui se met quand même cette énorme pression.

En tant que société, on devrait avoir un média public fort qui se démarque des médias privés (tout en étant accessible). C’est pour ça aussi qu’il faut des médias indépendants, parce que l’économie de l’information a invisibilisé de nombreux enjeux et groupes sociaux.

Ne pensez pas que j’imagine un complot. L’influence est plus subtile. Combien de fois un rédacteur en chef ou un chef de nouvelles refuse une nouvelle parce que ça n’intéresse pas les gens? Le hic, c’est que l’information ne parle pas toujours de trucs qui intéressent les gens, même si elle est importante et pertinente.

Je prends pour exemple Melting Book en France, un média né pour désinvibiliser des personnes et des enjeux absents des médias. Son créneau : «Enrichir le débat». La fondatrice, Nadia Henni-Moulaï, disait pendant un panel : «On est un média engagé, mais pas militant. On est service des faits. On ne dit pas quoi penser. On donne de quoi faire réfléchir.»

Ses propos expliquent très bien ma position dans les médias et la vision que j’ai donnée à Québec, réveille!, la quotidienne matinale que j’anime et réalise sur les ondes de CKIA FM, à Québec.

Il faut une forme de contrepoids médiatique. Je n’ai rien contre les magazines people, contre les radios de droite de Québec, contre Buzzfeed ou le Sac de chips. C’est normal que ces offres existent. Là où il y a un problème, selon moi, est dans le déséquilibre, quand les médias se copient et veulent tous suivre la route du succès de l’autre. Quand tout le monde fait comme tout le monde.

À quoi servent le journalisme, l’information et les médias? À faire un maximum de profits? À rendre accessible Coca-Cola à un public? Un diffuseur, peut-être, l’information, j’en doute.

On rappelle parfois, avec justesse, que le produit de Facebook, c’est nous, les utilisateur.rice.s. Mais le média social n’a rien inventé. Nous étions déjà le produit de certains médias. Et ça, ça biaise le rôle du quatrième pouvoir.

C’est pour ça qu’il faut une résistance médiatique, ou une résistance radiophonique, comme nous disons à CKIA FM. Pas pour militer, mais pour rééquilibrer le poids médiatique.

Un journalisme utile ne se fait pas complice du racisme, il le dénonce. Un journalisme utile n’encourage pas le sexisme, il le pointe du doigt. Le journalisme devrait dénoncer les discriminations que vivent les plus pauvres, les personnes handicapées, les communautés LGBTQ+ ou les Autochtones. Un journalisme devrait minimalement expliquer les enjeux sociaux autant qu’il couvre des faits divers.

Lorsque je regarde des initiatives comme Rad, je me dis que ce n’est pas tant une question de générations, en fait, mais revenir à l’essence de l’information.

Lorsque Rad explique le troisième genre, ce n’est pas du militantisme queer, c’est un journalisme nécessaire. Lorsque Brut explique le [youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=_qTo3N-Q_KU »]manspreading[/youtube], ce n’est pas du militantisme féministe, c’est un journalisme utile. Lorsque Radio-Canada traite des Paradises Papers, ce n’est pas du militantisme anti-capitaliste, c’est de mettre le doigt sur un énorme bobo.

Peut-on en dire autant de tous les reportages sur le Canadien? Sur la maison à vendre de telle vedette? Sur l’inauguration d’un magasin?

Comprenons-nous bien, je ne dis pas qu’il ne faut jamais parler du Canadien ni jamais faire de potins, mais doit-on le faire à ce point-là?!

Sauf que faire la résistance radiophonique ne se fait pas gratuitement. Si CKIA FM ne vit pas une crise comme CIBL en ce moment, elle était dans cette situation il y a quelques années et la santé financière demeure un combat de tous les jours.

Alors que les publicités migrent de plus en plus vers les géants du web et de moins en moins vers les médias, que les rares subventions qui existent sont aux projets et non à la mission, continuer une émission comme Québec, réveille!, propose un contenu différent et nécessaire doit de plus en plus se tourner vers son public, comme bien d’autres médias.

Une radio publique, qui diffuse sur les ondes hertziennes, peut difficilement proposer un abonnement comme certains médias web ou écrits. Il doit plutôt trouver de précieux partenaires qui croient en sa mission et en l’importance d’une diversité médiatique, mais aussi il doit aussi compter sur un public qui le soutient.

Bref, CKIA FM est en campagne de financement. Oui, je prêche pour ma paroisse, mais ce qu’elle fait à Québec est trop important pour ne pas profiter de cette tribune.