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Oui, le monde est malheureux

Oui, le monde est malheureux, comme l’a suggéré Patrick Lagacé il y a trois semaines.

Du moins, je me demande vraiment comment on peut être heureux quand je songe à toutes ces personnes qui se tapent le trafic tous les jours. C’est un lieu tellement suffocant, aliénant, victimisant. Il y a deux ans, je posais cette question dans une chronique: «Comment une personne peut-elle garder sa santé mentale tout en affrontant, tous les jours, deux fois par jour, même, ce damné trafic?» Je me le demande encore.

Et pourquoi? Pour avoir un plus grand terrain en banlieue? Pour payer sa maison moins cher? Est-ce que ça vaut ce prix? Ça vaut le coup? Non seulement le trafic est frustrant en soi, mais en plus, il crée d’autres frustrations, parce qu’il stimule le stress, parce qu’il gobe de l’argent, parce qu’il vole du temps de qualité – en plus d’être littéralement une perte de temps.

Je comprends tellement qu’on puisse être écoeuré du trafic que je fais tout pour l’éviter. Sauf que le troisième lien n’est pas la solution à ce problème. À quel point sommes-nous désespérés pour penser qu’un simple pont va tout régler?!

Je pense que le monde est malheureux aussi au boulot. Parce qu’il y a trop d’emplois qui ont été conçus sans se soucier de la santé mentale des travailleurs et des travailleuses. Parce que trop de directions mettent une pression énorme sur le dos des salarié.e.s afin d’avoir une rentabilité «satisfaisante». Comme le dit Jean-François Nadeau, c’est violent comme déshumanisation. Plusieurs milieux baignent dans une #CultureDuBurnOut. On presse le citron et quand tout le jus est sorti et que la personne n’a pu rien à donner, on la change.

Quand même «drôle» que les endroits avec les meilleures rétentions aient souvent de bonnes conditions – et du respect.

Trop souvent j’entends des gens parler de leur emploi comme si c’était une punition ou un calvaire obligatoire. Des employé.e.s d’une mine sur la Côte-Nord parlaient même de leurs travail de la même manière qu’un prisonnier. «Y me reste huit ans à faire». Huit ans de prison? Non, huit ans avant la retraite. «Shit, t’es sûr que tu vas toffer?» que je me disais.

Tu as beau être bien payé, avoir de bons avantages sociaux, si tu passes trente-cinq ou quarante heures par semaine à te dire que tu t’emmerdes, que tu te fais chier, que tu n’as pas envie d’être là, j’ai de la misère à croire que tu puisses être heureux, même si tu te paies un voyage chaque année et un beau ski doo. Imaginez ceux et celles qui se disent ça… mais avec le salaire minimum, des conditions minimales. Tout d’un coup, il y a moins de soleil dans vie.

Si le bonheur était si présent dans le travail, pourquoi les slogans comme «Liberté 55» ou «Bye bye boss!» sont-ils aussi populaires? Pourquoi autant de jalousie envers ceux et celles qui ne travaillent pas?

Autant au fédéral qu’au Québec, la lutte à la pauvreté ne se fait pas tant sur la dignité et l’égalité que sur la «permission» à ces gens de faire partie de la classe moyenne afin de pouvoir participer à l’économie. Comme si le problème n’était pas leur misère, mais le fait de ne pas participer plus que ça à l’économie.

Je crois que le monde est malheureux, parce qu’on ne parle pas tant de bien-être. Assez troublant que ce soit une campagne publicitaire qui parle le plus de santé mentale, et non le système de santé.

Ce n’est pas l’article dans la section «Vivre» sur l’importance de prendre soin de soi qui fait qu’on en parle. Ni une campagne publicitaire d’un savon.

Ce n’est pas la séance de yoga hebdomadaire qui va te rendre heureux ou heureuse, ni les faux superaliments. Pas que des bleuets ou le yoga ne peuvent pas faire de bien, au contraire, mais ça ne change pas le système, en plus de ne pas être accessibles pour tout le monde. On fait quoi avec ces personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir ce bien-être?!

Qui a parlé de bonheur, de bien-être, de goût de vivre, de joie de vivre, de dignité, durant la campagne électorale? Partout, on parle de rendement, d’efficacité, de rentabilité, de performance.

L’amour et la douceur, ça ne se compte pas. Le respect, ça ne se mesure pas. La dignité, ça n’a pas de prix. Si un film nous présentait un personnage trouvant le bonheur là-dedans, on ne le croirait pas. Alors pourquoi persister?

Nos écoles sont des lieux de savoir ou forment des travailleurs et des travailleuses? On éduque la jeunesse comme s’il fallait tous et toutes devenir des Michael Phelps. Sauf que la vie n’est pas une compétition olympique. Le bonheur, le bien-être, la paix, ça n’a rien à voir avec la performance. Gagner des médailles, est-ce que ça contribue vraiment à la société?

J’ai bien peur que la majorité des gens soit malheureuse. Parce que les pactes sociaux ne tiennent pas. Parce qu’on dénature l’essence même de «vivre en société». Parce que les gens ont l’impression de se faire dire n’importe quoi – avec raison.

On leur dit que travailler honnêtement va leur permettre de s’enrichir. Ce n’est pas vrai – le salaire minimum maintient en situation de pauvreté. On leur dit que réussir sa vie c’est de posséder des biens. Ce n’est pas vrai – posséder est encombrant. On leur dit que la baisse d’impôts va les rendre plus libres. Ce n’est pas vrai – ça fait plusieurs gouvernements qui baissent les impôts et personne ne se sent plus libre pour autant.

Comment peut-on voir du monde heureux dans les commentaires haineux ou violents sous les articles?! Comment peut-on croire que les gens sont heureux quand des mouvements discriminatoires prennent de l’ampleur? Comment peut-on croire que l’aboutissement de milliers d’années d’évolution de la vie soit d’aller s’enfermer dans magasin bleu et jaune?

Les gens sont frustrés, irrités et blessés et souvent avec raison. Vivre en société devrait nous rendre plus forts, rendre nos vies plus faciles. Vivre en société devrait permettre à tout le monde de s’émanciper. Au lieu de ça, on crée une sorte de course sociale aux parcours particulièrement inéquitables.

Non seulement les politiques des dernières décennies mettent une pression énorme sur les gens, on ose ajouter que c’est de leur faute s’ils craquent ou n’arrivent pas à surmonter les obstacles qui sont de plus en plus gros!

Ça fait depuis Reagan, Thatcher et Mulroney qu’on libère les marchés, qu’on diminue les services publics, qu’on baisse les impôts. Ça fait 40 ans que la politique dit qu’elle va améliorer nos vies avec la même recette! Peut-être que la recette ne marche pas.

Le pire dans tout ça, si on critique le système en place, le modèle politique en place, si on remet en question le néolibéralisme, on se fait traiter de radical, d’utopiste, de communiste, d’inculte, de gaugauche.

«Qu’on le veuille ou non, on vit dans un système capitaliste» a dit le nouveau premier ministre pendant un débat. Je cherche encore quand l’impossibilité de remettre ça en question avait été décrétée.