Déjà, parler de sexe, c’est généralement gênant, encore. Le tabou est énorme.
Chaque fois que j’aborde le sujet, je me demande si je le fais au bon endroit, si j’ai la crédibilité pour le faire, si je vais gêner des gens et plein de questions absurdes. Pourtant, la sexualité ne devrait pas être un sujet aussi… spécial et sensible.
Juste parler de la base est encore difficile. Suffit de jeter un coup d’oeil rapide sur l’excellent livre de Myriam Daguzan Bernier qui vient de sortir, Tout nu!, pour se rendre compte à quel point on ne fait pas d’éducation sexuelle.
Je n’ai pas terminé ma lecture, mais il apparaît déjà évident que le contenu de son livre devrait faire partie de la connaissance de base, de la culture populaire, comme on nous apprend comment bien manger, comment faire des sports, comment utiliser un ordinateur, comment calculer des probabilités, comment fonctionnent nos atomes… Mais la sexualité, pas vraiment. Si peu.
C’est très biologique, très mécanique, ce qu’on nous montre. Et encore, combien de personnes savent la différence entre la vulve et le vagin? (et cette méconnaissance a un impact majeur sur nos relations sociales)
Plus un sujet est gênant ou tabou, plus les normes sociales sont figées, lourdes, écrasantes.
Pourquoi la majorité des questions aux sexologues comportent les mots «est-ce normal de…», trahissant une profonde méconnaissance généralisée? Difficile de ne pas rougir en utilisant le mot jouir. Difficile de discuter quand le mot pénis crée toujours un petit silence. Les malaises créées avec les questionnements autour de la sexualité permettent peu de réflexions et de remises en question.
Une question que je pose depuis quelques années : pourquoi la relation sexuelle devrait s’arrêter lors de l’éjaculation masculine? Je n’ai jamais compris. Surtout, pourquoi la pénétration devrait être l’incontournable, voire l’objectif? Pourquoi tout le reste n’est jamais considéré comme de «vrais» actes sexuels? Préliminaires, mon œil, ça peut être autant voire encore plus jouissif et satisfaisant que la «sérieuse» pénétration.
Presque tous les coups, je me retrouve tout seul dans mon coin, à remettre en question l’incontournabilité de la pénétration.
Puis je suis tombé sur ce livre : «Au-delà de la pénétration», publié aux éditions Monstrograph, en France. L’auteur, Martin Page, a creusé la question, à mon grand plaisir.
Il n’a pas écrit ce livre parce qu’il n’aime pas la pénétration. Il le dit dès son introduction, il prend son pied avec celle-ci. Simplement, il s’est rendu compte que ce n’est pas tout le monde qui y prend autant de fun, surtout chez les femmes. Et qu’il y a d’autres manières d’avoir du plaisir.
Je le cite : «Seule une minorité de femmes (30 %) a régulièrement un orgasme par pénétration vaginale exclusive.» Il ajoute plus loin que les femmes lesbiennes ont souvent une vie sexuelle plus épanouie que les femmes hétérosexuelles – un «fait» qui devrait susciter plusieurs questionnements, selon lui, chez les hommes hétérosexuels.
Je ne sais pas si c’est un fait, il n’y a pas de référence dans le livre qui accompagne le passage, mais aucun doute que plusieurs types de relations n’ont pas nécessairement de pénétrations et ont tout de même une vie sexuelle active, épanouie, plaisante. Des exemples de sexualité sans pénétration, ça se trouve facilement. Comme il existe aussi des pénétrations sans pénis, dont l’objectif n’est pas l’éjaculation masculine. Il y a assez d’exemples pour remettre en question bien des concepts.
Néanmoins, de récentes études proposent aussi ces chiffres: «seulement 65 % des femmes atteignent toujours l’orgasme lors d’une relation sexuelle contre 95 % des hommes», ou encore «37 % des femmes américaines ont besoin d’une stimulation clitoridienne pour atteindre l’orgasme, alors que, pour 18 % des femmes, une pénétration vaginale suffit». Peu importe l’orientation sexuelle, il y a des questions à se poser.
L’auteur de «Au-delà de la pénétration» se demande : pourquoi sommes-nous capables d’être critiques et de remettre en questions des normes sociales présentes en économie, dans l’alimentation, dans les relations socioculturelles, mais pas celles présentes dans la sexualité? Selon lui, ces normes sont simplement tellement énormes qu’on ne les voit pas. Elles prennent tellement de place qu’on n’en voit pas les contours.
Un peu comme lorsque notre premier ministre François Legault dit que «c’est comme ça qu’on vit au Québec». C’est un gros bloc qu’on est censé prendre sans se demander ce que ça signifie et d’où ça sort.
L’auteur souligne, avec raison, que plusieurs discriminations défendues par des gens devenaient acceptables au lit, reproduites dans la sexualité, comme le racisme, l’âgisme, la grossophobie, le classisme ou le capacitisme. On fait comme si tout le monde avait la même sexualité, une sexualité universelle qui transcende les personnalités. On se déchire sur l’environnement, sur l’éducation, sur les systèmes bancaires, sur la religion, mais tout le monde ferait l’amour de la même manière. C’est un peu naïf.
La norme sociale entourant le sexe élimine bien des partenaires et plusieurs pratiques, bien avant que les goûts n’interagissent. En fait, cette norme coupe plusieurs explorations, si bien qu’il peut être difficile de savoir quelle est la réelle place de nos préférences dans nos pratiques sexuelles.
La question n’est pas de tout aimer, mais de simplement avoir la discussion, d’ouvrir les possibilités. Si les hommes semblent avoir le «droit» de ne pas vouloir être pénétrés, pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas avoir le même «droit»?
Imaginez un instant que vous ne pouviez pas pénétrer (ou être pénétré.e), tout d’un coup, pendant un mois ou pour le reste de votre vie. Loi spéciale, accident, maladie, nouvelle norme sociale, l’âge, peu importe. Est-ce que votre vie sexuelle s’arrêterait tout d’un coup?
Plusieurs personnes, pour différentes raisons, ne peuvent pas ou ont un profond inconfort avec la pénétration. Et malheureusement, en raison des normes sociales, plusieurs de ces personnes n’ont pas de vie sexuelle ou n’ont aucun plaisir dans leur vie sexuelle – ou pire, souffrent pendant leurs rapports sexuels.
Ce qui est plutôt triste, assez moche. Et même ostracisant.
Cette note de l’auteur en dit long : «J’ai demandé à une chercheuse en «porn studie» s’il y avait des films X sans pénétration. Elle n’avait pas d’exemples à me citer. Je trouve ça fou.» C’est vrai que c’est rare dans la porno. Pourtant, il y a des catégories pour un tas de fantasmes et de fétichismes, mais pas «sans pénétration».
Pour en revenir aux normes sociales, l’idée n’est pas de blâmer les personnes qui aiment la pénétration, qu’elle soit vaginale ou anale, de ne plus la faire, mais de permettre aux gens qui préfèrent autre chose de pouvoir en parler sans gêne, sans mépris, sans jugement, pour avoir, elles aussi, une vie sexuelle épanouie, belle, torride ou douce selon nos préférences.
Pensons-y : la majorité de nos rapports sexuels ne sont pas faits avec l’objectif de se reproduire, mais avec l’idée d’avoir du fun, d’aimer l’autre. Pourquoi se limite-t-on autant à l’acte reproductif, alors? Pourquoi se coupe-t-on d’autant de possibilités de plaisir? De tendresse?
Selon moi, le sexe devrait davantage être une question de rencontre, peut-être celle qui demande le plus d’écoute.
Il faut aussi ajouter que cette priorisation et sacralisation de la pénétration influence non seulement nos rapports sexuels, mais aussi nos rapports sociaux.
Comme j’ai écrit dans une chronique précédente, croire que la sexualité tourne autour du pénis comme la Terre tourne autour du Soleil, ça participe à la mise en place de la culture du viol et ça déforme complètement les rôles entre les hommes et les femmes.
Le sexe n’est pas qu’une question d’hormones ou d’instinct, c’est aussi une construction sociale. Plus encore, difficile d’avoir une vie saine sans une sexualité saine, c’est-à-dire une sexualité dans laquelle on se sent bien. Et ça, ça signifie peut-être sans pénétration, même s’il y a un pénis dans l’équation.
Que voilà une chronique instructive! Il aura fallu que j’attende mon âge avancé pour lire M. Bergeron pour apprendre que la pénétration ne faisait pas le tour de la question. Diantre! Moi qui pénétrais à tous vents, avec une aveugle obstination et en en attendant miracles, je n’avais aucune idée que quelques caresses bien administrées pourraient être de nature à favoriser l’orgasme – dont je n’avais nulle préoccupation – chez mes partenaires! Heureusement, M. Bergeron vint et je vais à l’instant appliquer ses préceptes sur la jeune, superbe et sensuelle épouse dont le ciel m’a gratifié.
J’avais bien, cependant, fait quelques observations de mon cru sans toutefois en mesurer toute la signification avant que M. Bergeron ne les illumine:
– Que la pénétration semblait plus efficace si administrée à des rythmes variés, lents et profonds ou accélérés mais plus superficiels, par exemple.
– Qu’elle semblait mieux appréciée si alternée, en cours de route, avec des cunnilingus répétés.
– Qu’une grande majorité des femmes avait une position préférée, qu’il fallait certes varier mais en y revenant toujours.
– Que la neutralité de la taille est une légende entretenue par quelques donzelles hypocrites qui ne veulent pas heurter l’ego de leurs compagnons. La taille est une grande affaire. En témoigne l’enthousiasme manifesté -a priori – par les beautés asiatiques asiatiques par moi fréquentées, pour les avantages, réputés plus proéminents, des mâles occidentaux. Machiste bien sûr, mais un fait de vie (ou de vit j’hésite…)
– Qu’il ne faut pas négliger le pouvoir des mots pendant les rapports.
– Qu’on peut parfaitement faire l’amour sans amour mais que la satisfaction profonde qu’on en ressent, surtout après, n’est pas comparable à ce qu’il en est quand les sentiments sont là.
De manière plus polémique, mais totalement sincère j’ai aussi remarqué que les pénétrations anales, que je tendais (!) je le confesse (!!) à dispenser à l’excès à mes victimes consentantes du moment, résultaient, presque invariablement, en des orgasmes plus imprévisibles mais aussi plus puissants et profonds. Qu’elles fussent néophytes ou plus rompues à l’exercice. Un fait incontestable, même si surprenant.
Mais M. Bergeron survint et pour moi, toutes ces considérations éparses, et tant d’autres, trouvent soudain leur articulation…
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« Que la neutralité de la taille est une légende entretenue par quelques donzelles hypocrites qui ne veulent pas heurter l’ego de leurs compagnons. La taille est une grande affaire. En témoigne l’enthousiasme manifesté -a priori – par les beautés asiatiques asiatiques par moi fréquentées, pour les avantages, réputés plus proéminents, des mâles occidentaux. Machiste bien sûr, mais un fait de vie (ou de vit j’hésite…) »
LOL ok dude. En effet, ton expérience personnelle invalide totalement celles de 1. toutes les femmes qui préfèrent les petits pénis; 2. toutes les femmes asiatiques (belle petite fétichisation de marde en passant) qui se sacrent des pénis occidentaux; 3. tous les hommes qui ont une vie sexuelle épanouie malgré leur pénis « moins proéminents ».
Calvaire. Qu’est-ce qu’il faut pas entendre dans un discours ampoulé et suffisant… BTW, de la part de toutes les femmes, asiatiques et non asiatiques, personne ne t’a donner le droit de parler en notre nom. Oh et puis, non, c’est pas une question de machisme, c’est une question de racisme *eyeroll*.
Pis encore là, je ne parle pas d’un tas de clichés niaiseux et absolument pas généralisés que tu ériges comme des vérités absolues du haut de ton « expérience » de don juan. Genre, newsflash : ya des femmes (plus qu’on le croit) qui détestent les cunnis, ya des femmes qui détestent se faire parler pendant l’acte, ya des femmes qui détestent le sexe anal, et même, ya des femmes qui aiment le sexe anal, mais oh surprise! cela ne résulte pas « en des orgasmes plus imprévisibles mais aussi plus puissants et profonds »… Ya absolument rien « d’incontestable » là-dedans.
Perso, je me méfie toujours des hommes qui te sortent un florilège de « constats » sexuels comme ça. C’est souvent des dudes qui sont vraiment pas à l’écoute et qui sont convaincus qu’ils ont tout compris du plaisir féminin, alors que c’est tout le contraire. Pis ça finit souvent en anxiété de performance au lit pour à-côté leur verbiage, parce que tsé, ils ont mis la barre ben trop haute pour eux-mêmes en partant, fak watch out l’absence de fun toé chose.
Bref, tout ça pour dire que à la place de faire son prétentieux devant un texte qui veut juste apporter un ptit bémol à l’impératif de la pénétration, ya aussi l’option de se taire, genre. Parce que, franchement, on s’en fout de tes « prouesses » sexuelles pis de ton phallus occidental, Claude.
Ce verbiage n’a qu’un effet sur moi : turn-off absolu.
Merci, Mickaël, pour cette chronique très intéressante (toujours agréable de lire à propos de quelque chose d’aussi captivant que le plaisir sexuel).
D’accord avec vous je suis (parler comme Yoda, j’aime) pour dénoncer le trop grand tabou qui entoure ce sujet.
Je vous suis reconnaissante de tous les liens littéraires, télévisuel et internet que vous mettez : ils me paraissent tous dignes d’intérêt et je me promets d’aller y jeter un œil dès que faire se pourra.
À mon tour de vous en suggérer deux. Vous mentionnez l’industrie pornographique. Ce n’est pas un genre qui m’attire. Je préfère, de loin, l’érotisme (ben oui, comme la majorité des femmes.) Il s’en fait trop peu à mon goût. Un de mes favori est « Lucia y el sexo ».
Aussi, le site internet « Make Love Not Porn » (MLNP) présente des vrais couples, exhibitionnistes, qui souhaitent nous inclure, en tant que voyeurs, dans leurs ébats. Il y en a pour tous les goûts et franchement, c’est plutôt intéressant.
Bonne journée,
🙂
Avant de faire de parler de la culture du viol de façon ignorante comme vous le faites !!
Prenez le temps de vous renseigner !!!
Vous vehiculez un sous-entendu que la plupart des hommes participent à la culture du viol !!! Honte à vous !!
https://www.inspq.qc.ca/rapport-quebecois-sur-la-violence-et-la-sante/les-agressions-sexuelles/definition-de-l-agression-sexuelle
En effet, la plupart des hommes participent à la culture du viol. En fait, à différents niveaux, nous participons tous et toutes (et je m’inclus là-dedans) à la culture du viol, puisque c’est un problème/concept social.
D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi vous mettez un lien vers une définition d’une agression sexuelle, alors que je ne mentionne jamais ces mots. «Culture du viol» et «agression sexuelle» ne sont pas des synonymes.
Quelques pistes peut-être intéressantes pour vous, j’avais réuni, il y a deux ans, une quarantaine de chroniques, entrevues et tables rondes que j’avais réalisées sur la culture du viol et les agressions sexuelles. https://voir.ca/mickael-bergeron/2017/10/22/liste-de-lectures-et-dentrevues-sur-la-culture-du-viol-et-les-agressions-sexuelles/
mikaël, merci.
c’est un sibolak de bon article.
j’ose croire (sinon souhaiter) que nos enfants ont de meilleurs cours que nous à l’école…
de ce que j’entends à la maison à date, oui, ça semble être le cas.
à suivre, avec plaisir, tendresse… et pas nécessairement de pénétration!